Fin de parcours pour la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique
Le Sénat a définitivement rejeté ce 3 mai en séance publique la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique. Un texte jugé "à contretemps", et dont les dispositions seraient "soit contreproductives, soit déjà satisfaites par le droit existant". Auteur de la proposition de loi, le sénateur Rémi Cardon insiste sur l’urgence à agir, évoquant même la perspective pour les communes rurales de se muer en "musées à ciel ouvert".
Comme en commission des affaires économiques (voir notre article du 12 avril), le Sénat a rejeté en séance publique ce 3 mai la proposition de loi de Rémi Cardon (Somme, SER) visant à résorber la précarité énergétique. Les sénateurs ont voté contre l’ensemble des articles (343 votants, 338 exprimés, 101 pour et 237 contre), rendant caduc le vote sur l’ensemble du texte.
Un texte jugé "à contretemps"…
Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques de la Chambre haute et qui a mené la lutte contre le texte, a souligné que l’objectif recherché n’était pas en cause alors que "la situation s’est aggravée" et que la rénovation globale des logements, objectif visé par la proposition, "reste à entreprendre". Mais elle a regretté un "texte qui arrive à contretemps, en avance de phase de deux échéances importantes". D’une part, la publication – prévue fin juin – des conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation des bâtiments, créée "à la demande du groupe écologiste" et qu’elle préside. D’autre part, "la nouvelle loi de programmation quinquennale sur l’énergie" attendue pour la mi-2023 (voir notre article du 26 avril). "Nous aurions préféré un renvoi en commission", a-t-elle indiqué, regrettant que l’auteur de la proposition n’ait pas choisi cette voie et rejetant l’accusation de ce dernier selon lequel la commission aurait empêché d’amender le texte.
… et mal dirigé
Dans une passe d’armes avec Rémi Cardon, la sénatrice a également jugé que le texte comportait "soit des mesures contreproductives, soient déjà satisfaites par le droit existant". Au rang des premières, le reste à charge zéro, "alors que la plupart des acteurs rejettent cette idée", ou l’extension à 6 ans de la période au cours de laquelle pourrait être conduite une rénovation globale, alors que "tous les acteurs préconisent des délais courts". S’agissant des secondes, Dominique Estrosi Sassone évoque l’identification des ménages en difficulté, la loi prévoyant "déjà la transmission des audits et des diagnostics de performance énergétique à l’Ademe et à tous les acteurs de l’aide sociale", ou encore le fait qu’avec Geodip (voir notre article du 26 mai 2021), l’Observatoire national de la précarité énergétique dispose déjà d’un outil de cartographie.
Le gouvernement également hostile
Le texte était d’autant plus mal embarqué qu’il n’a pas reçu le soutien du gouvernement. Le ministre délégué chargé de la ville et du logement a estimé que "beaucoup a été fait pour lutter contre la précarité énergétique" – confirmant le chiffre de 70.000 rénovations performantes déjà réalisées, remis en cause par Rémi Cardon –, même s’il a souligné que l’action doit se poursuivre, et se poursuit. "Gouvernement et Parlement sont au travail avec plusieurs échéances qui ne rendent pas pertinent l’examen de ce texte", a-t-il indiqué à son tour, évoquant la planification écologique sous l’égide de la Première ministre (voir notre article du 21 octobre 2022), la restitution, le 9 mai prochain, des travaux du Conseil national de la refondation du logement (voir notre article du 2 décembre 2022) ou la commission d’enquête sénatoriale. Olivier Klein a notamment mis en exergue "le lancement d’une concertation avec les parties prenantes de France Rénov’ sur l’avenir du réseau et de son financement", la prolongation d’un an du programme Sare, la formalisation en cours "d’un cadre de contractualisation plus simple", l’ouverture en début de semaine de la plateforme d’agrément des accompagnateurs Rénov’, la création d’un nouveau programme de certificats d'économies d'énergie (CEE) pour financer Mon accompagnateur Rénov’, l’installation le 13 avril d’un comité des partenaires de la rénovation du parc locatif privé ou encore l’objectif fixé par la Première ministre le 26 avril dernier d’atteindre un guichet France Rénov’ par intercommunalité d’ici 2025.
Sur le fond, il a par ailleurs plaidé pour les rénovations par gestes, "qui permettent de concrétiser une première étape et d’emmener les personnes réticentes sur le chemin de la rénovation énergétique". Enfin, même s’il "entend les doutes et les inquiétudes sur le calendrier de la loi Climat" d’interdiction progressive des passoires thermiques, il a affirmé sa volonté de ne pas repousser les échéances : "Tenir le calendrier, c’est tenir la promesse faite aux occupants des passoires thermiques […]. Tenir le calendrier, c’est la crédibilité de la parole publique, qu’il ne faut surtout pas entamer sur un sujet aussi grave."
Les communes rurales, des musées à ciel ouvert ?
Des discours qui ne sont pas de nature à convaincre l’auteur de la proposition de loi, qui juge que si "les travaux de la commission d’enquête sont nécessaires", l’urgence prévalait. "Si les objectifs de rénovation énergétiques prévus en 2008 [dans le cadre du Grenelle de l’environnement] avaient été tenus, la France économiserait déjà l’équivalent de ses importations de gaz russes", a-t-il observé, en relevant en outre que "tous les indicateurs sur la rénovation globale sont en baisse en 2022". Et d’avertir en conclusion qu’avec le cumul "de la disparition des logements les plus énergivores et des effets du zéro artificialisation nette, les communes rurales pourraient devenir des musées à ciel ouvert des habitats d’antan".