Virginie Magnant, directrice de la CNSA : "Nous construisons un édifice de plus en plus solide pour faire face au vieillissement"
Quatre ans après la naissance de la branche Autonomie, et à mi-parcours de la convention d’objectifs et de gestion 2022-2026, Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), revient pour Localtis sur les grands chantiers en cours et à venir : réforme des concours financiers aux départements, préfiguration du service public départemental de l’autonomie (SPDA), expérimentation de la réforme du financement des Ehpad, développement de l’offre de services pour les personnes âgées et handicapées. A ceux qui émettent des inquiétudes sur la capacité de la France à faire face à la transition démographique, Virginie Magnant répond que tout est mis en œuvre pour être prêt en 2030, "premier cap à franchir".
Localtis - Comment la CNSA prépare-t-elle la réforme des fonds de concours aux départements qui doit aboutir en 2025 ?
Virginie Magnant - Sur la réforme des 12 concours qui constituent les différents tuyaux par lesquels la CNSA envoie des financements aux conseils départementaux, les travaux sont copilotés par l’État et Départements de France et se déroulent sous l’égide du comité des financeurs (voir notre article). Aurore Bergé avait réuni le comité des financeurs en fin d’année dernière pour confirmer le volume de la contribution exceptionnelle 2024 aux départements (150 millions d’euros abondant les concours de la CNSA aux départements), pour échanger sur ce qui pouvait faire consensus ou pas dans cette réforme et pour partager les travaux qui ont été menés en 2023. Les ministres Catherine Vautrin et Fadila Khattabi ont d'ailleurs réuni un nouveau comité des financeurs le 12 mars. La CNSA participe à ces travaux en partageant en particulier toutes ses données sur les concours existants, la manière dont on peut rapporter ces concours de la CNSA aux dépenses des départements, le rappel des règles existantes, etc.
A ce stade, il y a un relatif consensus entre l’État et les départements sur les objectifs de la réforme : un objectif de simplification, en rassemblant ces 12 concours en trois ou quatre grands blocs, et un objectif de renforcement de l’équité de traitement. Il s’agit de s’assurer que l’évolution des concours soit mieux reliée à l’augmentation des besoins d’accompagnement à domicile des personnes âgées, donc aux dépenses des départements. Aujourd’hui, ce qui détermine l’évolution des concours c’est l’évolution des recettes de la Caisse et, dans le contexte de la transition démographique, il importe de donner plus de visibilité aux conseils départementaux.
Ensuite, le contenu de la réforme se discute entre l’État et les départements, avec des demandes assez claires des départements qui souhaiteraient obtenir des concours correspondant à 50% de la dépense.
2024 est l’année de la préfiguration du service public départemental de l’autonomie : quel sera le rôle de la CNSA vis-à-vis des départements préfigurateurs et dans l’élaboration du cahier des charges national ?
Les travaux sur la construction du service public départemental de l’autonomie (SPDA) sont là pour répondre à l’interpellation des personnes concernées. A chaque fois qu’on les interroge, les personnes âgées et les personnes handicapées indiquent qu’elles ont du mal à comprendre vers qui se tourner, quelles démarches effectuer, etc. Il y a besoin de simplifier, d’être plus lisible concernant le lieu vers lequel se tourner et l’organisation d’une réponse qui soit la plus complète possible pour les personnes âgées ou handicapées qui se tournent vers ce guichet (ouverture de droits spécifiques, Ma Prime Adapt’, ateliers de prévention…). On est vraiment sur cette vision globale du SPDA qui ressort du rapport de Dominique Libault (voir notre article), avec l’ensemble des missions d’information, d’orientation, d’ouverture de droits, d’accompagnement des personnes, etc. C’est vraiment un chantier qui est important, avec le défi d’organiser la coordination entre les différents acteurs pour ne plus renvoyer les personnes d’un guichet à l’autre.
Le gouvernement a considéré qu’il était important de disposer d’une base législative, donc la proposition de loi sur le bien vieillir [NDLR - qui vient de faire l'objet d'un accord en CMP, voir notre article] comporte des dispositions qui encadrent le déploiement de ce futur SPDA. Pour organiser plus rapidement le déploiement lorsque la disposition législative sera effective, le gouvernement a demandé à la CNSA de travailler à la préfiguration de ce service. Deux types de travaux sont organisés et coordonnés par un comité d’orientation et de suivi présidé par Dominique Libault : la préfiguration du SPDA avec 18 départements [voir notre article] et la mise en place de groupes de travail nationaux pour définir le contenu du cahier des charges. Nous allons organiser un aller-retour entre les deux pour permettre aux départements préfigurateurs de contribuer à l’écriture du cahier des charges avec des éléments issus de leurs pratiques et pour qu’ils puissent vérifier que les outils mis en place par les groupes nationaux sont adaptés pour l’ensemble des départements.
Au cours de cette année 2024, la CNSA va d’une part aider les départements préfigurateurs à déployer le SPDA dans leur territoire avec leurs spécificités, et d’autre part les soutenir financièrement pour leur permettre de formaliser ce qu’ils font et que cela nous serve de support commun. Il y a enfin un travail de consolidation de ce que les démarches des 18 départements ont de commun pour nourrir les travaux nationaux.
S’agit-il donc bien d’assumer que la lisibilité du SPDA passera par des organisations différentes d’un département à l’autre ?
Je confirme que tous ceux qui travaillent autour de ce sujet assument collectivement qu’il puisse y avoir des organisations différentes de SPDA d’un territoire à l’autre, parce que les acteurs, les réalités démographiques ou territoriales ne sont pas les mêmes. S’agissant de l’organisation de l’information, les départements fonctionnent tous en articulation avec les centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS-CIAS), mais ils peuvent en outre s’appuyer sur des points d’information particuliers, des Clic [centres locaux d’information et de coordination gérontologique] par exemple. D’autres choisissent d’avoir des antennes polyvalentes, d’autres enfin passent des conventions avec les maisons France services… Il y a donc tout un dispositif de maillage et de partenariat autour de cette information qui est très différent d’un territoire à l’autre. Ce n’est pas le groupe de travail depuis Paris qui va dire "il faut une antenne par canton", cela relève de la réalité géographique et des choix institutionnels des acteurs : quel est le bassin de vie, vers quel point d’information les personnes se tournent très concrètement…
Ce qui importe, c’est de s’assurer que le point d’information de proximité peut répondre aux questions d’une personne âgée ou d’une personne handicapée, qu’il a les bons contacts avec les acteurs qui sont susceptibles ensuite d’ouvrir les droits et que tous ces acteurs sont bien reliés pour que la réponse aux besoins des personnes soit très lisible pour tous.
Ce sera donc assez différent du modèle que l’on peut avoir avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ?
Oui, sachant que la MDPH fait partie aussi de ce SPDA, qui s’adresse en même temps aux personnes âgées et aux personnes handicapées. En réalité, les modèles d’information et d’accompagnement des MDPH sont déjà très différents d’un territoire à l’autre. On a aujourd’hui plus de 75% des MDPH qui ont des antennes locales alors que, lorsqu’elles ont été installées en 2005, il s’agissait vraiment d’une maison physique, généralement implantée au chef-lieu de département. Aujourd’hui, c’est d’ores et déjà beaucoup plus diffus. En revanche, l’antenne locale de la MDPH peut parler en même temps aux personnes handicapées et aux personnes âgées [maison départementale de l’autonomie, MDA] dans certains départements mais pas dans d’autres. On ne va certainement pas dire au national "il faut que ce soit comme ça et pas autrement"… En revanche, on sait collectivement que c’est un sujet de proximité, donc dans le cahier des charges il y aura probablement des préconisations pour que les points d’information maillent le plus possible le territoire, pour que ces points soient bien identifiés par une personne âgée ou d’une personne handicapée et pour que, le plus possible, l’interlocuteur de premier niveau puisse répondre aux deux préoccupations. Surtout, il importe qu’il y ait un lien qui soit organisé et structuré, quelle que soit cette porte d’entrée vers les professionnels qui ont la compétence pour répondre et pour traiter les sujets.
Concernant la réforme du financement des Ehpad et l’expérimentation par plusieurs départements à partir de 2025 de la fusion des sections soins et dépendance, la CNSA sera-t-elle en suivi ? Des départements ont-ils manifesté leur intérêt pour cette expérimentation ?
Oui nous sommes en étroite relation avec le ministère et la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), qui pilote ces travaux, pour préparer cette expérimentation qui doit démarrer au 1er janvier 2025. Cela suppose effectivement des travaux préparatoires avec des conseils départementaux dès 2024. Les départements sont invités à signaler leur souhait de rentrer dans l’expérimentation avant fin avril, pour la première vague d’expérimentation (voir notre article). Ce sera aussi l’un des sujets du Comité des financeurs, en particulier sur la manière dont seront reprises les enveloppes, qui aujourd’hui permettent aux départements de financer la dépendance, pour être réallouées aux ARS qui auront à tarifer en même temps le soin et la dépendance dans le cadre expérimental.
Des discussions sont en cours en ce moment entre les conseils départementaux et les ARS sur les perspectives de candidatures. La LFSS pour 2024 prévoit une expérimentation "dans au plus vingt départements volontaires", soit a priori une dizaine de départements dès 2025 avant une deuxième vague en 2026. Si je me fonde sur les retours des ARS, je pense qu’on trouvera les 10 candidats.
Sur ces relations qui évoluent, et pas toujours de la même façon d’un département à l’autre, vous mettez en place cette année des conventions tripartites entre la CNSA, les ARS et les départements. Sur quoi est-ce que ces conventions vont porter ?
Ces modèles de convention ont surtout vocation à se déployer à compter de 2025. La CNSA, pratiquement depuis sa création, a vocation à contractualiser avec les départements. Cette contractualisation nous permet de définir des objectifs communs en matière d’amélioration de la qualité de service des MDPH, du développement de l’offre pour les personnes âgées et handicapées dans toute sa diversité (en incluant par exemple le développement de l’habitat inclusif). Ces conventions servent aussi de support aux concours financiers de la CNSA en direction des départements.
Au moment où la Caisse s’est transformée en caisse de sécurité sociale, nous avons réfléchi à une manière de travailler un peu différente dans ce nouveau cadre partagé avec les ARS, les conseils départements et les MDPH ou MDA, pour éviter les silos et ne plus avoir d’un côté des conventions avec les conseils départementaux et de l’autre des conventions avec les ARS. Nous avons posé le principe d’un nouveau cadre de coopération, avec des conventions triparties nous permettant de définir une feuille de route partagée. Notre objectif est donc de finir notre modèle commun de convention d’ici la fin du premier semestre, puis de commencer à travailler avec les ARS et les départements à partir du second semestre. Cela enjambera forcément l’année 2024, pour signer 100 conventions avec 100 départements, 100 MDPH et 18 ARS…
Il s’agira de définir la manière dont nous avançons ensemble sur les objectifs communs qui sont décrits assez clairement dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2022-2026 de la branche [voir notre article]. Donc toujours et avant tout la qualité du service d’accueil, d’information, d’orientation des personnes, l’organisation de l’offre pour répondre aux besoins des personnes âgées et handicapées, le développement de cette offre et la garantie de sa qualité…
Est-ce que le contrôle des Ehpad fera partie de cette feuille de route partagée ?
Pourquoi pas, mais c’est très ouvert. Si les ARS et les conseils départementaux souhaitent intégrer ce sujet dans la convention, très volontiers puisque c’est une préoccupation commune des deux autorités de tarification et de contrôle des Ehpad. Ce n’est pas un sujet qui relève de la branche puisque c’est une politique ministérielle (les ARS reçoivent sur ce sujet des directives du ministère) mais il participe complètement de la qualité de service de l’offre donc ce n’est pas illégitime que ces questions soient abordées.
Concernant la trajectoire de la branche Autonomie, qu’attendez-vous de la loi de programmation – ou loi grand âge - qui a été annoncée pour 2024 ? Et au-delà, alors que des acteurs comme le Conseil de l’âge émettent des inquiétudes (voir notre article), quelle est votre perception de notre niveau de préparation collectif au vieillissement de la population ?
Sur la loi de programmation, les ministres se sont exprimées en direction de la CNSA et également, le 28 février, devant les députés [voir également notre article].
Sur la préparation de la transition démographique qui est en cours, je veux rappeler que c’est précisément pour répondre à cette transition que la branche Autonomie a été créée, avec des bases posées par la loi organique de 2020 [voir notre article]. Cette première réponse consiste à sécuriser les dépenses d’autonomie par une recette propre – une quote-part de la CSG - qui est fléchée directement sur la branche, là où la CNSA gérait auparavant des crédits de l’Assurance maladie par délégation. En outre, une fraction de 0,15 point de CSG supplémentaire est affectée à la branche dès 2024, d’où des recettes très dynamiques.
Est-ce que nous serons prêts ? C’est un peu comme les Jeux olympiques : je suis en train de construire mon village olympique, l’important c’est qu’il soit ouvert en 2030 qui est le premier cap. J’y travaille et chacun des collaborateurs de la CNSA constitue les maçons, les géomètres qui sont à la manœuvre pour construire notre édifice. Toutes les mesures décrites dans la COG 2022-2026 visent à faire en sorte que l’édifice grandisse et soit de plus en plus solide pour faire face à ce vieillissement. Mon objectif, c’est que fin 2026 nous ayons bien avancé sur le SPDA qui devra être complètement opérationnel d’ici 2030. Fixés par la COG et confirmés par la stratégie Bien vieillir et la Conférence nationale du handicap (CNH), mes objectifs sont aussi de continuer à développer une offre pour les personnes âgées et handicapées au même horizon : les 50.000 nouvelles solutions médico-sociales, les 25.000 places en Ssiad, le renforcement du taux d’encadrement dans les Ehpad. Toutes ces mesures-là participent de cette trajectoire et de cette préparation. Il ne s’agit pas que tout soit en place aujourd’hui puisque les personnes âgées vont arriver progressivement. Il s’agit de faire en sorte que l’ensemble des acteurs qui vont déployer ces solutions se mettent en marche pour les programmer. Et avec la COG 2022-2026, la branche Autonomie a une trajectoire financière, lisible et partagée, pour financer tout cela.
Tout ce qui est construit doit nous permettre d’être prêt le moment venu. En 2026, le village olympique ne sera pas encore ouvert, puisque les deux grands caps à franchir sont 2030 et 2040. Nous allons progresser nettement en termes de développement de l’offre à horizon 2026 et la COG d’après nous permettra de sécuriser des moyens complémentaires pour continuer d’avancer.
Il s’élève à 40,64 milliards d’euros, soit une hausse de 5% par rapport au budget initial 2023. Ce budget se compose de deux grands ensembles :
Concernant les mesures nouvelles, le fonds de financement des ESMS progresse de 4,8% par rapport au budget initial 2023, soit 1 milliard d’euros supplémentaires pour financer :
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