Projet de loi d'accélération du nucléaire : l’Assemblée s’empare à son tour du texte
L’Assemblée nationale a bouclé, dans la nuit du 16 au 17 mars, l’examen en première lecture des articles du projet de loi d'accélération du nucléaire. Déjà largement modifié au Sénat, le texte a également subi de nombreux correctifs lors de son passage dans l’hémicycle, dont les débats auront notamment été marqués par le revers du gouvernement sur la réforme controversée de la gouvernance de la sûreté nucléaire. Une partie des amendements adoptés concernent les procédures et documents d'urbanisme
L’Assemblée nationale a consacré la quasi-totalité de la semaine du 13 mars à l’examen, en première lecture, du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, précédemment adopté au Sénat le 24 janvier.
De nouvelles retouches ont été apportées à un texte déjà largement amendé après son passage en commission. Les nombreux amendements votés en commission des affaires économiques - 172 au total - ont notamment conduit à conserver cinq des huit articles ajoutés au Sénat, ceux qui allaient "dans le sens de la simplification et de l’efficacité". Les députés ont ainsi entériné la suppression des verrous introduits sous le quinquennat de François Hollande (objectif de réduction à 50% la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique français d'ici à 2035 et plafonnement de 63,2 GW). "Ce n'est pas une loi programmatique, nous souhaitons qu'il n'y ait ni plancher ni plafond", a clarifié la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Suivant cette ligne, l'Assemblée a supprimé l’article 1er B, qui modifiait plusieurs objectifs de la politique énergétique aux horizons de 2030 et 2050 relatifs à la production d’électricité d’origine nucléaire et à l’hydrogène bas-carbone.
Deux autres articles introduits au Sénat ont été retranchés du texte par la commission. C’est le cas de l’article 7 ter qui prévoyait la remise d’un rapport sur la mutualisation des recettes fiscales liées à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, en lien avec l’objectif du "zéro artificialisation nette" (ZAN). Idem pour l’article 9 ter qui permettait de son côté de faire bénéficier les installations nucléaires de base existantes des mesures prévues à l’article 3 concernant la dispense d’autorisation d’urbanisme.
Camouflet sur la réforme de la sûreté nucléaire
La commission des affaires économiques a par ailleurs adjoint cinq autres articles au texte pour prévoir des rapports supplémentaires (articles 1er E, 1er F, 3 bis) et surtout dans la perspective de rapprochement de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) (articles 11 bis et 11 ter). Sur ce volet, le gouvernement a toutefois été mis en échec par le vote en séance de plusieurs amendements identiques - défendus par la gauche, le groupe Liot et jusque dans les rangs de la majorité par quelques députés - visant à préserver cette organisation duale. Un sujet particulièrement clivant sur lequel la ministre a finalement renoncé à demander une seconde délibération de l’Assemblée. Quant à la durée d’application du régime dérogatoire pour la réalisation de réacteurs électronucléaires (art. 1er), la commission l’a finalement ramenée de 27 à 20 ans (ce qui correspondait d’ailleurs à la durée retenue par le Sénat en commission).
Mise en compatibilité des documents d’urbanisme
Sur le reste du texte, les députés de tous bords ont notamment contribué à l'ajout de compléments aux objets des très nombreux rapports désormais exigés par le texte, qu'il s'agisse des conséquences de la construction de nouveaux EPR en France (1er D), du système éducatif et de la formation professionnelle dans la filière nucléaire (1er E) ou du choix de construire des réacteurs électronucléaires de type EPR 2 (1er F).
L’article 2 qui prévoit un cadre simplifié de mise en compatibilité des documents d’urbanisme avec les projets de réacteurs électronucléaires a également été modifié à la marge. Une série d’amendements identiques LR, Modem, Liot et Renaissance réintroduit une disposition adoptée au Sénat puis supprimée en commission par les députés, pour prévoir une information de la région et du département, qui ne sont pas compétents en matière d’urbanisme, de la nécessité d’une mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Le gouvernement a aussi apporté une précision en séance sur la manière dont le projet de mise en compatibilité est mis à disposition du public lui permettant de formuler des observations dès lors qu'il ne fait pas l’objet d’une évaluation environnementale. "Ces observations sont enregistrées et conservées", ajoute-t-il. Il était par ailleurs revenu en commission sur la précision introduite lors de l’examen du texte par le Sénat, selon laquelle la qualification de projet d’intérêt général (PIG) ne peut intervenir qu’à la condition de l'intervention préalable du bilan du débat public organisé par la commission nationale du débat public.
À l’article 3, la commission a en outre voté la suppression des dispositions introduites par le Sénat excluant l'éventuelle artificialisation résultant des nouveaux réacteurs de l'objectif ZAN. À cet article toujours, elle a rétabli l’établissement de l’autorisation de création du réacteur électronucléaire comme fait générateur unique de la taxe d’aménagement. Ont fait les frais de la navette les dispositions introduites par le Sénat précisant le contenu du décret en Conseil d’État qui doit encadrer la nouvelle procédure de vérification de la conformité des projets de réacteurs électronucléaires aux règles d’urbanisme applicables.
Présomption de reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM)
À l’article 4, les éléments relatifs aux compléments à prévoir à l’étude d’impact ont eux aussi été supprimés au stade de la commission. Un ajout est cependant à relever - obtenu par la rapporteure pour la commission du développement durable, Christine Decodts - pour prévoir l’information de la commission locale d’information territorialement compétente dès l’introduction de la demande d’autorisation environnementale. Après l’article 4, les députés ont introduit en séance un article additionnel à l’initiative du chef du groupe LR, Olivier Marleix, pour reconnaître une "raison impérative d'intérêt public majeur" (RIIPM) aux réacteurs, sous certaines conditions de puissance, de façon à accélérer la mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Le gouvernement qui l’envisageait au départ dans le texte initial y aurait renoncé suite aux réserves du Conseil d’État. Il s’agit de remédier à une "iniquité" par rapports à certains projets d’énergies renouvelables, sachant que cette facilité figure dans la loi d’accélération de la production d’ENR, promulguée le 11 mars.
À l'article 7, le champ de la procédure expropriation dérogatoire avec prise de possession immédiate à la construction de réacteurs électronucléaires a été restreint en séance par un amendement LFI (identique à celui de la rapporteure Maud Bregeon) de façon à exclure les installations ou aménagements préparatoires aux travaux.
Après l’article 7 ter, un nouvel article introduit par le groupe LR prévoit une cartographie des sites potentiels d’installation de petits réacteurs modulaires pour peser les avantages et inconvénients de chacun des sites concernés.
L’analyse du rapport de réexamen décennale ainsi que les éventuelles prescriptions émises par l’ASN seront quant à elles rendues publiques, au termes d’amendements identiques (Liot et Socialistes) à l’article 9.
L’Assemblée a par ailleurs voté à l’article 13 le durcissement des sanctions applicables en cas de délit d’intrusion dans les centrales, au grand dam de la gauche qui redoute un frein aux actions de militants antinucléaires ou de lanceurs d’alerte. Le groupe écologiste a néanmoins obtenu la suppression de l’alinéa 8 (avec avis favorable du gouvernement) qui prévoyait notamment la dissolution d’une personne morale dont un représentant serait rentré illégalement sur un site. En commission, les députés avaient souhaité conserver l’aggravation des peines d’emprisonnement adoptée par le Sénat mais en modérant cette hausse.
Délégation parlementaire au nucléaire civil
Un nouveau titre IV intitulé "Renforcer la transparence démocratique sur le nucléaire" vient compléter le texte pour prévoir la création d’une délégation parlementaire au nucléaire civil commune aux deux chambres (quatre députés et quatre sénateurs, dont au moins un député et un sénateur issus d’un groupe d’opposition). "Les enjeux relatifs au nucléaire sont nombreux, notamment en matière de capacités industrielles, de construction de nouveaux EPR, de moyens humains et financiers, de cycle du combustible, de gestion des déchets, il est important que les parlementaires soient au cœur de ces débats et suivent ces questions", avait fait valoir la députée socialiste Marie-Noëlle Battistel pour soutenir cet amendement.
Les trois derniers articles additionnels introduits en séance concernent tous l’ajout de rapports du gouvernement au Parlement : relatif aux conditions de la poursuite de fonctionnement des réacteurs actuels jusqu’à soixante ans et au-delà (groupe Renaissance) ; sur la répartition des recettes fiscales liées aux réacteurs électronucléaires entre les collectivités locales, à remettre avant le dépôt du projet de loi de finances pour 2025 (GDR) ; et sur les solutions techniques prévues par les futurs exploitants de réacteurs pour assurer une gestion économe et optimisée de la ressource en eau (rapporteure Christine Decodts).
L’Assemblée se prononcera sur l'ensemble du texte lors d'un vote solennel prévu ce 21 mars, après les questions au gouvernement. La procédure accélérée devrait conduire à ce stade à la réunion d’une commission mixte paritaire (CMP). Il n’est cependant pas exclu que le Sénat procède à une seconde lecture, suivant la proposition de la ministre, pour qu’il puisse malgré tout se prononcer sur l’abandon de la réforme de la sûreté nucléaire.