Archives

Insertion - RSA : des confirmations et une surprise

En présentant à Laval le revenu de solidarité active, Nicolas Sarkozy a confirmé les grandes lignes de cette nouvelle prestation, en arbitrant plutôt en faveur des hypothèses hautes. Mais avec une surprise de taille : un financement entièrement assis sur une contribution de 1,1% sur les revenus du capital.

La dégradation de la conjoncture économique et les difficultés budgétaires auront finalement servi le projet de Martin Hirsch : alors que le débat se concentre sur le pouvoir d'achat des Français, il était difficile de dénaturer une réforme qui entend faciliter le retour à l'emploi et améliorer les revenus des "travailleurs pauvres". De même, l'hypothèse initiale d'un redéploiement de la prime pour l'emploi (PPE) pour financer le revenu de solidarité active (RSA) devenait difficilement tenable. Dès lors, faute de ressources budgétaires disponibles pour assumer la part de l'Etat, il était indispensable de dégager d'autres financements...

 

Une mise en place dès juillet 2009

Dans ce contexte nouveau, Nicolas Sarkozy a finalement arbitré en faveur de la plupart des hypothèses hautes. Le premier arbitrage - auquel Martin Hirsch était particulièrement attaché - concerne la date de mise en oeuvre du RSA. Celle-ci aura lieu le 1er juillet 2009. Le calendrier paraît crédible, dans la mesure où les modalités de fonctionnement du RSA sont déjà largement connues avec l'expérimentation dans 34 départements volontaires. En revanche, le choix de cette date - tout comme l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour de la session extraordinaire de l'Assemble nationale qui s'ouvre le 22 septembre - rendent très théorique l'évaluation des expériences en cours (voir encadré ci-dessous). Il faudra donc se contenter des premiers retours fragmentaires, qui laissent entrevoir une amélioration de 25% du taux de retour à l'emploi (voir notre article ci-contre).
Evoquant "une révolution complète dans la définition de nos politiques sociales", le chef de l'Etat a également choisi l'hypothèse haute pour l'enveloppe financière du RSA. La charge supplémentaire devrait être de 1,5 milliard d'euros, ce qui portera le coût total du RSA à 13 milliards d'euros : 5,5 milliards au titre du RMI qu'il remplace, 1 milliard au titre de l'allocation de parent isolé (API) également remplacée, 0,5 milliard à celui des primes d'intéressement à la reprise d'emploi pour les bénéficiaires du RMI, 4,5 milliards au titre de l'intégration dans le dispositif d'une partie de la PPE et, enfin, les 1,5 milliard d'enveloppe supplémentaire.

 

La prime pour l'emploi sauve sa tête

Il sera toutefois intéressant de connaître le détail de ce calcul. En effet, alors que le chef de l'Etat a retenu le haut de la fourchette budgétaire, le taux de cumul entre le RSA et le revenu d'activité est fixé à 62%, plutôt vers le bas de la fourchette envisagée qui était de 60 à 70%. En pratique, une personne seule au RMI perçoit aujourd'hui 447,91 euros. Si elle retrouve un emploi à mi-temps rémunéré au Smic (soit 518,76 euros nets), elle continuera de percevoir son ancienne allocation plus 62% de son salaire (321,63 euros), ce qui lui procurera un revenu total de 769,54 euros. Ces ressources proviendront de l'employeur pour 518,76 euros et du RSA pour 250,78 euros (769,54 moins 518,76). Toutes choses égales par ailleurs, la reprise d'un emploi aura, en l'espèce, permis à l'intéressé d'accroître ses ressources de 71,8%, contre seulement 15,8% dans l'hypothèse d'une reprise "sèche" (en faisant abstraction du fait que le RMI prévoyait déjà des dispositifs d'intéressement au retour à l'emploi). Toujours pour une personne seule, le RSA sera dégressif jusqu'à hauteur de 1,04 Smic.
Finalement épargnée - malgré les critiques convergentes sur le saupoudrage auquel elle aboutit avec plus de 8 millions de bénéficiaires - la prime pour l'emploi (PPE) sera intégrée au dispositif. Pour les bénéficiaires concernés, le RSA constituera un "à-valoir" sur la PPE, versée annuellement et donc avec un décalage important. Les bénéficiaires de la PPE qui ne peuvent prétendre au RSA (autrement dit, ceux dont les revenus sont supérieurs à 1,04 Smic pour une personne isolée) continueront de la percevoir normalement. Seule concession à la rigueur budgétaire : le barème de la PPE est gelé pour 2009, ce qui devrait permettre à l'Etat d'économiser 300 à 400 millions d'euros.

 

La surprise du financement

C'est, bien sûr, la principale innovation dans les annonces du chef de l'Etat. Loin des hypothèses évoquées jusqu'à présent, le surcoût du RSA sera financé par un prélèvement social additionnel de 1,1% sur les revenus du patrimoine et des placements (dividendes, plus-values d'actions, assurance-vie, revenus fonciers...). Cette contribution s'appliquera dès la fin de l'an prochain sur les revenus de 2009, afin de générer des recettes l'année même de la mise en place du RSA. Les rentrées attendues en année pleine sont de 1,5 milliard d'euros et devraient donc couvrir l'intégralité du surcoût du RSA. Dans son intervention, Nicolas Sarkozy a affirmé "qu'il est normal, dans un effort de solidarité, que chacun contribue à sortir trois millions de nos compatriotes de la pauvreté ou de l'exclusion". En pratique, le RSA devrait concerner 3,7 millions de personnes et permettre à 700.000 d'entre elles - sur un total de 7 millions - de dépasser le taux de pauvreté (60% du revenu médian). Selon le chef de l'Etat, qui veut "récompenser le travail" et ne "[mettra] pas un centime pour financer l'assistanat", "cet investissement sera aussi rentable que le milliard et demi investi dans la recherche et les nouvelles technologies".
Les autres dispositions du RSA sont conformes à ce qui était envisagé. Le nouvelle prestation sera bien ouverte aux "travailleurs pauvres", c'est-à-dire aux salariés à faibles revenus sans être pour autant passés par le RMI et le dispositif d'insertion. En revanche - et malgré les demandes des associations et les suggestions du Conseil d'analyse économique (voir notre article ci-contre) -, les moins de 25 ans ne pourront pas bénéficier du RSA sauf charges de famille, ce qui était déjà le cas pour le RMI.

 

Les départements en première ligne

Comme prévu, les départements seront les pilotes du dispositif. Les présidents de conseils généraux auront compétence pour prendre les décisions d'attribution, de suspension et de radiation du RSA, comme aujourd'hui avec le RMI. Il reste toutefois à préciser les articulations avec les CAF et les caisses de Mutualité sociale agricole (MSA) pour le versement et le contrôle de la prestation. Les départements seront également chargés de la mise en oeuvre des actions d'insertion, avec le concours du service public de l'emploi. En pratique, le futur ensemble ANPE-Assedic devrait prendre en charge les personnes directement employables, le département se concentrant sur celles présentant une ou des difficultés sociales connexes (socialisation, santé, logement, mobilité...). Le département devrait également être conduit à prendre en charge l'insertion de publics nouveaux, comme les actuels bénéficiaires de l'API.
Face à l'inquiétude des collectivités sur le montant final et l'évolution du coût du RSA, le gouvernement a fait un double geste. D'une part, il a prévu une enveloppe supplémentaire de 150 millions d'euros pour financer des actions d'aide au retour à l'emploi. D'autre part, la compensation de 500 millions d'euros au titre du transfert du RMI par la loi du 18 décembre 2003, qui devait prendre fin en 2008, sera prolongée en 2009. Si l'Association des départements de France n'a pas encore fait connaître sa position, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, s'est déclaré "prêt à soutenir" le RSA, sous réserve qu'il n'accroisse pas la charge des départements.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Accueil à front renversé pour le financement du RSA

"Une bonne nouvelle" et "un changement d'état d'esprit" pour le délégué général d'Emmaüs France, "une bonne chose" pour le président d'ATD Quart Monde, un financement "plus juste" pour la présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale" (Fnars) : les principaux acteurs de l'insertion ont réagi favorablement à l'annonce d'un financement du RSA assuré pour l'essentiel par une taxe sur le capital. Très hostiles à l'hypothèse - avancée jusqu'alors - d'un financement par redéploiement de la prime pour l'emploi, les associations ont été prises de court par l'annonce du président de la République. Même le montant affecté au RSA, proche de la fourchette haute évoquée depuis plusieurs semaines par Martin Hirsch, semble trouver grâce à leurs yeux. Les associations demeurent toutefois prudentes sur les modalités concrètes de mise en oeuvre de la prestation et de son financement. Emmaüs France estime ainsi que "si on taxe les plans d'épargne des plus pauvres, ce n'est pas forcément une bonne idée". Les acteurs de l'insertion regrettent également que les moins de 25 ans restent à l'écart du dispositif.
L'annonce du financement du RSA a également pris à contre-pied les responsables politiques et les élus. "Cette mesure va dans le bon sens", a déclaré l'Assemblée des départements de France (ADF) dans un communiqué, précisant toutefois qu'elle "attend maintenant du gouvernement une traduction précise et immédiate" avec l'inscription des crédits dans la loi de finances 2009. Les départements se félicitent également de la reconduction du fonds de compensation du RMI, même s'ils estiment qu'elle ne résout pas "la question du règlement de la dette de l'Etat à l'égard des départements concernant le RMI". François Hollande, le premier secrétaire du parti socialiste, a pour sa part reconnu "qu'il y a quand même plus de légitimité à financer les revenus des plus modestes par une contribution des plus riches". A l'inverse, des grincements de dents se font entendre dans la majorité à l'annonce d'un accroissement de la pression fiscale. Les rapporteurs du budget à l'Assemblée nationale et au Sénat critiquent ainsi "des mesures parcellaires et [qui] ne peuvent tenir lieu de stratégie fiscale". Pour sa part, l'ancien Premier ministre Edouard Balladur, tout en saluant la mise en place du RSA, déclare n'être "pas favorable à une éventuelle augmentation d'impôt pour le financer". Même tonalité au Medef, dont la présidente regrette "la méthode et les moyens choisis" tout en jugeant que "le RSA, c'est une bonne approche pour faire en sorte que tous ceux qui ont été exclus du marché du travail puissent le plus vite possible être à nouveau en contact avec l'entreprise, la vie active".
Autre bémol, mais d'une nature différente : François Bourguignon, directeur de la prestigieuse Ecole d'économie de Paris et président du comité d'évaluation du RSA, se félicite de l'adoption de la réforme mais regrette "de ne pas avoir eu assez de temps pour évaluer les expérimentations" en cours dans 34 départements volontaires.