Rénovation énergétique des bâtiments : la Cour des comptes appelle à une meilleure coordination des outils et des acteurs
La Cour des comptes a publié ce 28 octobre un référé adressé à Elisabeth Borne sur les conditions de mise en œuvre de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, qui a mobilisé selon ses calculs plus de 7 milliards d'euros en 2021, hors plan de relance. Elle alerte la Première ministre sur "la nécessité de rationaliser rapidement la définition des objectifs, les moyens mobilisés et le suivi des résultats afin de pouvoir mesurer la performance effective des investissements réalisés".
"Objectifs à préciser", "dispositifs à clarifier", "freins à lever", "pilotage à resserrer", "accompagnement à renforcer à l'aune de la priorité affirmée"… : dans un référé adressé à Elisabeth Borne le 28 juillet dernier et publié ce 28 octobre, accompagné de la réponse de la Première ministre, la Cour des comptes pointe de nombreuses lacunes dans la mise en œuvre de la politique de rénovation énergétique des bâtiments. Au regard des enjeux – disposer d'un parc bâti neutre en carbone et aux normes basse consommation en 2050 – et de la dépense publique mobilisée, évaluée à plus de 7 milliards d'euros en 2021, hors plan de relance, la Cour a souhaité évaluer cette politique qui concerne aujourd'hui l’ensemble du secteur du bâtiment et tous les publics (propriétaires occupants et bailleurs du secteur résidentiel, propriétaires ou bailleurs du secteur tertiaire, de l’immobilier de l’État ou de celui des collectivités territoriales).
"Cohérence insuffisante" entre les différents axes
Les magistrats financiers constatent d'abord "une cohérence insuffisante" entre les quatre principaux axes de la politique publique de rénovation énergétique : le déploiement des nouveaux référentiels de performance énergétique opposables, tels que le diagnostic de performance énergétique (DPE) ou la base de données OPERAT en cours de constitution pour le secteur tertiaire, la labellisation de la filière professionnelle de la rénovation sur le modèle du label "reconnu garant de l'environnement" (RGE), la mise en route du service France Rénov' ainsi que les outils incitatifs et normatifs visant à déclencher la décision de rénovation chez les propriétaires.
Selon la Cour, ce manque de cohérence tient d'abord au fait que "la notion même de rénovation énergétique reste imprécise" malgré l'adoption de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Elle peut en effet "recouvrir différentes formes d'intervention, depuis la réalisation de gestes de rénovation isolés et non-coordonnés dans un projet global, jusqu'à une opération d'ensemble, au coût élevé, visant en une seule fois l'atteinte d'un objectif de performance énergétique dont les résultats seraient mesurés". En outre, rappelle la Cour, ces dispositifs "ont fait l'objet de réformes fréquentes qui ont nui à leur lisibilité". Elle cite ainsi les "dispositifs qui ne couvrent pas toujours les mêmes gestes" (à l'instar des taux de TVA réduits) et les "règles de cumul" des aides qui "ne sont ni stabilisées, ni aisément compréhensibles pour les usagers". Tout en saluant "les efforts récents" avec la mise en place d'une unique prime de transition énergétique – MaPrimeRénov -, les Sages affirment que cette prime ne répond que "partiellement à la simplification souhaitée". En effet, "de nombreux paramètres déterminent les critères d'éligibilité et les conditions de cumul notamment avec les certificats d'économie d'énergie qui ne font pas toujours l'objet d'un suivi".
La Cour des comptes préconise ainsi de "clarifier les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique en simplifiant la description des gestes de rénovation concernés et en précisant les règles de cumul". Dans sa réponse, en date du 27 octobre, Elisabeth Borne souligne que "des travaux sont en cours pour lever les freins à la rénovation énergétique. Par exemple, en matière de règles d'urbanisme, des actions ont d'ores et déjà été engagées sur la formation des acteurs, l'information ou l'accompagnement des ménages par les organismes locaux tels les Conseils d'architecte, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE)."
Besoin de pilotage "fort et efficace"
Il manque également à la politique de rénovation énergétique un "pilotage fort et efficace" et un "service public de l'accompagnement efficient sur l'ensemble du territoire national", estime la Cour des comptes. Qu'il s'agisse de la rénovation du parc résidentiel ou tertiaire, un grand nombre d'acteurs gravite autour de ces politiques publiques – direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), ministère chargé du logement, Caisse des Dépôts, secrétariat général pour l'investissement (SGPI), direction de l'immobilier de l'Etat (DIE), Anah, Ademe.... Or, "la coordination de toutes ces parties prenantes, auxquelles il faut ajouter notamment les entreprises du bâtiment, a été jusqu'à présent insuffisante", estime la juridiction financière. Elle regrette ainsi que la mission interministérielle de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, qui a été créée en 2019 pour assurer ce travail de coordination soit dotée "de faibles moyens" et "pas équipée pour assumer le pilotage national de la politique de rénovation énergétique".
Complexité des structures d'accompagnement
Elle émet également des critiques sur la complexité des structures chargées d'accompagner les bénéficiaires d'aides à la rénovation. Plateformes territoriales de la rénovation énergétique, service d'accompagnement à la rénovation énergétique, guichets du réseau Faire... "l'articulation entre les différentes plateformes n'est pas assurée et la réunion des différents réseaux sous le label 'France Rénov' au début de l'année 2022 n'a pas encore permis de clarifier les rôles et les missions des différentes structures", relève la Cour.
"Un plan de transition vers l'Anah, à qui incombe désormais l'articulation des différents systèmes de guichets, dont France Rénov' est la suite, assure Elisabeth Borne dans sa réponse à la Cour. Il s'accompagne très concrètement de la mise en place d'un numéro de téléphone unique recevant plus de 20.000 appels par semaine et d'une nouvelle plateforme digitale france-renov.gouv.fr recevant près de 100.000 visites hebdomadaires. Un plan de convergence des missions des conseillers France Rénov' permettant de consolider l'offre de service public à destination de nos concitoyens est également en cours." Pour notamment "augmenter le nombre de rénovations plus ambitieuses, France Rénov' sera complété par un accompagnement des ménages sous la désignation Mon Accompagnateur Rénov' à compter du 1er janvier 2023", poursuit la Première ministre.
Dispositif de suivi de l'efficacité de la politique menée à renforcer
Le suivi de l’efficacité de la politique publique de rénovation énergétique est "limité, alors même que les engagements financiers publics sont élevés", pointe aussi la Cour. D'après la juridiction financière, la rénovation énergétique a été soutenue à hauteur de sept milliards d'euros en 2021, "en prenant en compte, outre les dépenses publiques en partie sous-évaluées – notamment les aides des collectivités territoriales – le financement par les certificats d’économie d’énergie principalement assuré par les fournisseurs d’énergie (électricité, gaz naturel, produits pétroliers), qui en répercutent le coût sur le consommateur final. S'y ajoutent les 6,3 milliards d'euros du plan de relance, versés entre 2021 et 2022. Mais la mesure de l'impact de ces financements "est particulièrement complexe et, en l'état des données disponibles, quasiment hors d'accès". Les magistrats appellent ainsi les administrations compétentes à "s'assurer de l'opérationnalité des bases concernées" et à "réaliser un audit de la donnée".
Selon la cheffe du gouvernement, "la capitalisation des travaux de l'Observatoire national de la rénovation énergétique par les opérateurs et les administrations permettra, dès 2023, de produire des indicateurs conventionnels de suivi plus réguliers et au fil de l'eau". Elisabeth Borne annonce en outre que l'ONRE conduira en 2023 "la première enquête nationale [...] à grande échelle (200.000 logements) auprès d'un échantillon de particuliers, de propriétaires bailleurs et de syndics". L'objectif sera de "collecter des informations sur les travaux de rénovation aidée ou non". Un autre outil de suivi est en cours de construction, au sein du CGDD, "pour proposer des indicateurs de suivi à l'échelle intercommunale de la rénovation énergétique, de la précarité énergétique et de la démographie des logements et des entreprises".