Accélération de la construction de nouvelles installations nucléaires : le Sénat adopte le projet de loi en commission
La commission des affaires économiques du Sénat a adopté ce 11 janvier le projet de loi visant à accélérer les procédures pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires à proximité des sites existants. Ce texte, qui a été présenté en conseil des ministres début novembre 2022, prévoit notamment des dispenses d'autorisations d'urbanisme pour ces installations et des dérogations à la loi Littoral, ainsi qu'une procédure d'expropriation d'extrême urgence pour la prise de possession de biens nécessaires à ces projets. La commission l'a complété en votant près de quarante amendements dont certains visent à mieux associer les collectivités à la relance du nucléaire.
Quelques heures après le vote solennel à l'Assemblée du projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, qui sera examiné en commission mixte paritaire le 24 janvier, c'est son pendant sur le nucléaire que la commission des affaires économiques du Sénat, saisie au fond, a adopté ce 11 janvier. Visant lui aussi à traduire les orientations énergétiques réitérées par Emmanuel Macron lors de l'inauguration du premier parc d'éoliennes en mer en septembre dernier (voir notre article), après son discours prononcé à Belfort en février 2022, ce texte comprenant initialement 11 articles a pour objectif de "ne pas mettre les procédures administratives sur le chemin d'une construction des EPR (réacteurs de nouvelles générations, NDLR) à horizon 2035-37", a justifié mercredi Agnès Pannier-Runacher devant les sénateurs. Il s'agit aussi de réduire les coûts, a ajouté la ministre de la Transition énergétique. "Il est important que le coût de ce nouveau programme soit compétitif, ce qui est beaucoup plus facile à dire qu'à faire : les énergies renouvelables ont un coût de sortie de 60 à 80 euros (le MWh) et c'est dans ce niveau de prix qu'il faudrait pouvoir avoir un prix du nucléaire, et il faudra que nous en fassions la démonstration", a-t-elle dit.
Concernant le calendrier de réalisation, "l'objectif de la première coulée de béton, qui est très ambitieux, c'est d'ici la fin du quinquennat, donc 2027. La réalité est que cela risque d'être plutôt fin 2027 que début 2027, en tenant bien nos calendriers", a-t-elle détaillé. Quant à "la mise en service, je dis 2035-37, car 2035 ce serait sans marge, avec une exécution parfaite du projet, ce qui appelle peut-être un petit complément de temps", a-t-elle estimé. Enfin, "sur le financement, nous n'avons pas tranché la voie qui sera préférée, mais en tout état de cause, il y aura un enjeu de régulation dans le cadre du fonctionnement du marché européen de l'électricité", à discuter avec Bruxelles, a-t-elle noté.
Mesures ciblant les collectivités
Le projet de loi, qui contient des mesures de simplification de plusieurs ordres, comporte plusieurs dispositions intéressant directement les collectivités dans son titre premier concernant la construction de nouvelles installations nucléaires. Il propose ainsi que les projets de réacteurs soient qualifiés de "projets d’intérêt général" (PIG) par décret en Conseil d’État, et qu’ils bénéficient à ce titre de plusieurs dérogations en matière d’urbanisme. En particulier, il entend simplifier la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme, via un engagement direct de procédure par le préfet et une simple mise à disposition du projet au public (article 2).
Le texte (article 3) vise aussi à dispenser les projets de réacteurs d’autorisations d’urbanisme, en prévoyant que la conformité de ces projets aux règles d’urbanisme soit vérifiée par l’État dans le cadre des demandes d’autorisation environnementale ou d’autorisation de création qui sont par ailleurs requises. Il prévoit également des coordinations visant à assurer la continuité de la perception de la taxe d’aménagement par les collectivités territoriales, en l’absence de permis de construire.
Il propose aussi (article 4) que l’autorisation environnementale soit délivrée par décret en Conseil d’État, au vu d’une étude d’impact portant sur l’ensemble du projet, et permet que les constructions, aménagements, installations et travaux réalisés en vue de la création des réacteurs puissent être réalisés à compter de la délivrance de l’autorisation environnementale, sous réserve de leur conformité aux règles d’urbanisme. Quant à la construction des bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires ou à héberger des matériels de sauvegarde, elle ne peut l’être qu’après la délivrance de l’autorisation de création.
L’article 5 permet d’exonérer les constructions, aménagements, équipements, installations et travaux liés à la création ou à l’exploitation d’un réacteur, ainsi que leurs ouvrages de raccordement, des dispositions de la loi Littoral, à proximité immédiate ou à l’intérieur de l’installation nucléaire de base (INB).
Le texte propose aussi de simplifier la procédure d’octroi des concessions d’utilisation du domaine public maritime pour la construction de réacteurs, en prévoyant que l’obtention d’une telle concession par décret en Conseil d’État vaille déclaration d’utilité publique, sous réserve de la bonne réalisation de l’enquête publique et de l’engagement pris par l’exploitant de respecter un cahier des charges (article 6).
Quant à l’article 7, il vise à appliquer la procédure d’expropriation d’extrême urgence pour la prise de possession de terrains ou d’immeubles, bâtis ou non, nécessaires aux projets de réacteurs. Ce dispositif doit s’appliquer, d’une part, aux installations ou aménagements directement liés à la préparation des travaux réalisés en vue de la création d’un réacteur et, d’autre part, aux constructions, aménagements, installations et travaux réalisés en vue de cette création, ainsi qu’aux équipements et installations nécessaires à leur exploitation et aux ouvrages de raccordement aux réseaux de transport d’électricité. Un délai de 10 ans est prévu entre la déclaration d’utilité publique et l’achèvement de la procédure d’expropriation.
"Combler les angles morts du texte"
Tout en jugeant que le texte allait "dans le bon sens", la commission des affaires économiques du Sénat l'a jugé "très insuffisant par rapport aux enjeux actuels de la filière du nucléaire", selon un communiqué diffusé ce 12 janvier. Elle dit déplorer "de nouveau" que "le Gouvernement légifère dans le désordre et sans stratégie en matière énergétique !" "La logique aurait évidemment été de soumettre à l’examen parlementaire le projet de loi quinquennale sur l’énergie, puis le projet de loi sur l’accélération du nucléaire et enfin celui sur l’accélération des renouvelables", souligne-t-elle. La commission a voté 37 amendements, portés pour la plus grande partie d'entre eux par son rapporteur, Daniel Grémillet (LR-Vosges), président du groupe d'études "Énergie", avec la volonté de compléter le texte selon quatre axes. Le souhait de la commission a été de "combler les angles morts du texte", qui pâtit selon elle d’un "manque de vision stratégique, de neutralité technologique et de suivi démocratique". En ce sens, elle a notamment supprimé l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2035, imposé la révision du décret fixant la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui prévoit toujours la fermeture de douze réacteurs, hors ceux de Fessenheim, elle a intégré la relance du nucléaire à la planification énergétique et prévu que la loi quinquennale sur l’énergie, attendue pour juillet prochain, acte la construction des réacteurs et résolve les enjeux du financement ou des compétences. Au-delà des EPR2, elle a aussi inclus les petits réacteurs modulaires (SMR) et les électrolyseurs d’hydrogène dans les mesures de simplification proposées et prévu une "reddition annuelle des comptes" devant le Parlement sur la mise en œuvre de ces mesures, afin de permettre à celui-ci d’"être informé d’éventuelles difficultés, notamment en cas de retards et de surcoûts". Elle a aussi "garanti une réflexion" sur les réacteurs et les sites retenus ou envisagés, en prévoyant ainsi que d’autres types de réacteurs et d’autres conditions d’implantation puissent être intégrés aux mesures de simplification dans le futur.
Le deuxième axe de modifications vise à garantir la sécurité et la sûreté des installations nucléaires, face aux nouveaux risques, climatiques ou numériques, en intégrant les risques liés au changement climatique dans la démonstration de sûreté des réacteurs (conditions climatiques et météorologiques extrêmes, submersion, inondation, recul du trait de côte…) et la cyber-résilience dans leur protection contre les actes de malveillance. En outre, elle a souhaité maintenir un rapport de sûreté intermédiaire pour le réexamen des réacteurs et consolidé les attributions et le fonctionnement de la commission des sanctions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Fiscalité, lutte contre l'artificialisation : veiller à l'absence d'"effets de bord"
Le troisième axe prévoit de "mieux associer les collectivités territoriales et le public à la relance du nucléaire en veillant à la réalisation des consultations préalables, au contenu des études d'impact et à l’absence d’effet de bord, en matière de fiscalité ou de politique de lutte contre l'artificialisation, notamment". Plus précisément, le rapporteur a présenté trois amendements à l'article 2 visant d'une part à ce que la qualification d’"intérêt général" de la construction des réacteurs ne puisse intervenir qu’après la réalisation du débat public et d'autre part à ce que les collectivités territoriales puissent entrer dans un dialogue avec l'État dans le cadre de la modification de leurs documents d'urbanisme. À l'article 3, neuf amendements ont été adoptés afin notamment d'exclure l'éventuelle artificialisation résultant des nouveaux réacteurs de l'objectif "zéro artificialisation nette" (ZAN). "Il s'agit en effet de projets d'ampleur nationale, voire européenne, qui ne doivent pas peser sur les seules collectivités territoriales d'accueil", a fait valoir le rapporteur. À cet article toujours, un amendement vise à garantir que la taxe d'aménagement perçue par les collectivités territoriales ne soit pas remise en cause par la dispense de permis de construire. À l'article 4, le rapporteur a fait adopter quatre amendements, notamment pour prévoir que l'anticipation des travaux intervienne à la demande de l'exploitant et à ses frais et risques, sous réserve que le public ait été informé de cette possibilité, et pour garantir le contenu de l'étude d'impact. Celle-ci doit ainsi comprendre, outre les éléments communs à tous les projets, des compléments spécifiques aux seuls projets nucléaires (prélèvements, rejets, déchets, incidences sur l'eau, l'air et les sols). Les modalités de réalisation de l'enquête publique et de consultation de l'ASN ont aussi été précisées et la commission a aussi prévu que la liste des travaux pouvant ou non être anticipés soit fixée par décret en Conseil d'État, après avis de l'ASN.
Renforcer la sécurité juridique
Le dernier axe des modifications apportées en commission prévoit de renforcer la sécurité juridique, en encadrant certaines procédures dérogatoires, en veillant à l’accélération des contentieux et en facilitant la réalisation des travaux. À l'article 5, un amendement du rapporteur encadre ainsi la dérogation à la loi Littoral prévue pour les ouvrages de raccordement en prévoyant non une exemption mais une autorisation préfectorale soumise à l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS). À l'article 7, la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation a été ajustée. Il s'agit d'appliquer les mêmes garanties que celles de droit commun, c'est-à-dire le recours à un décret sur l'avis conforme du Conseil d'État et la fixation de conditions en matière notamment de relogement des habitants ou d’indemnisation des artisans ou commerçants. Enfin, elle a institué deux nouvelles procédures, afin de faciliter, d’une part, la résolution des contentieux pour les nouveaux réacteurs et, d’autre part, la réalisation des travaux d'adaptation pour ceux existants, en permettant une dispense de permis de construire.
"Au total, l’ensemble de ces dispositions redonnent une ligne stratégique à la filière du nucléaire, dans toutes ses dimensions, et raccourcit les délais de construction d’environ 56 mois", estime la commission.
Le projet de loi arrivera en première lecture le 17 janvier prochain dans l'hémicycle du Palais du Luxembourg.