Economie - Un arsenal pour relancer l'investissement public et privé
Cinq jours après les annonces de François Hollande sur l'investissement à Trie-Château (Oise), son Premier ministre Manuel Valls est entré dans le vif du sujet, mercredi 8 avril, en se montrant décidé à maintenir le cap des "réformes". "Une politique économique ça n'est pas du zigzag", a-t-il déclaré, lors d'une conférence de presse organisée à l'issue du Conseil des ministres.
Alors que la France bénéficie d'un contexte favorable (baisse de l'euro, du prix du pétrole et taux d'intérêts très faibles), le gouvernement entend donner le coup de pouce nécessaire à la reprise à travers une relance de l'investissement public et privé. Investissement qui, comme l'a reconnu le ministre des Finances Michel Sapin, se trouve à un "niveau insuffisant". C'est là que cela se complique, car la France reste loin des critères de Maastricht et la relance de l'investissement public ne peut se passer des collectivités qui pèsent pour 70% du total. Or, selon une étude récente de l'agence de notation Standard & Poor's, l'investissement des collectivités pourrait à nouveau connaître un repli de 7% en 2015. La baisse des dotations de l'Etat aux collectivités y est pour beaucoup. Sur ce point, Manuel Valls n'entend pas reculer, la baisse se poursuivra au rythme prévu. Seulement, les collectivités pourront bénéficier d'avances temporaires...
Investissements des collectivités
"Il y aura des prêts qui vont être mis à disposition, notamment pour favoriser l'avance que les collectivités font lorsqu'elles investissent, puisqu'elles paient de la TVA qui ne leur est remboursée que deux ans après", déclarait François Hollande le 3 avril lors de son déplacement dans l'Oise (voir ci-contre notre article du 7 avril). On attendait toutefois quelques précisions. Comme prévu, celles-ci ont été apportées ce mercredi par Manuel Valls entouré de son gouvernement : c'est la Caisse des Dépôts qui, "sans attendre", "mettra des prêts à taux zéro à disposition des collectivités locales pour qu'elles bénéficient d'une avance sur les sommes que l'Etat leur verse au titre du Fonds de compensation de la TVA". "Nous soutenons ainsi la trésorerie des collectivités afin qu'elles puissent investir dès cette année", a commenté le Premier ministre. Le dossier de presse diffusé par Matignon le redit en d'autres termes : "La Caisse des Dépôts mettra en place une solution de préfinancement à taux zéro des remboursements versés par l'État au titre du FCTVA, à destination de l'ensemble des collectivités territoriales, pour compléter l'offre de crédits court terme offerts par les banques commerciales."
Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un remboursement anticipé de TVA même si de fait, cela pourrait peu ou prou revenir au même pour les collectivités. Et il ne s'agit pas forcément d'un dispositif pérenne – du moins, cela n'a pas été précisé. En tout cas, cette disposition est présentée comme étant une première mesure d'urgence, avant que d'autres ne soient décidées, à partir de la mi-mai, lorsque le groupe de travail installé le 5 mars entre le gouvernement et l'Association des maires de France aura abouti à son "diagnostic partagé de l'évolution des finances du bloc local et de son impact sur l'investissement public". Manuel Valls a d'ailleurs évoqué certaines des pistes qui ont déjà été formulées dans le cadre de ce groupe de travail mais qui doivent encore être "expertisées". Dont, justement, "la possibilité de rembourser en temps réel aux collectivités la TVA applicable à certains investissements". Mais aussi la proposition d'une "dotation d'investissement spécifique pour soutenir l'investissement des communes et intercommunalités". Le fait que le chef du gouvernement évoque cette demande (formulée de longue date par certains élus locaux, on songe à André Laignel par exemple), même en tant que simple piste, est peut-être à considérer comme un signal positif ?
Pour le reste, Matignon compte "encourager les collectivités territoriales à avoir davantage recours aux prêts super-bonifiés de la Caisse des Dépôts en faveur de la transition énergétique" (5 milliards d'euros d'enveloppe affectée). Fin janvier déjà, lors des Assises de l'énergie, Ségolène Royal avait insisté pour que cette ligne de crédits notamment destinée à aider les communes à mieux isoler leur patrimoine et bâtiments publics soit mieux valorisée, évoquant l'envoi d'un courrier en ce sens "à tous les maires". C'est en juin dernier que la ministre de l'Ecologie avait présenté la constitution de cette enveloppe de 5 milliards d'euros de prêts : 2,5 milliards de prêts pour des projets de rénovation et des bâtiments à énergie positive, 2 milliards pour des projets de transports propres et 500 millions pour des projets de production d'énergie renouvelable.
Manuel Valls a également rappelé deux éléments connus depuis le Congrès des maires de novembre dernier, à savoir l'augmentation de 30% de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), ainsi que la fameuse aide aux "maires bâtisseurs". Il est en revanche resté inflexible sur la baisse des dotations aux collectivités : "Nous ne sous-estimons pas l'impact de l'effort budgétaire qui est demandé et cet effort va bien évidemment se poursuivre, ce sont nos engagements", a-t-il déclaré.
Enfin, le Premier ministre a annoncé qu'afin de recenser "tous les programmes de travaux susceptibles d'être engagés à court terme" sur les territoires, il allait demander aux préfets de région d'organiser dans les deux mois qui viennent des "conférences régionales de l'investissement public" en lien avec les présidents de région et d'agglomération.
Première association d'élus locaux à réagir, l'Association des petites villes de France s'est félicitée de la tenue de ces conférences, tout en demandant à ce que les villes-centres y soient bien représentées. Elle juge également positive l'annonce concernant le FCTVA, tout en insistant sur la nécessité de pérenniser un versement rapide.
Le gouvernement compte également sur la nouvelle génération de contrats de plan qui mobilisent "25 milliards d'euros (…) pour les six prochaines années". Des contrats qui, rappelons-le, sont en nette diminution par rapport à la génération précédente, à périmètre constant, ce qui rend les fins des négociations tendues dans certaines régions comme l'Aquitaine. A ce jour, 17 protocoles d'accord ont été signés par les régions : Pays de la Loire, Bourgogne, Bretagne, Languedoc-Roussillon, Centre, Basse-Normandie, Haute-Normandie, Ile-de-France, Midi-Pyrénées, Paca, Rhône-Alpes, Alsace, Lorraine, Poitou-Charentes, Auvergne et Franche-Comté.
Investissements privés
En matière d'investissement privé, Manuel Valls a détaillé le mécanisme fiscal "exceptionnel" évoqué par François Hollande vendredi. Il sera réservé aux "investissements industriels réalisés au cours des douze prochains mois". La mesure qui devrait s'élever à 2,5 milliards d'euros, "sera applicable immédiatement, pour tous les investissements éligibles réalisés à compter du 15 avril", a précisé le chef du gouvernement. Selon Michel Sapin, "cette baisse de recettes sera compensée par une baisse des dépenses".
Le gouvernement souhaite aussi relancer les travaux publics qui subissent aujourd'hui de lourdes pertes, à travers son plan de relance autoroutiers actuellement en cours de négociation avec les sociétés d'autoroutes. Ce plan se chiffre à 3,2 milliards d'euros d'investissements pour les sociétés d'autoroutes, qui bénéficieront en échange d'un allongement de deux à quatre ans de la durée de leurs concessions. "Ces investissements vont déclencher des activités et des emplois dans les métiers du bâtiment, c'est l'objectif, et vont aussi intervenir sur le réseau autoroutier mais aussi sur le réseau annexe", a déclaré la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, qui négocie ce plan avec son collègue à l'Economie Emmanuel Macron. Sur le total, une partie sera consacrée à d'autres projets que les autoroutes. "Le chiffre de 1 milliard avait été évoqué. Ce qui est là annoncé et ce qui va être engagé tout de suite, c'est 500 millions d'euros, dont 300 millions à l'Afitf (Agence de financement des infrastructures de transport en France) et 200 millions versés sur un compte de la Caisse des Dépôts pour financer des projets de transports innovants", a précisé Ségolène Royal. Le Premier ministre a par ailleurs assuré que les tarifs de péage n'augmenteraient pas en 2015.
Comme annoncé par François Hollande, les "prêts de développement" de Bpifrance vont être portés à 8 milliards d'euros entre 2015 et 2017, contre 5,9 milliards actuellement. "Ces prêts additionnels seront en partie financés grâce au plan Juncker", a précisé Manuel Valls. Les prêts seront dédiés à la modernisation de l'appareil productif et seront accordés par les 42 antennes territoriales de la banque. Les régions, qui cherchent toujours leur place aux côtés de la banque publique d'investissement, en ont profité pour rappeler le rôle stratégique qu'elles jouent auprès des PME et ETI. "Le développement des PME et des ETI dans notre pays passe surtout par une action de proximité sur la durée, différenciée selon les territoires et ciblée, que seules les régions peuvent porter dans le cadre d'écosystèmes régionaux", insiste l'Association des régions de France (ARF), dans un communiqué publié dans la foulée du discours de Manuel Valls. L'ARF précise que les régions consacrent chaque année 700 millions d'euros à l'accompagnement. "Si l'Etat permettait aux régions de doubler ce montant, les régions pourraient ainsi s'engager, sur un objectif de 40.000 entreprises accompagnées par an", fait-elle valoir.
Investissements des ménages
Le troisième volet développé par le Premier ministre tient aux investissements des ménages, notamment dans l'efficacité énergétique de leur logement. Il a annoncé plusieurs mesures visant plus globalement à "accélérer et amplifier les travaux de rénovation énergétique des bâtiments pour économiser l'énergie, faire baisser la facture énergétique des ménages et créer plusieurs milliers d'emplois dans les territoires". "Nous avons pris un ensemble d'initiatives l'année dernière (amélioration du dispositif d'investissement locatif, amélioration des aides à l'accession à la propriété, prêt à taux zéro et prêt à l'accession sociale) qui commencent à avoir des effets sur la production de logements neufs", a souligné Manuel Valls, estimant également que "le crédit d'impôt transition énergétique a évolué avec de bons résultats". Si bien qu'il sera prolongé "afin que les ménages puissent continuer à réaliser des travaux l'année prochaine". Les conditions seront déterminées par la loi de finances pour 2016.
Et pour "les aider davantage à investir dans la rénovation thermique", Manuel Valls a annoncé la poursuite du plan de rénovation thermique en 2016 et surtout que le budget de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) augmenterait de 70 millions d'euros en 2015 pour que les aides de l'Agence "bénéficient à (...) 50.000 ménages." Le budget de l'Anah atteindrait ainsi 536 millions de dépenses, "soit un niveau inégalé jusqu'ici", souligne le dossier de presse, qui précise qu'ils seront "complétés par 151 millions d'euros d'aides du fonds Fart (Ndlr : Fonds d'aide à la rénovation thermique), soit au total un volume d'aides d'environ 700 millions d'euros".
"Niveau inégalé" : c'est beaucoup dire. Pour rappel, en 2014, 74.812 logements ont été rénovés avec l'aide de l'Anah, engageant un volume de travaux de 1,4 milliard d'euros, "soit l'équivalent de 28.000 emplois créés ou préservés", avait précisé l'Agence dans son bilan rendu public le 30 janvier 2015. Le budget 2014 était en augmentation avec 716,8 millions d'euros d'aides accordées par l'Anah, dont 179,3 millions d'euros du Fart (soit un budget de 537,5 millions d'euros hors Fart), contre 540 millions d'euros en 2013. Ce 30 janvier, l'Anah s'attendait à ce que son budget rebaisse en 2015 à 625 millions d'euros (dont 123 millions de Fart) avec l'objectif de réhabiliter près de 73.000 logements dont 45.000 au titre de la rénovation énergétique (voir ci-contre notre article du 2 février 2015 et celui du 4 décembre 2014). Tout cela devrait être précisé dans le contrat d'objectifs et de performance 2015-2017 que l'Anah devrait signer avec l'Etat.
A signaler également qu'une "action spécifique associant banques et syndics de copropriété sera conduite pour développer l'écoPTZ".
Réforme du marché du travail et compte personnel d'activité
"Il ne peut y avoir de progrès économique sans progrès social", a enfin appuyé le Premier ministre, pris en étau entre le Medef et la gauche du PS sur la réforme du marché travail. "Les réformes concernant le marché du travail et la politique de l'emploi vont se poursuivre (…) Nous devons aborder ces problèmes de front", a-t-il dit, renvoyant au bilan de la loi sur la sécurisation de l'emploi engagé avec les partenaires sociaux. Les décisions qui seront prises à cet égard se traduiront par voie d'amendement dans les textes en cours de discussion comme le projet de loi Macron. Mais la véritable simplification de la règlementation du travail sera, elle, abordée lors d'une conférence économique et sociale au mois de juin. Par ailleurs, le projet de loi du ministre du Travail François Rebsamen sur le dialogue social et la création de la prime d'activité sera présenté en Conseil des ministres le 22 avril. Cette prime unique, qui remplacera la prime pour l'emploi et le RSA activité, est destinée à inciter à reprendre une activité. Elle sera versée aux salariés qui touchent jusqu'à 1.400 euros en complément de leurs revenus. Toutefois, selon l'avant-projet du texte, la prime ne concernera pas les apprentis, contrairement à ce qu'avait laissé entendre François Rebsamen, ni les étudiants.
Le projet de loi créera par ailleurs le compte personnel d'activité annoncé vendredi par François Hollande. Un appel du pied aux proches de Martine Aubry courtisés depuis la défaite des départementales. Il s'agira de regrouper en un compte unique les droits du compte personnel de formation, du compte pénibilité, de l'assurance chômage, de la mutuelle… Ce compte accompagnera le salarié tout au long de sa vie professionnelle. Une seconde loi en précisera les modalités courant 2016, a précisé Manuel Valls, l'idée étant de le rendre opérationnel au 1er janvier 2017.