Le projet de loi pour accélérer sur le nucléaire présenté en conseil des ministres
Le gouvernement a présenté ce 2 novembre en conseil des ministres son projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, au moment où commence le débat public sur la place de l'atome en France.
Alors que les sénateurs entament l'examen en séance du projet de loi sur l'accélération des énergies renouvelables (voir notre article du 27 octobre 2022), le gouvernement a présenté ce 2 novembre en conseil des ministres l'autre texte promis par Emmanuel Macron le 22 septembre dernier (voir notre article du 22 septembre 2022) visant à donner une nouvelle impulsion au nucléaire. Pour faire face à l'accroissement du besoin d'électricité qui doit permettre au pays de s'extraire des énergies fossiles, le président de la République soutient la construction de six réacteurs EPR de nouvelle génération et une option pour huit autres, avec en parallèle l'essor des énergies renouvelables, solaire et éolien marin d'abord.
"Si nous voulons à la fois avoir une indépendance énergétique mais également tenir nos objectifs climatiques, il faut remplacer les énergies fossiles par des énergies bas carbone. Le nucléaire est aujourd'hui l'énergie le plus bas carbone de toutes les solutions dont nous disposons", a justifié le 28 octobre la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, lors d'une visite à la centrale de Chinon (Indre-et-Loire).
Implantation sur des sites de centrales existantes
Installés sur les sites de centrales existantes, les futurs EPR seraient implantés, pour les deux premiers à Penly (Seine-Maritime). Deux autres le seraient à Gravelines (Nord). La localisation de la troisième paire n'est pas tranchée, la vallée du Rhône (Bugey ou Tricastin) étant envisagée.
Le projet de loi présenté mercredi, qui sera examiné en première lecture à l'Assemblée nationale début 2023, vise à "gagner du temps", en simplifiant les procédures administratives, tout en garantissant "le plein respect du principe de participation du public tel qu'inscrit dans la Charte de l'environnement", a affirmé le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à l'issue du conseil des ministres. "Pour chaque EPR, il y aura au moins un débat public préalable et deux voire trois enquêtes publiques seront réalisées", a-t-il souligné. Emmanuel Macron pourrait ainsi en poser la première pierre avant la fin de son mandat en 2027, même si la mise en service du premier EPR ne pourra se faire avant 2035, voire "à l'horizon 2037", selon l'estimation d'un audit gouvernemental. La France, qui dépend du nucléaire pour environ 70% de son électricité, avait décidé en 2015 de diversifier ses sources d'approvisionnement en fermant 14 de ses 58 réacteurs (deux ont déjà fermé), avant un revirement annoncé par le président fin 2021.
Procédures d'autorisation revues
Dans le détail, pour accélérer les projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires, le projet de loi vise à rendre possible la mise en compatibilité des documents locaux d’urbanisme de façon plus rapide. Il permet aussi de garantir le contrôle de la conformité au respect des règles d’urbanisme dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale ou d’autorisation de création du réacteur, tout en dispensant de permis de construire les installations et travaux portant sur la création d’un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation, indique le communiqué du conseil des ministres.
Il permet également de mener en parallèle, à compter de l’obtention de la première autorisation environnementale, l’instruction de l’autorisation de création et les activités préliminaires à la construction d’un nouveau réacteur (terrassement, clôtures ou parkings nécessaires au chantier, constructions de locaux annexes). Les activités liées à la spécificité du nucléaire, par exemple la construction de bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires, ou le bâtiment réacteur ne pourront débuter qu’une fois validée l’autorisation de création.
À l’instar du projet de construction de la première paire d’EPR2 envisagé à Penly, le texte permet la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en bord de mer, à condition qu’ils soient construits à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’un réacteur électronucléaire existant.
"Au regard de l’intérêt particulier pour la Nation de ces projets nucléaires, tant en termes de lutte contre le changement climatique que de sécurité énergétique, ce texte prévoit aussi la possibilité de mesures d’expropriation avec prise de possession immédiate pour les projets de réacteurs électronucléaires reconnus d’utilité publique, afin de sécuriser l’accès au foncier", indique encore le communiqué.
Avis critique du Conseil national de la transition écologique
Consulté obligatoirement pour avis, le Conseil national de la transition écologique (CNTE), qui regroupe notamment syndicats, patronat, associations d'élus locaux et ONG environnementales, a "regretté les délais insuffisants" qui lui ont été laissés pour se prononcer sur ce projet de loi. Le CNTE note en outre que ce texte de loi "ne saurait préjuger des conclusions du débat public".
"Ce texte porte sur les procédures administratives, il ne porte pas sur combien d'EPR dans notre mix énergétique en 2050", a affirmé Agnès Pannier-Runacher mercredi sur France Inter, se défendant de tout fait accompli, et relevant que ce sujet des EPR fait l'objet d'un débat public "qui va associer tous les Français qui le souhaitent". Mais "je construis les chances de succès pour les énergies renouvelables et pour le nucléaire en faisant en sorte qu'on puisse simplifier les procédures. En France, les procédures ne sont pas toujours très simples. Donc j'anticipe", a-t-elle dit.
Concertations en cours
In fine il reviendra aux parlementaires de voter à compter du second semestre 2023 la stratégie énergétique de la France. D'ici là, les Français pourront s'exprimer jusqu'au 27 février sur la construction des six EPR, au cours d'un débat public, obligation légale pour EDF.
Une autre concertation plus large sur l'énergie est en outre organisée par le gouvernement jusqu'au 31 décembre, notamment en ligne. À ce jour, 7.000 contributions ont été reçues, a indiqué la ministre de la Transition énergétique, pour qui "c'est la première fois qu'on fait une consultation aussi large et qu'on pose les questions de manière aussi claire : combien on consomme en 2050, quel mix énergétique on veut et comment on le finance".
Ces deux processus pourront s'appuyer sur les scénarios à 2050 du gestionnaire du réseau RTE et de l'Ademe. Tous ces scénarios incluent une poussée des énergies renouvelables, avec une part variable de nucléaire (ou pas de nucléaire du tout, ce qui toutefois obligerait à des mesures très volontaristes de sobriété).
À noter aussi, au chapitre des préparatifs de la future stratégie énergétique, la mise en place d'une délégation interministérielle pour le nouveau nucléaire, incluant Bercy et la Transition énergétique, sous l'autorité de la Première ministre. Avec "10 à 15 personnes sur les premières années", dirigée par Joël Barre, venu de la direction générale de l'Armement, elle aura "un rôle de coordination des administrations, pour s'assurer que tout le monde se met en ordre de marche pour faire avancer le programme", a-t-on expliqué au ministère. L'État pourra ainsi avoir des "interactions directes et de haut niveau avec EDF pour jouer son rôle de supervision" afin de "ne pas réitérer l'expérience de Flamanville", seul EPR en construction en France, qui accuse onze ans de retard et des dépassements budgétaires astronomiques.