Sécurité des élus locaux : le texte sénatorial adopté à une large majorité à l'Assemblée
L'Assemblée nationale a adopté le 7 février, en première lecture, la proposition de loi du Sénat renforçant la sécurité des élus locaux, et ce avec le soutien du gouvernement et de l'ensemble des groupes politiques, à l'exception de LFI qui a voté contre (205 voix pour et 24 contre). Alourdissement des sanctions contre les auteurs de violences envers les élus locaux, octroi automatique de la protection fonctionnelle pour les élus exerçant des fonctions exécutives locales, extension du bénéfice de cette protection aux candidats à un mandat… La proposition de loi renforce l'arsenal juridique permettant de protéger les élus locaux, anciens élus locaux et candidats à un mandat local. Elle constitue l'un des volets des mesures visant plus globalement à rénover le statut de l'élu local, que les parlementaires doivent discuter dans les semaines à venir.
Cette proposition de loi signe "le refus du fatalisme, de la banalisation et de l'impunité" et lance "un message de reconnaissance envers les maires et les élus locaux", s'est réjouie la rapporteure Renaissance Violette Spillebout. L'élue qui, elle-même a été agressée verbalement et a subi des menaces lors de la dernière campagne pour les élections municipales à la mairie de Lille, a rejeté l'idée que la proposition de loi ferait des élus locaux "des privilégiés". "Loin d’être des privilégiés – ce qu’ils n’ont évidemment pas à être –, les élus, aujourd’hui, sont surtout malheureusement trop souvent des hommes et des femmes à abattre par des moyens indignes", a-t-elle lancé à la tribune. Un avis largement partagé par le communiste Sébastien Jumel : "Soutenir ceux qui sont en première ligne pour réaffirmer la présence de la République (…) est un symbole déterminant." Pour Alain David (Socialiste), le texte "va dans le bon sens et constitue une première étape salutaire". "C’est un pas supplémentaire et bienvenu en matière de protection des élus", a aussi salué Paul Molac (Liot).
"La justice doit être plus rapide"
L'une des mesures phares est l'alignement des sanctions prévues, en cas de violence contre des élus locaux, sur celles prévues pour des violences à l'encontre de dépositaires de l'autorité publique, comme les policiers. LFI s'est élevé contre "une escalade des peines". Il faut plutôt "nous attaquer aux causes de ces violences", a souligné l'orateur du groupe, Sébastien Rome, en pointant "l’augmentation de la défiance envers nos institutions". "La présente proposition de loi ne prévoit pas d’accorder de nouveaux moyens à la justice", a-t-il regretté.
Le renforcement des sanctions envers les auteurs de violences contre les élus locaux est nécessaire, mais il faut en parallèle que la justice soit plus rapide, a estimé Charles de Courson (Liot), en connaissance de cause. En juin 2023, un administré de Vanault-les-Dames, commune dont il a été maire, a tiré un coup de fusil sur l'une des fenêtres de la maison de ce dernier.
Le texte crée aussi une peine de travail d'intérêt général en cas d'injures publiques contre des personnes dépositaires de l'autorité publique – dont les élus locaux –, une mesure étendue par les députés aux outrages et à la diffamation.
En outre, une circonstance aggravante a été prévue pour les cas de harcèlement, notamment en ligne, lorsque la victime est titulaire d'un mandat électif, ou lorsque les faits portent atteinte à la vie privée de ses proches. "En brandissant les circonstances aggravantes dans le but d’alourdir les peines, nous fonctionnarisons les élus locaux et les plaçons au-dessus des citoyens", a protesté LFI.
L'attribution de la protection fonctionnelle élargie
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit l'attribution automatique de la protection fonctionnelle – laquelle implique la prise en charge par la collectivité par exemple de frais médicaux, d'une perte de revenus ou de frais de justice – aux élus locaux exerçant des fonctions exécutives et à ceux ayant exercé de telles fonctions. En parallèle, les dépenses nécessaires pour assurer la protection fonctionnelle des élus ont été rendues obligatoires dans le budget des collectivités. Le bénéfice de la protection fonctionnelle a aussi été étendu aux candidats à un mandat. Un droit à une prise en charge par l’État des dépenses engagées pour leur sécurité pendant la durée de la période électorale a été par ailleurs ouvert.
Le groupe socialiste a regretté que l’automatisation et le renforcement de la protection fonctionnelle n'aient été accordés qu'aux élus ayant une délégation. L'élargissement du bénéfice de la protection fonctionnelle à "l’ensemble des élus locaux au-delà des seuls détenteurs de fonctions exécutives" et "à la famille des élus et candidats" est indispensable, a jugé la rapporteure. Des mesures allant dans ce sens figurent dans la proposition de loi portant réforme du statut de l'élu local qu'elle vient de déposer avec son collègue Sébastien Jumel. Mais le gouvernement devra "lever le gage", car des parlementaires ne peuvent pas alourdir les charges publiques.
Polémique sur les délais de prescription
Les députés ont aussi validé l'allongement, de trois mois à un an, des délais de prescription en cas d'injures et de diffamation publique, quand elles visent un élu ou un candidat à un mandat. Ces délits sont prévus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, et des députés ont, comme le gouvernement, exprimé leurs réticences à toucher à ce texte emblématique pour ces seuls cas. "Il est fréquent que les personnes visées prennent connaissance, après le délai de trois mois, d’une diffamation ou de propos injurieux tenus sur les réseaux sociaux. Dans ce cas, elles ne peuvent plus porter plainte et exercer leurs droits", a défendu Violette Spillebout. Soulignant que la prescription étendue à un an existe déjà pour des particuliers injuriés ou diffamés "en raison de leur origine, de leur religion ou de leur genre".
En portant la prescription à un an, "les députés et sénateurs se votent une loi sur mesure" pour mieux "attaquer ceux qui les critiquent", a protesté l'Association des avocats praticiens du droit de la presse, qui appelle le Parlement à renoncer à une mesure "profondément antidémocratique".
Après les retouches de l'Assemblée au texte qui avait adopté en octobre au Sénat, les deux chambres vont désormais tenter de tomber d'accord sur une version commune.
Des mandats locaux plus attractifs
"Cette proposition de loi constitue le volet sécuritaire d’un ensemble plus large de mesures – pas toutes législatives – qui doivent permettre une rénovation profonde du statut des élus", a souligné Violette Spillebout. La proposition de loi portant réforme du statut de l’élu local, qu'elle vient de déposer avec Sébastien Jumel, et qui pourrait être débattue d'ici fin mars, apportera d'autres évolutions importantes, en s'inspirant du rapport de la mission d'information sur le statut de l'élu local créée par la délégation aux collectivités territoriales (voir notre article). En sachant que le Sénat va se pencher lui aussi sur le sujet. La proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local déposée par la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, sera longuement discutée en commission – fin février et début mars – avant un examen en séance qui débutera le 7 mars.