Lutte contre l'exclusion - Un rapport de l'Assemblée dénonce la "sous-budgétisation systématique" de l'AME
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 à l'Assemblée nationale, Claude Goasguen, député (Les Républicains) de Paris, a déposé son rapport d'information sur les crédits de la mission Santé. Sur la cinquantaine de pages du rapport, trente sont consacrées à une charge virulente contre la gestion des crédits de l'aide médicale d'Etat (AME).
Un dérapage de 15% en 2015
Le député de Paris, coutumier de la critique contre l'AME (voir notre article ci-contre du 7 novembre 2014), s'en prend d'abord à la "sous-budgétisation systématique de l'AME, malgré un budget qui ne cesse d'augmenter". Il ne manque pas, il est vrai, de quelques arguments chiffrés sur ce point. Depuis 2009 et à l'exception de 2012, la budgétisation de l'AME en loi de finances initiale (LFI) est en effet systématiquement dépassée en réalisation, avec des écarts allant de 6,5% à 26,5%. En 2015, les crédits inscrits en LFI étaient ainsi de 676 millions d'euros, pour une dépense effective qui devrait être de 780 millions (+15,3%). Entre 2019 et 2015, les dépenses effectives d'AME ont progressé de 32%.
Pour 2016, le PLF prévoit une dotation de 760 millions d'euros, soit un montant inférieur au réalisé probable pour 2015, mais le rapporteur juge que "les prévisions pour 2016 reposent sur des hypothèses contestables et ne font l'objet d'aucun chiffrage". Il estime en effet "à ce stade, impossible d'évaluer, et encore moins de budgéter, une baisse des dépenses de l'AME liée à la réforme de l'asile comme cela est fait dans le projet annuel de performance pour 2015 et pour 2016".
Si l'on ajoute d'autres dépenses comme la dette de l'Etat envers la sécurité sociale au titre de l'AME (57 millions d'euros), les dépenses de santé en faveur des étrangers en situation irrégulière à Mayotte (100 millions) ou la prise en charge des dépenses dites de "soins urgents" au-delà de l'enveloppe prévue de 40 millions financée par l'Etat (65 millions), le rapport arrive à une dépense totale de 1.003,9 millions d'euros pour la prise en charge des dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière.
"L'urgence d'une réforme"
Le député de Paris relance donc le débat sur "l'urgence d'une réforme de l'AME", estimant "la solidarité compatible avec une maîtrise des dépenses". A condition, pour cela, de s'inspirer des exemples de pays européens (Espagne, Danemark, Italie, Suède...), qui ont réduit le panier de soins couverts.
Le député de Paris pointe aussi les effets des réformes successives - et contradictoires - de l'AME (voir nos articles ci-contre), ce qui n'a pas manqué de donner lieu à de nouvelles passes d'armes lors de l'examen des crédits en séance plénière.
Une partie des pistes de réforme préconisées consisterait à revenir à certains aspects de la réforme de l'AME introduite par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010 : instauration d'un droit annuel forfaitaire pour les majeurs selon le niveau de revenu, définition des soins à caractère vital et urgent, mise en place d'une procédure d'agrément préalable pour les soins hospitaliers coûteux programmés... Ces mesures de 2010 ont, pour l'essentiel, été annulées par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012.
Un financement transféré à l'assurance maladie, qui gère déjà l'AME
Pour sa part, le financement serait transféré à l'assurance maladie - qui assure déjà la gestion de la prestation -, ce qui "permettrait de soumettre la progression de la dépense à l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) et contribuerait donc à mieux la contrôler et à la ralentir". Selon le rapporteur, ce dispositif "aurait également pour avantage de réduire le phénomène des refus de soins auquel se heurtent actuellement les bénéficiaires de l'AME, tant de la part de médecins libéraux (refus de soins dentaires ou optiques, par exemple) que de l'hôpital public (refus de soins gynécologiques ou d'interruption volontaire de grossesse, par exemple)".
En contrepartie de ces réformes, la condition de résidence de trois mois serait supprimée, "ce qui simplifierait et allégerait considérablement les formalités et les contrôles, à ce jour presque impossibles à mettre en œuvre".
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : Assemblée nationale, projet de loi de finances pour 2016, rapport n°3110 fait au nom de la commission des finances, de l'économie et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2016, annexe n° 42 - Santé.
Des rapprochements, mais toujours pas d'accord sur une réforme
En même temps que le rapport sur les crédits de la mission Santé du PLF 2016, l'Assemblée publie un rapport d'information déposé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d'information du 9 juin 2011 sur l'évaluation de l'aide médicale de l'Etat. Egalement rédigé par Claude Goasguen - qui en reprend les conclusions dans son rapport sur le PLF 2016 -, mais aussi par Christophe Sirugue, député (PS) de Saône-et-Loire, il rappelle les principales données de l'AME : progression régulière du nombre de bénéficiaires (294.300 à la fin de 2014, contre environ 75.000 en 2000), forte concentration des bénéficiaires (40% d'entre eux relèvent des Cpam de Paris et de la Seine-Saint-Denis), profil de bénéficiaires jeunes et en grande précarité, état de santé des intéressés assez mal connu et consommation moyenne de soins par bénéficiaire stable depuis près de dix ans (2.823 euros), mais marquée par une forte prégnance des soins hospitaliers (70%).
Le rapport passe également en revue les différentes "mesures de maîtrise des coûts" mises en œuvre - sans grand succès - ces dernières années : amélioration du pilotage par l'assurance maladie, renforcement des contrôles, lutte contre la fraude, sécurisation du titre d'admission à l'AME... Un chapitre est également consacré à plusieurs exemples de pays européens, dont les modalités de prise en charge "conduisent à une dépense beaucoup plus contenue".
Le rapport s'en inspire très directement pour formuler un certain nombre de préconisations portant sur la simplification et l'harmonisation de l'accès au dispositif, mais aussi sur l'adaptation des modalités de gestion. Si les deux rapporteurs s'accordent sur cet ensemble de mesures, il subsiste néanmoins une divergence de fond. Comme l'indique le rapport, "pour M. Claude Goasguen, il faut restreindre l'accès aux soins pris en charge par l'Etat et instaurer une affiliation contributive à l'assurance maladie" - position reprise dans son rapport sur le PLF 2016 -, alors que "pour M. Christophe Sirugue, la prise en charge sanitaire des étrangers en situation irrégulière ne peut pas reposer sur un dispositif contributif et doit continuer à être financée par l'Etat". Si ce rapport marque un certain rapprochement entre la gauche et la droite sur cette question, une réforme consensuelle de l'AME n'est donc pas encore pour demain.
J.-N.E
Référence : rapport d'information n°3196 déposé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d'information n°3524 du 9 juin 2011 sur l'évaluation de l'aide médicale de l'Etat.