Rénovation énergétique des bâtiments : les collectivités déplorent leur impuissance
Subalterne. Tel est en substance, selon les représentants des associations d’élus auditionnés au Sénat, le rôle des collectivités territoriales en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Une impuissance selon eux d’autant plus préjudiciable qu’ils jugent inefficaces les politiques publiques actuellement conduites et que la question du logement inquiète.
Des collectivités indispensables, mais impuissantes. C’est à gros traits le constat qu’ont tiré les représentants des associations d’élus, auditionnés ce 11 mai par la commission d’enquête sénatoriale "sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique" sur le rôle des collectivités territoriales en ce domaine. Les débats ayant principalement porté sur la question des logements.
Des collectivités démunies
"C’est la proximité qui fait la bonne connaissance des choses et la capacité de les améliorer", a assuré Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et vice-président de l’Association des maires de France. Il est appuyé par Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon Métropole, représentant de France urbaine, qui a souligné "la nécessité absolue d’être au plus proche des citoyens" en matière de rénovation énergétique – comme dans d’autres. Mais si les "collectivités sont en première ligne", particulièrement sur la question de la précarité énergétique, "elles sont démunies", a estimé Jean-Patrick Masson. Comme les citoyens, elles sont d’abord selon lui confrontées à la trop "grande complexité de dispositifs" par ailleurs "constamment modifiés". "Les solutions ne sont pas assez accessibles pour être efficaces", a pointé à son tour Anne Hébert, vice-présidente de la communauté de communes Côte ouest centre Manche, qui représentait Intercommunalités de France.
Les collectivités ne disposent en outre que de peu d’informations sur leur propre territoire. "C’est très compliqué pour une collectivité d’appréhender la consommation d’énergie sur son territoire", a noté Nicolas Garnier, directeur général d'Amorce, qui relève que la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 n’a permis de leur fournir des informations "que sur les dix principaux points de livraison". Elles n’ont de même guère d’outils pour peser sur les comportements. Guy Geoffroy a ainsi regretté que la récente loi Climat et Résilience n’ait pas octroyé aux collectivités des mesures administratives, singulièrement la possibilité d’appliquer "un malus de taxe foncière" aux propriétaires de logements F et G. Si "tout n’est pas sanction", il a déploré que la loi ne dispose que de "la seule judiciarisation de la relation entre propriétaire et locataire". Un malus également regretté par Nicolas Garnier, qui a aussi déploré le "peu de prise des collectivités pour orienter les aides". "Aujourd’hui, elles sont réduites au rôle d’opérateur pour le compte de l’État", que ce soit avec "le fonds chaleur, où les régions ont l’obligation de respecter les règles fixées par l’Ademe", ou avec "les aides à la pierre, contraintes de suivre l’Anah", a-t-il constaté. Il a dénoncé en outre l’absence d’efficacité des outils de planification à leur disposition : "l’impact du PAECT [Plan air énergie climat territorial] est proche de zéro et les PLU sont incapables d’imposer des choses à ceux qui ne bougent pas, seulement d’avoir une action sur ceux qui font". Et de souligner ainsi que "la capacité de contrôle des collectivités est proche de zéro". "Quand on délivre un permis de construire ou une autorisation de travaux, il n’y a pas de vérification possible", a également fait remarquer Jean-Patrick Masson. Une lacune selon lui d’autant plus préjudiciable qu’en accordant ce blanc-seing, la collectivité donne aux citoyens l’impression de "garantir le résultat".
Des politiques publiques inefficaces
Cette impuissance est pour les intervenants d’autant plus préjudiciable que les politiques publiques actuellement conduites sont "contradictoires, chères et peu efficaces", a grincé Jean-Patrick Masson. Plus encore, il a relevé paradoxalement "une méfiance de plus en plus grande de celui qui souhaite rénover son habitat", qui serait échaudé par des dispositifs comme l’isolation à 1 euro ou le tout pompe à chaleur avec lesquels "les résultats ne sont pas au rendez-vous". Et d’insister sur la nécessaire "neutralité de l’information" et l’institution d’un "tiers de confiance", qui pourrait être l’État ou la collectivité.
À en croire Nicolas Garnier, il n’est pas certain que l’État soit la solution idoine. Dénonçant une "transition énergétique en trompe l’œil", il observe que les rénovations jusqu’ici conduites se résument "à des rénovations monogestes pour la plupart, qui consistent en un changement de mode de chauffage pour la plupart, avec l’installation de pompe à chaleur (PAC) air-air dans la plupart des cas". Un mode de chauffage qu’il juge au passage dangereusement inefficace. "On est en train de rééquiper la France de radiateurs électriques, cela va être un carnage dans quelques années", s’est-il alarmé. Or l’État, "juge et partie", n’est selon lui "pas totalement net" dans cette "transition électrique plutôt qu’énergétique". Il déplore ainsi une "RE 2020 mal orientée, notamment sur le chauffage électrique", un dispositif MaPrimeRenov "très orienté PAC et poêle à bois" ou encore le fait que "la quasi-totalité des conseillers France Rénov ne parlent jamais des réseaux de chaleur". Au-delà, jugeant "mortifère de ne se poser que la question de la production électrique" – renvoyant dos à dos partisans du nucléaire et des renouvelables –, il plaide pour la mise en place d’un "service public de l’énergie qui soit celui de l’efficacité énergétique, et pas de la production et de la fourniture d’énergie. Il faut transformer EDF en Économie de France !".
Urgence climatique… et un logement décent pour tous
La nécessité d’impliquer davantage les collectivités semble d’autant plus nécessaire pour les intervenants que le ciel se fait de plus en plus sombre : "Le problème majeur dans notre pays, c’est celui du logement décent pour tout le monde, c’est le nombre et la qualité des logements disponibles", a remis en perspective Guy Geoffroy. Non sans faire ici écho au ministre Olivier Klein, qui voit dans le logement "la bombe sociale de demain" (voir notre article du 14 avril), ou au Medef, qui plaide pour en faire la nouvelle "grande cause nationale" (voir notre article du 24 avril). Anne Hébert a attiré l’attention sur l’augmentation des logements vacants en centre urbain, qui ne trouvent plus preneurs faute d’avoir été suffisamment rénovés. Et ce, "au-delà des seules passoires thermiques. Aujourd’hui, le coût de l’énergie devient de plus en plus un facteur de choix", a-t-elle noté.
Guy Geoffroy, qui a souligné par ailleurs l’importance "d’inclure la cible du propriétaire occupant", redoute néanmoins que l’interdiction progressive de location des logements insuffisamment performants n’aggrave encore la situation, quand "on sait combien est grande par ailleurs la difficulté de développer le logement neuf, surtout dans le parc social". Il a concédé qu’"il faut fixer un calendrier, des objectifs. Ne pas fixer de date butoir est toujours un problème. Comme devient un problème le fait d’établir un calendrier dont les premières dispositions [très] rapprochées démontrent d’emblée la difficulté de l’atteindre, et donc fragilise la crédibilité du dispositif […]. Nous sommes persuadés, nous acteurs de terrain, que le respect de ce calendrier sera extrêmement difficile", a-t-il alerté. Un calendrier qui n’est d’ores et déjà pas sans conséquence. Le représentant de l’AMF met en avant les risques de contournements, comme la "transformation en meublés", qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, ou la "dénomination en résidence secondaire", qui retirera autant de biens du marché. Jean-Patrick Masson a relevé d’ores et déjà la montée des "non mises sur le marché" des logements classés F et G, qui "accroît l’état de tension".
Reste que les collectivités ne sont pas prêtes à intervenir à n’importe quel prix. Évoquant "les perspectives de décentralisation de compétences esquissées par le président de la République" (voir notre article du 14 février), Guy Geoffroy a prévenu : "Il faut un état des lieux de ce qui a été fait, ou plutôt de ce qui n’a pas été fait, avant d’envisager quoi que ce soit". Et plus encore, d’avertir que "la décentralisation de cette politique publique est inenvisageable sans moyens".