Territoires ruraux - Réforme territoriale : le Nevers de la médaille
A l’image de Patrice Joly, le président du conseil général de la Nièvre (PS), les élus des départements ruraux sont décidés à jouer les "impertinents". Et à glisser un caillou dans la chaussure de François Hollande dans sa marche vers les 14 grandes régions.
Réunis à Nevers pour leurs deuxièmes états généraux, les départements des "nouvelles ruralités" ont lancé un appel pour demander au gouvernement de revoir sa copie à l'approche de la présentation de ses deux projets de loi de réforme territoriale (l’un sur le redécoupage régional, l’autre sur la clarification des compétences). "Non à la dévitalisation des conseils généraux, oui à la revitalisation de nos territoires", se ponctue leur déclaration, lue par l’hôte de ces rencontres, Patrice Joly, devant les 600 participants rassemblés dans la maison de la culture de Nevers. Un pied de nez aux récentes déclarations sur France Inter du secrétaire d’Etat à la Réforme territoriale, André Vallini, appelant à "dévitaliser les départements". Ce dernier est venu s’en expliquer devant ces états généraux. "Je souhaite dissiper un malentendu. Il n’est question de dévitaliser personne, mais de faire évoluer les conseils généraux de notre pays. Je suis d’autant plus désolé que je suis des vôtres", a déclaré le secrétaire d’Etat, également président du conseil général de l’Isère, mal à l’aise à défendre cette réforme. La suite de ses explications n’a cependant convaincu personne. Car le dépeçage des départements est bel et bien en route : suppression de la clause générale de compétences, baisses de la dotation globale de fonctionnement et constitution des grandes régions qui doivent "avoir les moyens d’affronter la compétitivité à l’échelle internationale", dotées "d’un bloc économique accompagné d’un bloc mobilité et déplacements". Et surtout dotées de "moyens financiers propres". Ce qui, rappelons-le, n’est pas le cas des länder allemands, souvent pris pour exemple, qui n’ont pas d’autonomie fiscale. André Vallini a ensuite dit qu’il voulait l’élection des élus des intercommunalités au suffrage universel direct. Mais "rien n’est tranché, le débat est ouvert", a-t-il ajouté, précisant que cette mesure ne figurerait pas dans la réforme en cours.
"Les routes départementales sont presque trop belles"
Après avoir loué les départements, notamment "leur rôle essentiel de proximité", il a conclu qu’ils n’étaient plus adaptés : "Les intercommunalités ont changé la donne […] Nous avons quatre ans pour préparer cette transition du conseil général." Donc, les conseils généraux ne seront pas "dévitalisés", ils seront progressivement vidés de leur substance : "Les grandes régions et les intercommunalités absorberont une large part des compétences de manière progressive." L’avant-projet de loi de clarification des compétences, qui sera présenté en Conseil des ministres le 18 juin, se chargera de leur retirer ce qui peut l’être le plus facilement. Les régions récupéreront ainsi les routes. "Les routes départementales sont presque trop belles […] On peut restreindre le budget des routes", a soutenu le secrétaire d’Etat, faisant bondir l’assistance. "Qui dit que les régions ne sauront pas bien s’en occuper ?", a-t-il tenté d'argumenter dans le brouhaha. Avant de se reprendre : "Les régions pourront déléguer par convention."
Les compétences sociales seront "les plus difficiles à transférer" et le seront donc dans un second temps, dans un délai de quatre ans. André Vallini a évoqué la possibilité de transférer la PCH et l’APA aux métropoles, estimant que ce serait "plus difficile pour les petites communes". Concernant le RSA, il pourrait être confié aux caisses d’allocations familiales. Le transfert de l’enfance en danger "sera très difficile", a-t-il aussi reconnu, "je vois mal les communautés de communes s’en occuper".
A terme, "les conseils départementaux s’effaceront devant leur collège d’intercommunalités". Ce ne sera pas avant 2020.
Le secrétaire d’Etat souhaite aussi "renationaliser les Sdis", car "qui paye commande" (aujourd’hui, les départements sont les principaux financeurs des Sdis, mais n’ont pas la main sur le commandement). Quant aux économies attendues de la réforme, André Vallini, s'est montré prudent : "Dans un premier temps, elle va coûter un peu d’argent", du fait des bonifications de salaires liées aux transferts de personnel. Cependant, la stabilisation des effectifs pourrait permettre d’économiser environ "7 milliards d’euros sur dix ans".
"On a joué à la conférence de Yalta"
"Les propositions constructives que vous faites seront prises en compte", a enfin assuré le ministre aux élus, avant de quitter la tribune sous le braiment d’un âne. N’y voyons pas malice, il s’agissait de l’animation de la rencontre : chaque table ronde était ponctuée de bruits de la ferme.
Le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Vanik Berberian, l’a aussitôt invectivé : "On marche sur la tête. On a joué à la conférence de Yalta. On a dessiné des cartes (régionales) en fonction d’intérêts particuliers", a-t-il fustigé, qualifiant cette réforme de "mortifère", avant d’apporter son soutien aux départements : "Nous tenons au conseil général et nous ferons tout pour vous empêcher de les supprimer [...] Le vrai sujet c’est l’aménagement du territoire et le partage des richesses."
Sur la régionalisation des routes, la charge est venue du président du conseil général de l’Ariège, Augustin Bonrepaux (PS) : "Si on fait des économies, ce sera sur le dos des zones rurales." Patrice Joly a renchéri : "On est sur une autre planète. Il nous manque 50% de budget, le renouvellement des routes a lieu tous les dix-huit ans, il faudrait qu’il se fasse tous les douze ans."
Alors qu’il y a deux ans, ils n’étaient encore qu’un manifeste signé à l’initiative des présidents de quatre départements du cœur de la France - l’Allier, la Nièvre, le Cher et la Creuse -, les départements des nouvelles ruralités sont aujourd’hui 34 et représentent 20 millions de Français. Porté par cet élan, ils dénoncent dans leur déclaration une "réforme à la hussarde" qui risque d’aboutir à "des territoires de gestion technocratique et des lieux de relégation des populations". Ils réclament un "diagnostic précis de la situation des départements afin s'il y a lieu d'adapter nos organisations".
"Pourquoi avoir tout fait à l’envers ? La réforme territoriale c’est l’ultime capitulation face à la finance", a dénoncé la socialiste Irène Félix, vice-présidente du conseil général du Cher, rappelant le discours de campagne de François Hollande au Bourget, en janvier 2012 ("Mon adversaire, c’est le monde de la finance").
"Je n'ai pas l'impression qu'en haut on ait compris"
Au mois d’avril, à l’occasion d’un colloque organisé au Sénat, l’absence de ministres avait provoqué la colère des élus des nouvelles ruralités. Cette fois-ci, le gouvernement s’est rattrapé : deux ministres ont fait le déplacement. Outre André Vallini, la ministre du Logement et de l’Egalité des territoires Sylvia Pinel est venue prononcer, le matin, son premier discours sur le sujet. Mais alors que les élus ruraux réclament une loi sur l’aménagement du territoire, celle-ci s’y est montrée réticente lors d’un point presse : "Je ne suis pas une ministre qui pense qu’elle doit faire absolument une loi. Si on veut des résultats concrets, je suis plutôt favorable à l’action." Elle a égrainé devant les élus les mesures en cours : création d’un conseil national à l’égalité des territoires (sorte d’interface entre l’Etat et les associations d’élus), en complément du tout nouveau commissariat général à l’égalité des territoires, plan d’aménagement numérique, création de 700 maisons de services au public, en plus des 300 existantes… Quant au schéma départemental de l’accessibilité des services au public, il devient schéma "territorial" dans l’avant-projet de loi de clarification des compétences. Il sera bien élaboré à l’échelle du département, mais plus avec le conseil général : entre l’Etat et les intercommunalités. Seulement, plusieurs départements ont déjà commencé à travailler sur leur diagnostic des besoins de services.
Au moment de ce tournant historique, le géographe Christophe Guilluy a appelé les départements ruraux à "peser politiquement" face à une réforme qui fait la part belle aux métropoles et passe à côté des territoires périphériques où "vit pourtant 60% de la population". Il a souhaité parler des oubliés de ce Meccano : les classes populaires. "Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire : les catégories modestes ne vivent pas là où ça se passe." Cette mise à l’écart des centres de décision et de l’activité économique fait monter des "radicalités sociales et politiques". "Regardez les 'bonnets rouges', ce n’est pas parti de Nantes ou de Rennes, c’est parti de la Bretagne intérieure", a-t-il fait remarquer. Selon lui, en France on est "très bon pour traiter la concentration de la pauvreté" dans les quartiers urbains. C’est le rôle de la politique de la ville. Mais on est "mauvais sur la dispersion de la précarité, du chômage". "On devrait être au chevet de cette France-là. Or on organise un financement autour des métropoles", du fait d'une erreur de "représentation" des élites. Commentant les résultats des dernières élections municipales et européennes, il a jugé "paradoxal que la réponse du gouvernement soit la réforme territoriale et le regroupement des régions". "Il y a dix ans, on disait : tout va partir des banlieues. Ca va péter. Aujourd’hui, la radicalité émerge de cette France-là. Je n’ai pas l’impression qu’en haut on ait compris."