Relance du nucléaire : la loi publiée au Journal officiel
La loi relative "à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes" a été publiée au Journal officiel ce 23 juin. Elle prévoit notamment de simplifier plusieurs étapes du parcours d’autorisation d’un projet de réalisation d’un réacteur - concertation du public, déclaration d’utilité publique, mise en compatibilité des documents d’urbanisme, autorisations d’urbanisme ou autorisation environnementale.
Deux jours après la validation de la plupart de ses dispositions par le Conseil constitutionnel (voir notre article du 22 juin 2023), la loi relative "à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes" a été publiée au Journal officiel ce 23 juin.
Le texte largement adopté par le Parlement à la mi-mai vise à faciliter la construction de trois séries de deux EPR 2 (à Penly, à Gravelines et dans la vallée du Rhône, à Bugey ou Tricastin) à l'horizon 2035, comme Emmanuel Macron en a pris l’engagement, en février 2022 à Belfort. Il actualise la planification énergétique en supprimant l'objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2035, de même que le plafonnement de la capacité de production nucléaire à 63,2 gigawatts. La Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) devra être révisée en conséquence.
Autorisation d'exploitation facilitée
La loi simplifie le processus d’autorisation des réacteurs nucléaires en établissant que l’autorisation de création tient lieu d’autorisation d’exploitation s’agissant des installations nucléaires de base produisant de l’électricité et en supprimant le délai de 18 mois maximum entre la demande d’autorisation d’exploiter et la date de mise en service (article 2). Elle supprime en outre l’article L.311-5-2 du code de l’énergie qui dispose que lorsqu’une installation de production regroupe plusieurs unités de production dont la puissance unitaire dépasse 800 mégawatts, l’autorité administrative délivre une autorisation d’exploiter par unité de production.
Le texte (art.5) prévoit que le gouvernement devra remettre au Parlement, "avant le dépôt du prochain projet de loi [de programmation énergie-climat]", soit avant l’automne 2023, "un rapport visant à évaluer les conséquences de la construction de quatorze réacteurs électronucléaires sur :
- la situation des industriels de la filière nucléaire française, dont le groupe EDF, du marché de l’électricité et des finances publiques ;
- les besoins en termes de formation initiale et continue, de métiers, de compétences, d’ingénierie et d’organisation des services de l’État et de la filière industrielle nucléaire ainsi que sur les mesures à prendre pour revaloriser et renforcer l’attractivité de ces formations, métiers et compétences ;
- la sûreté et la sécurité nucléaires ;
- l’amont et l’aval du cycle du combustible, notamment sur l’approvisionnement en uranium et en matières premières critiques, sur la revalorisation du combustible usé, sur les améliorations possibles en matière de gestion et de réduction des déchets et sur la définition du niveau de matières nucléaires recyclées à utiliser dans la production d’électricité d’origine nucléaire ;
- le périmètre d’action et les moyens, notamment d’information, des commissions locales d’information.
Le rapport détermine également "les capacités de construction de réacteurs électronucléaires supplémentaires, notamment en cas de développement accéléré de l’activité industrielle française".
Régime dérogatoire pour accélérer la construction de réacteurs
L’article 7 correspond à l’article cadre de l’ensemble des articles du titre II de la loi, relatifs au régime "dérogatoire temporaire et circonscrit géographiquement" qui est créé pour accélérer la construction de réacteurs électronucléaires. Il définit d’abord la "réalisation d’un réacteur électronucléaire", laquelle comprend "l’ensemble des constructions, des aménagements, des équipements, des installations et des travaux liés à sa création ou à sa mise en service ainsi que ses ouvrages de raccordement au réseau de transport d’électricité". Sont également concernés "les installations ou les aménagements directement liés à la préparation des travaux en vue de la réalisation de celui‑ci". L’article précise ensuite que le titre II "s’applique à la réalisation de réacteurs électronucléaires, y compris de petits réacteurs modulaires, dont l’implantation est envisagée à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une installation nucléaire de base existante" et pour lesquels la demande d’autorisation de création est "déposée au cours des 20 ans qui suivent la promulgation de la présente loi", soit 2043.
Un décret en Conseil d’État précisera "la notion de proximité immédiate", sachant que celle-ci "ne peut excéder le périmètre initial du plan particulier d’intervention existant" lorsque l’installation nucléaire de base existante en dispose. Le titre pourra s’appliquer également aux projets d’installation d’entreposage de combustibles nucléaires. Cela se fera à la demande du porteur de projet et pourra concerner "tout ou partie des dispositions prévues". Le ministère chargé de la sûreté nucléaire pourra prendre un arrêté en ce sens dès lors que le projet remplira une série de conditions : projet ayant vocation à entreposer principalement des combustibles nucléaires ayant été irradiés dans des réacteurs électronucléaires, projet situé à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une installation nucléaire de base existante, demande d’autorisation déposée avant 2043.
L’article prévoit encore deux autres rapports du gouvernement. Le premier, à publier dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi, porte "sur la faisabilité et l’opportunité d’étendre l’application des mesures prévues au présent titre à d’autres types de réacteurs nucléaires et à d’autres conditions d’implantation géographique que ceux mentionnés [dans le] présent article". Le second, à publier dans un délai d’un an puis tous les quatre ans, porte sur l’application des mesures du titre II, afin notamment que le gouvernement explique d’éventuels "écarts" avec les objectifs qu'il a fixés ainsi que les moyens mis en œuvre pour les atteindre.
Parcours d'autorisation de réalisation simplifié
Les articles 8 à 18 visent à simplifier plusieurs des différentes étapes du parcours d’autorisation d’un projet de réalisation d’un réacteur : concertation du public, déclaration d’utilité publique, mise en compatibilité des documents d’urbanisme, autorisations d’urbanisme, autorisation environnementale, autorisation de création d’une installation nucléaire de base, autorisation d’exploiter puis autorisation de mise en service. Ces simplifications doivent permettre des gains de temps estimés (par l’exploitant) entre douze et quatorze mois pour l’article 8, à trois mois pour l’article 9, à 24 mois pour l’article 11, à environ cinq mois pour l’article 14 et à plus de douze mois pour l’article 15.
Dans le détail, l’article 8 prévoit la simplification de la mise en compatibilité des documents d’urbanisme avec un projet de réalisation d’un réacteur électronucléaire, grâce à sa qualification de projet d’intérêt général. L’article 9 prévoit des simplifications du régime d’autorisation d’urbanisme des réacteurs électronucléaires, ainsi que l’exemption de ces installations du décompte de l’objectif de "Zéro artificialisation nette" (ZAN) pour les collectivités locales.
L’article 10 prévoit un rapport du gouvernement au Parlement "sur les conséquences de la mise en œuvre des règles définies par la circulaire du 17 février 2010 relative à la maîtrise des activités au voisinage des installations nucléaires de base susceptibles de présenter des dangers à l’extérieur du site sur les projets d’urbanisation à proximité d’un réacteur électronucléaire" et qui "évalue l’opportunité et la faisabilité de faire évoluer ces règles".
L’article 11 modifie la procédure d’autorisation environnementale, qui sera désormais délivrée par décret simple (et non plus arrêté préfectoral). Elle doit permettre une anticipation de certains travaux, constructions, aménagements ou installations de nature préparatoire dès la délivrance de l’autorisation environnementale (qui porte sur les impacts environnementaux) et non plus après la délivrance de l’autorisation de création (qui porte sur les enjeux de sûreté nucléaire).
L’article 12 accorde la reconnaissance du caractère de la raison impérative d’intérêt public majeur, dite RIIPM, aux réacteurs nucléaires, sous certaines conditions de puissance et de type de technologie qui seront définies par décret. Cette présomption de RIIPM a déjà été conférée à certains projets d'énergies renouvelables par la loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables publiée le 11 mars dernier.
L’article 13 permet aux projets de réacteur électronucléaire, ainsi qu’aux ouvrages de raccordement au réseau de transport d’électricité prévus à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’un tel réacteur, de déroger aux dispositions d’urbanisme issues de la loi Littoral. Une clause de revoyure est prévue par le biais d’un rapport, remis tous les quatre ans au Parlement, afin de lui présenter les dispositions mises en œuvre par les exploitants et les porteurs de projets de réacteurs électronucléaires ainsi que par RTE pour l’enfouissement des infrastructures de transport d’électricité.
L’article 14 permet, à titre dérogatoire, d’accorder la concession d’utilisation du domaine public maritime nécessaire aux projets de construction de réacteurs électronucléaires situés en bord de mer et aux ouvrages de raccordement au réseau de transport d’électricité qui y sont liés à l’issue de l’enquête publique et sans déclaration d’utilité publique préalable.
L’article 15 permet d’appliquer la procédure d’expropriation avec prise de possession immédiate prévue par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dans le cadre de la réalisation d’un réacteur électronucléaire.
L’article 16 accorde des pouvoirs de régularisation au juge administratif, lorsque celui-ci est saisi d’un litige formé à l’encontre d’un acte administratif afférent à un projet de réacteur électronucléaire.
Selon l’article 18, les conditions d’application du titre II sont précisées par décret en Conseil d’État.
Installations existantes
Le titre III de la loi regroupe les mesures relatives au fonctionnement des installations nucléaires de base existantes. L’article 20 vise ainsi à résoudre les difficultés liées au cadre juridique actuel relatif à l’exploitation des réacteurs existant au-delà de leur trente-cinquième année (et qui concerne à ce stade huit sites : Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre-en-Burly, Gravelines, Saint‑Laurent-des-Eaux et Tricastin). Il élargit notamment le périmètre de l’enquête publique et rend possible de réaliser des modifications avant la fin de l’enquête publique (elles donneront lieu alors à une consultation du public). L’article 21 vise à renforcer les obligations pesant sur l’exploitant s’agissant du changement climatique et de ses effets et de la cybersécurité. L’article 22 supprime la règle selon laquelle "si une installation nucléaire de base cesse de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans, son arrêt est réputé définitif" (article L593-24 du code de l’énergie). Désormais, un décret sera pris en Conseil d’État, "après avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et après que l’exploitant a été mis à même de présenter ses observations", pour ordonner la mise à l’arrêt définitif d’une installation nucléaire de base "ayant cessé de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans".
La loi prévoit en outre qu'avant le 31 décembre 2026, le gouvernement remette au Parlement un rapport relatif à la faisabilité, aux coûts, aux bénéfices et aux conditions de la poursuite du fonctionnement jusqu’à 60 ans et au‑delà des réacteurs électronucléaires en fonctionnement en France au 1er janvier 2023 (article 28). Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de loi, le gouvernement devra aussi remettre au Parlement un rapport détaillant les dispositions prévues par les exploitants des réacteurs électronucléaires pour assurer une gestion économe et optimisée de la ressource en eau, au regard des meilleures techniques disponibles dans le domaine. Ce rapport visera à rendre compte de l’application des recommandations faites à l’État par la Cour des comptes dans son rapport sur l’adaptation au changement climatique du parc des réacteurs nucléaires, publié en mars dernier (article 30) - lire l'encadré de notre article du 22 mars dernier.
Référence : loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, JO du 23 juin 2023, texte n°1. |