Violences contre les élus locaux : les sanctions alourdies, la prise en charge des victimes améliorée

Alors que des violences visent de plus en plus des élus locaux – notamment des maires – dans l'exercice de leurs fonctions, la loi renforçant leur sécurité et leur protection, publiée le 22 mars, était très attendue. Aggravation des peines encourues par les auteurs de ces violences, attribution automatique de la protection fonctionnelle à certains élus ou ancien élus, extension de cette protection aux candidats à un mandat… d'évidentes avancées figurent dans ce texte décortiqué par Localtis. Mais "des points de vigilance n’ont pas nécessairement été anticipés par le législateur", analyse l'observatoire Smacl des risques de la vie territoriale et associative, qui a récemment décrypté la loi.

Titre Ier : CONSOLIDER L'ARSENAL RÉPRESSIF POUR MIEUX PROTÉGER LES ÉLUS EN CAS DE VIOLENCES COMMISES À LEUR ENCONTRE

  • Alourdissement des peines encourues par les auteurs de faits de violences commises envers des élus ou anciens élus - dans la limite de six années après la fin du mandat (article 1). Les peines sont ainsi alignées sur celles prévues en cas de violences contre les forces de sécurité (jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende). 

"La fermeté affichée par le législateur ne se traduira [toutefois] pas nécessairement dans les faits", estime l'observatoire Smacl des risques de la vie territoriale et associative. En effet, les magistrats ne prononceront peut-être pas les peines les plus lourdes, et, de surcroît se posera la question de l’exécution des peines prononcées, fait-il remarquer dans un article publié sur son site. À noter aussi : ces nouvelles peines ne pourront être décidées que pour les faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.

  • Création (à l'article 2) d'une circonstance aggravante en cas de "destruction, dégradation ou détérioration d’un bien" appartenant ou utilisé par une personne chargée d’une mission de service public (peines pouvant être portées à 20 ans de réclusion criminelle et à 150.000 euros d’amende).
     
  • Possibilité accordée au juge de prononcer une peine de travail d’intérêt général dans les cas d’injure publique, d'outrage ou diffamation publique à l’encontre des élus locaux (article 3). 

"Le contentieux de la diffamation et de l’injure oppose souvent des élus entre eux", indique l'observatoire Smacl. "On ne peut donc exclure qu’un maire, par exemple, soit condamné à un travail d’intérêt général pour une diffamation ou une injure visant un élu d’opposition. Et réciproquement", poursuit-il.

  • En outre, création d'une circonstance aggravante (jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende dans certaines circonstances,) lorsque la victime de harcèlement est titulaire d’un mandat électif. 

La mesure s'applique notamment au harcèlement en ligne, une situation qui est devenue plus fréquente ces dernières années et face à laquelle les élus se sentent "assez impuissants". "C'était un point assez attendu par les élus", selon Annick Pillevesse, responsable du service juridique de l'Association des maires de France, qui participait le 3 avril à un webinaire de l'observatoire Smacl destiné notamment à décrypter la nouvelle loi. →

  • Inscrite dans le code pénal, la circonstance aggravante (jusqu'à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d'amende) qui existait pour les atteintes à la vie privée et familiale visant les élus, est étendue aux atteintes de ce type portées à l'encontre des candidats à un mandat électif public, pendant la durée de la campagne électorale (article 4). Par ailleurs, cette circonstance aggravante est élargie aux faits portant atteinte à la vie privée des membres de la famille des élus.
     

Titre II : AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES ÉLUS VICTIMES DE VIOLENCES, D'AGRESSIONS OU D'INJURES DANS LE CADRE DE LEUR MANDAT OU D'UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE

  • Octroi d'un caractère automatique à la protection fonctionnelle demandée par les exécutifs locaux, les élus ayant reçu délégation, de même que par les élus ayant occupé ces fonctions précédemment (article 5). Les mesures de protection et d’assistance mises en œuvre par la collectivité sont attribuées lorsque le bénéficiaire a été victime de violences, de menaces ou d'outrages, dans le cadre de ses fonctions, ou anciennes fonctions. Ainsi, l'organe délibérant ne délibère plus préalablement à l'octroi de la protection fonctionnelle. Toutefois, il peut retirer ou abroger la décision de protection accordée à l'élu par une délibération motivée prise dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle l'élu bénéficie de la protection de la collectivité.

"L’automatisation de la protection fonctionnelle ne joue que dans l’hypothèse où l’élu est victime", souligne l'observatoire Smacl. La procédure d’octroi de la protection fonctionnelle est inchangée en cas de mise en cause pénale de l'élu. Dans ce cas, il faut toujours une délibération de l'assemblée locale (à laquelle ne prend pas part l’élu intéressé).

  • Inscription parmi les dépenses obligatoires des communes, groupements de communes, départements et régions, des sommes nécessaires pour assurer la protection fonctionnelle des élus (article 6). La disposition permet de rendre plus effectif le droit à la protection fonctionnelle.

Et ce, sans fixer de plafond aux dépenses en question. Ce qui est susceptible d'inquiéter les communes aux budgets modestes. Ont-elles la possibilité de plafonner par délibération le montant de leur intervention ? La question a été posée lors du webinaire organisé par l'observatoire Smacl. Agir ainsi ne serait "pas de bonne politique" et conduirait à "s'exposer à l'annulation", a répondu Philippe Bluteau, avocat associé chez Oppidum avocats. Selon qui "il vaut mieux considérer que la dépense est due, sauf recours en raison du caractère prétendument excessif, dans le cas d'espèce des montants". "La question du montant des honoraires [d'un avocat] peut se régler par la signature d'une convention entre la collectivité, l'avocat et l'élu concerné, qui permet d'avoir un cadre de prise en charge des honoraires", a indiqué pour sa part Julia Rotivel, avocate au cabinet Goutal, Alibert et Associés.

  • Octroi par l'État de la protection fonctionnelle au maire, ou à l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, lorsque ce dernier agit en qualité d'agent de l'État (article 7).

Mais, dans certaines situations, il ne sera sans doute pas évident de déterminer si c'est en tant qu'agent de l'État que le maire a été visé par des violences, considère l'observatoire Smacl.

  • Obligation de prise en charge par la commune des restes à charge et des dépassements d'honoraires résultant des dépenses liées aux soins médicaux et à l’assistance psychologique engagées par les élus bénéficiaires de la protection fonctionnelle (article 10).
     
  • Possibilité pour les élus et les candidats à une élection de saisir le bureau central de tarification, lorsqu’ils n’ont pas pu souscrire de contrat d'assurance pour leur permanence électorale ou le lieu accueillant des réunions électorales – après avoir démarché au moins deux entreprises (article 11). L'intervention de l'autorité administrative permettrait de garantir aux élus ou candidats la possibilité effective de souscrire une assurance. Le dispositif entrera en vigueur le 21 mars 2025. 

Mais France Assureurs évoque une mesure inopérante dès lors que "les permanences d’élus ne sont pas soumises à une obligation d’assurance", rapporte l'observatoire Smacl.

  • Extension de la protection fonctionnelle aux candidats à un mandat électif (article 12). Cette protection, qui s'applique pendant les "six mois précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'au tour de l'élection", est assurée par l'État. 

"Alors que les conseillers d’opposition ne bénéficient pas pendant leur mandat de la protection de la commune, ils pourront de fait bénéficier de la protection de l’État pendant la campagne électorale lorsqu’ils se sont déclarés candidats", fait remarquer l'observatoire Smacl.

  • Par ailleurs, l'État prendra en charge les dépenses engagées pour la protection d'un candidat à une élection qui ne sont pas déjà prises en charge au titre du remboursement du compte de campagne, dans le cas où il existe une menace avérée contre ce candidat. 

Les dispositions de l'article 12 entreront en vigueur le 21 mars 2025.
 

Titre III : RENFORCER LA PRISE EN COMPTE DES RÉALITÉS DES MANDATS ÉLECTIFS LOCAUX PAR LES ACTEURS JUDICIAIRES ET ÉTATIQUES

  • Instruction par un autre tribunal judiciaire que celui compétent - on parle de "dépaysement" -, des affaires dans lesquelles un maire ou un adjoint au maire est mis en cause comme auteur (article 13). Il s'agit d'une faculté à la main du procureur général, qui peut l'activer "d'office, sur proposition du procureur de la République et à la demande de l'intéressé".
     
  • Caractère systématique de la communication au maire par le procureur de la République des suites judiciaires données aux infractions causant un trouble à l’ordre public sur le territoire de la commune (jusque-là, le maire était informé à sa demande). Un délai d'un mois est instauré pour la mise en œuvre de l’obligation d’information du maire des suites judiciaires données aux crimes et délits qu’il a lui-même signalés au parquet (article 14). En outre, la possibilité entre les associations représentatives des élus locaux, le préfet et le procureur de la République de signer des conventions relatives à l'information des maires sur le traitement judiciaire des infractions commises à l'encontre des élus est inscrite dans la loi (avant le texte, des conventions de ce type existaient déjà dans plusieurs départements).
     
  • Possibilité pour le procureur de la République territorialement compétent de diffuser dans un espace réservé des bulletins d'information générale des communes d'au moins 1.000 habitants, "toute communication en lien avec les affaires de la commune" (article 15). Cette communication doit respecter le secret de l'instruction.
     
  • Inscription dans la loi de la composition des conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD et CISPD). Des possibilités d'adaptation locales sont accordées et il revient au maire et au président de l'intercommunalité de fixer la composition précise de l'instance, qui, pour rappel, est obligatoire dans les communes de plus de 5.000 habitants (article 16). En outre, dans les communes de plus de 15.000 habitants, si le maire n'a pas désigné de coordinateur, le préfet est désormais tenu d'en désigner un. Le CLSPD et le CISPD sont réunis au moins une fois par an. Un groupe thématique "chargé des violences commises à l'encontre des élus" peut être constitué en leur sein.
     
  • Dépôt par le gouvernement d'ici le 20 juin 2024 d'un rapport au Parlement "sur l'opportunité d'élargir le bénéfice de la protection fonctionnelle" à "tous les élus locaux, y compris à ceux qui n'exercent pas de fonctions exécutives", et par ailleurs à l'entourage familial "des conseillers départementaux et régionaux lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, de violences, de voies de fait, d'injures, de diffamations ou d'outrages" (article 18). Dans le même délai, le gouvernement remettra au Parlement un rapport "recensant les actions menées pour lutter contre les violences faites aux élus et leurs résultats" et dressant "le bilan des suites données aux plaintes déposées par les élus auprès des services de police ou de gendarmerie pour les faits de violences dont ils sont victimes" (article 19).

Référence : loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.

 

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