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Enfance - Réserve du Conseil constitutionnel sur l'adoption : une question délicate pour les départements ?

Dans sa décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, publiée au Journal officiel dès le 18 mai. Le Conseil a toutefois assorti sa validation d'une réserve portant sur l'agrément des candidats à l'adoption - qui relève des présidents de conseils généraux - et sur le prononcé de l'adoption par le tribunal.
Le considérant 53 de la décision indique en effet notamment que "les dispositions [du Code de l'action sociale et des familles, NDLR] relatives à l'agrément du ou des adoptants, qu'ils soient de sexe différent ou de même sexe, ne sauraient conduire à ce que cet agrément soit délivré sans que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant qu'implique le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946".

Pourquoi une réserve ?

Cette évocation de l'intérêt supérieur de l'enfant peut surprendre. Certes, elle ne figure pas dans le Code de l'action sociale et des familles (sauf à l'article L.221-1, mais pour justifier le droit de tout enfant de maintenir des liens d'attachement avec d'autres personnes que ses parents), mais un rappel s'imposait-il pour autant ? La décision rappelle d'ailleurs que cette notion est implicitement incluse dans le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (incorporé à celle de 1958) : "La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement." L'invocation explicite ou implicite de l'intérêt supérieur de l'enfant guide d'ailleurs ouvertement les décisions d'agrément et d'adoption.
Cette invocation figure en revanche de façon explicite à l'article 353 du Code civil, prévoyant que "l'adoption est prononcée à la requête de l'adoptant par le tribunal de grande instance qui vérifie dans un délai de six mois à compter de la saisine du tribunal si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant".
Dès lors, pourquoi cette réserve ? Le traditionnel commentaire du Conseil constitutionnel sur ses décisions n'apporte pas vraiment de réponse. On peut penser qu'il s'agit - même si cela peut paraître superfétatoire au regard du principe même de toute loi -, d'assurer une égalité de traitement dans tous les départements. Autrement dit, quelle qu'ait été la position d'un président de conseil général sur le projet de loi, il ne peut désormais fonder ses décisions que sur le seul intérêt supérieur de l'enfant, indépendamment du statut du couple candidat (hétérosexuel ou homosexuel). Ceci vaut pour la décision d'agrément, mais aussi pour les propositions d'enfants ou pour les prises de positions des représentants du département dans le conseil de famille pour les pupilles de l'Etat (présidé par le préfet).

Pas de "droit à l'enfant"

En sens inverse (considérant 52), le Conseil a rejeté l'argument des parlementaires de l'opposition qui estimaient que la loi créait, de fait, un "droit à l'enfant" pour les couples homosexuels. La décision estime en effet que "les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un 'droit à l'enfant' ; qu'elles ne soustraient pas les couples de personnes de même sexe aux règles, conditions et contrôles institués en matière de filiation adoptive".
La notion de l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi réaffirmée par le Conseil constitutionnel interdit toute dérive qui aboutirait à revenir sur le texte et l'esprit de la loi. Mais elle soulève aussitôt une difficulté de taille : il n'existe pas de définition de l'intérêt supérieur de l'enfant et la jurisprudence est restée jusqu'à présent très incertaine sur ce point. L'intérêt supérieur de l'enfant a pu ainsi justifier dans les années récentes, y compris devant la Cour de cassation, un refus d'agrément ou d'adoption par un couple homosexuel (même si, en l'occurrence, l'invocation de l'intérêt supérieur de l'enfant visait l'insécurité juridique de la situation davantage que le principe de l'homoparentalité).
Confronté à des choix - d'autant plus difficiles que le nombre d'enfants adoptables diminue alors que celui des candidats à l'adoption tend à augmenter -, comment un président de conseil général pourra-t-il échapper au soupçon que l'invocation de l'intérêt supérieur de l'enfant pour justifier sa décision ne reflète pas, en réalité, sa préférence pour tel ou tel modèle familial ? Faute d'avoir anticipé la question, il appartiendra au juge de dessiner progressivement, à la lumière de la loi du 17 mai 2013, les contours de cette notion centrale.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : Conseil constitutionnel, décision n°2013-669 DC du 17 mai 2013, loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.

 

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