Economie mixte - Réforme territoriale : les EPL toujours prêtes !
"Avec la réorganisation territoriale, nous avons de nouveaux champs à investir", estime cette année encore Jacques Chiron, président de la Fédération des entreprises publiques locales (EPL) qui tenait son congrès à Nancy les 14 et 15 octobre derniers (voir notre article ci-contre du 28 octobre 2014). Depuis, la loi Notr est passée par là, avec son article 62 qui crée la Sem d'aménagement à opération unique (Semop). Le sénateur d'Isère est convaincu que les Semop - fruit d'un long travail de lobbying - permettront de mobiliser davantage de financements privés, et donneront à sa fédération, prévoit-il, "une possibilité de fort développement".
Car, selon lui, avec la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités, ces dernières ont tout intérêt à chercher des partenaires privés, et à faire usage des prêts existants de la Caisse des Dépôts et de l'Union européenne, notamment pour financer la rénovation énergétique des logements.
Bientôt 1.500 EPL, dont les trois quarts en multiactivité ?
Dans un communiqué de presse daté du 8 octobre – dont l'intitulé "Les EPL en ordre de marche pour la relance des territoires" est à lui seul tout un programme - la Fédération, qui compte aujourd'hui 1.200 sociétés, indique que le nombre de projets de création d'EPL est en progression de 25%. Un joli taux qui est surtout dû au fait qu' "en 2014, la remise en cause du modèle financier des collectivités et les réformes territoriales engagées ont eu pour effet de reporter, voire d'interrompre certains investissements", reconnaît la Fédération, soulignant que "dans ce contexte qualifié d'inédit, la dynamique du mouvement EPL est globalement épargnée". Ce qui prouverait sa "solidité".
Selon l'observatoire EplScope, au 1er juin 2015, les 1.208 sociétés en activité ont dégagé un chiffre d'affaires de 12,1 milliards d'euros, soit "un volume stable comparé à 2014", indique la Fédération, dans un contexte où l' "atonie de l'économie conjuguée aux séquences de réorganisation territoriale agissent sur la confiance des dirigeants qui pointent un manque de visibilité à moyen terme".
Les mises en chantier de logement par exemple ont progressé de 8% pour atteindre 17.000 unités (là où, certes, le gouvernement en attend 30.000 à la fin du quinquennat) et le chiffre d'affaires dans le secteur de l'aménagement progresse de 20% par rapport à 2013. Sur le volet financier, 51% des dirigeants évaluent la situation de leur EPL "confortable" avec un niveau de capacité d'autofinancement suffisant (71%) et de capitalisation satisfaisant (75%).
A l'heure actuelle, 54% des EPL sont engagées dans une stratégie de multiactivité et 26% des entreprises "monométier" l'envisagent. "Cette vision entrepreneuriale atteste d'une mutation progressive des EPL vers une diversification de leurs activités pour apporter des réponses globales aux besoins des collectivités locales dans chacune de leurs politiques publiques", selon la Fédération.
Sylvia Pinel, présente le 14 octobre au congrès, a d'ailleurs salué les EPL qui interviennent dans le logement et l'aménagement et "élargissent aujourd'hui leurs missions vers des activités complémentaires comme l'énergie, par le biais des interventions en tiers financement". Et les a invitées à aller plus loin pour "la rénovation énergétique dans le bâti existant".
Grand Paris : Sylvia Pinel invite les EPL franciliennes à jouer un rôle "moteur"
Le discours de Sylvia Pinel intervenait la veille du comité interministériel du Grand Paris qui a annoncé la création des contrats d'intérêt national. Depuis Nancy, la ministre du Logement a invité la Fédération francilienne des EPL à être "particulièrement moteur" dans les discussions à venir autour de ces contrats. Car "le plan de mobilisation pour l'aménagement et le logement ne se réduira pas à la seule intervention de Grand Paris Aménagement", a-t-elle tenté de les rassurer (voir notre article ci-contre du 3 juillet). Pour la ministre, assurément, les contrats d'intérêt national entre l'Etat et les collectivités "pourront prévoir des formes multiples d'interventions, dans lesquelles les EPL auront toute leur place". "Je compte sur vous pour être particulièrement moteur de cette démarche", a-t-elle insisté.
La ministre a, plus largement, demandé aux EPL d'Ile-de-France et d'ailleurs, de s'engager davantage dans les opérations de requalification de centre-ville et dans le tiers financement de projets de rénovation énergétique.
La ministre a surtout rappelé son souhait, déjà formulé en juillet dernier, de voir s'accomplir, avec la fédération, deux choses : un pacte en faveur de la production de logements sociaux et un fonds de mutualisation sur le modèle du Fonds national d'aides à la pierre créé par l'Union sociale pour l'habitat. Elle voudrait, dans les prochains mois, "un engagement conjoint (pacte ou accord-cadre)" avec les EPL "en faveur de la production de logements [sociaux] dans les territoires où la demande est forte" et afin d'"encourager les réhabilitations, voire les démolitions-reconstructions dans les zones moins tendues". Et dans ce cadre, "la question de la mise en place d'une mutualisation des ressources entre bailleurs sociaux devra y être discutée", a-t-elle insisté.
A noter enfin que Sylvia Pinel a assuré qu'une concertation serait engagée avec les sociétés immobilières d'outre-mer quant à l'évolution de leur actionnariat.
Valérie Liquet avec AEF
Quand la Fédération s'interrogeait, en 2006, sur "les Sem en 2015"
Dans quel contexte s'exercera l'activité des Sem à l'horizon 2015 ? Comment anticiper les conséquences des évolutions législatives et d'une concurrence de plus en plus virulente ? La Fédération des Sem avait décidé, en 2006, d'engager une réflexion prospective pilotée par Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), dont les résultats avaient été présentés au Congrès national de Strasbourg (voir notre article ci-contre du 13 octobre 2006).
Elle avait dégagé trois scénarios probables. Le plus pessimiste laissait présager une disparition progressive des Sem, prises en étau entre une concurrence libérale totale et un statut anachronique qui les aurait empêchées de lutter à armes égales sur leurs marchés. Confrontées à d'importantes difficultés financières, les Sem auraient alors connu différentes évolutions : reprise par la collectivité de certains services clés, absorption des activités les plus rentables par des groupes privés, constitution de groupe multimétiers ou multiterritoires pour les Sem les plus performantes et innovantes.
Un scénario optimiste tablait sur un renouveau des Sem qui aurait été favorisé par un consensus européen sur le statut des entreprises publiques locales (EPL). Confortées juridiquement, les Sem devenues EPL auraient mis en avant le dynamisme de leurs réseaux d'échange, leur ancrage dans les territoires et leur comportement entrepreneurial pour investir de nouveaux champs d'intervention - le domaine de l'eau était cité en exemple - et se positionner auprès des collectivités comme des opérateurs de premier choix, capables d'intervenir en amont de la décision publique.
Entre ces deux scénarios extrêmes, un troisième - considéré alors comme le plus réaliste - prévoyait un grignotage des Sem. Sous l'effet des tiraillements, au niveau européen, entre les positions libérales et les attentes sociales, auxquels se seraient ajoutées les contraintes très fortes pesant sur les budgets des collectivités locales, les Sem auraient continué à gérer une situation inconfortable. Certaines auraient tiré leur épingle du jeu mais leur nombre aurait progressivement diminué, voire disparu sur certains créneaux d'activité. "C'est à la fois l'arbitrage et la volonté politique à différents niveaux, la puissance des concurrents privés mais aussi la performance des Sem dans des marchés plus concurrentiels qui expliqueront en l'an 2015 le nombre de Sem et leurs parts de marché", avait conclu le groupe de travail prospective de l'époque.
A. L.
Les EPL aujourd'hui, ce sont 1.208 sociétés d'économie mixte (Sem), sociétés publiques locales (SPL) et Sem à opération unique (SemOp). Les EPL interviennent dans une quarantaine de domaines, principalement dans l'aménagement, le tourisme, le logement, l'environnement, le développement économique et la mobilité. Elles emploient 60.000 personnes. Le montant de leur capitalisation s'élève à 3,9 milliards d'euros, détenus à 63% par les collectivités locales. Les EPL gèrent un patrimoine de 534.000 logements, et logent 1,3 million de personnes. En 2013, elles ont réalisé un chiffre d'affaires de 12,1 milliards d'euros.