Pouvoirs locaux - Réforme territoriale : première confrontation entre Manuel Valls et les élus
Après les députés mardi, ce sont les sénateurs qui étaient invités mercredi à écouter la "déclaration" du nouveau Premier ministre. Et forcément, au sein de la "maison des collectivités", Manuel Valls était notamment attendu au tournant pour ses propos de la veille sur les collectivités et sur la façon dont il entend les réformer : division par deux du nombre des régions, nouvelle carte intercommunale, suppression de la clause de compétence générale... et suppression d'ici six ans des conseils départementaux.
Le chef du gouvernement s'est d'ailleurs fait beaucoup plus prolixe sur le sujet qu'il ne l'avait été à l'Assemblée nationale. Voici, quasi in extenso, ce qu'il a déclaré aux élus du palais du Luxembourg :
"L'efficacité des collectivités territoriales peut encore être renforcée, d'où les importantes réformes annoncées hier. Mon but n'est pas de choquer ni de surprendre. (…) L'empilement des échelons administratifs, l'enchevêtrement des compétences, les financements croisés nuisent à l'efficacité de l'action publique dans les territoires, et tout cela manque de lisibilité pour les Français. J'ai été frappé par le niveau de l'abstention lors des municipales. C'est un cri d'alarme. L'absence de clarté des missions de chaque collectivité territoriale, le poids de la fiscalité locale ont peut-être aussi joué leur rôle. Je propose donc une réforme territoriale d'ampleur, et rends hommage au travail du Sénat : états généraux de la démocratie territoriale, rapport Raffarin-Krattinger. Je propose donc quatre réformes. (…) Je souhaite d'abord des régions fortes, aux compétences stratégiques, pour soutenir la croissance et l'innovation, et accompagner la transition énergétique. Nous avons besoin de régions d'une taille critique suffisante. Je n'ignore rien des difficultés techniques ou identitaires que cela peut poser. Je fais toutefois confiance à l'intelligence des élus, qui pourront se prononcer par délibérations concordantes de plusieurs conseils régionaux. À défaut, le gouvernement prendra ses responsabilités, pour aboutir à une nouvelle carte des régions après mars 2015. Nous ferons en sorte qu'elle soit en place au 1er janvier 2017. Depuis la loi Chevènement, l'intercommunalité a trouvé sa place. (…) Je souhaite poursuivre le mouvement : une nouvelle carte intercommunale sera élaborée à l'horizon 2018. Des compétences exclusives seront désormais attribuées aux régions et départements, la clause de compétence générale supprimée. (…) J'en viens à l'avenir des conseils départementaux. Je connais la longue histoire des conseils généraux, mais aussi leurs difficultés à remplir leurs missions. (…) À terme, je pense que les conseils départementaux devront être supprimés. D'ici 2021, plusieurs élections permettront de poursuivre le débat. Ce débat doit avoir lieu ! La même idée est partagée par des élus de tous bords. Avec une dizaine de régions et des intercommunalités renforcées, la question se posera naturellement. Le rôle d'un département n'est pas le même quand il y a une métropole et dans un territoire rural."
Et le discours de Tulle ?
Les échanges qui s'en sont suivis ont permis de poser les premières balises quant aux positions des différentes formations politiques présentes au Sénat. Pas inutile, dans la mesure où certaines de ces positions ont sensiblement évolué depuis, par exemple, les débats parlementaires qui avaient précédé l'adoption de la loi de 2010 instituant le conseiller territorial… Pas de doute, les cartes sont rebattues.
Pour certains, les choses semblent assez simples. C'est le cas pour Jean-Vincent Placé, sénateur de l'Essonne qui, au nom de EELV, a été clair : "Votre réforme des collectivités territoriales bénéficiera de notre soutien vigilant, surtout la suppression des conseils généraux", a-t-il assuré au Premier ministre.
Sur les bancs du PS, c'est Jean-Pierre Caffet, sénateur de Paris, qui était chargé d'applaudir le projet de Manuel Valls, assurant que "le groupe socialiste approuve l'esprit des mesures annoncées et se réjouit que le rapport Raffarin-Krattinger les ait inspirées". "Diminuer le nombre de régions, c'est renforcer leur rôle pour soutenir les entreprises face à la compétition mondiale", a notamment estimé ce parlementaire très actif sur le dossier de la métropole du Grand Paris et faisant entre autres partie de ceux qui demandent l'effacement des départements de la petite couronne. Sur les départements justement, il a déclaré : "Supprimer les départements ? Ceux-ci portent l'immense tâche d'assurer la solidarité entre les Français, d'autant plus important en temps de crise. Mais peut-être est-il temps d'évoluer ? Les besoins ne sont pas uniformes. Dans les territoires ruraux et enclavés, que restera-t-il si les départements disparaissent ? Une organisation propre à ces territoires peut être imaginée, au lieu de privilégier un 'jardin à la française'" (reprenant ainsi le titre d'une interview donnée au Monde début février par André Vallini, le tout nouveau secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale…).
Toutes les autres voix qui se sont fait entendre, à droite et au centre, ont été hostiles au nouveau dessein gouvernemental. "Le travail de Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger repose sur trois principes et d'abord la pérennité du département. Le groupe UMP est opposé à sa suppression", a ainsi posé Jean-Claude Gaudin, ajoutant à ce sujet : "Pour le supprimer, il faudra une révision constitutionnelle, et vous n'avez pas la majorité des trois cinquièmes ! En plus, j'ai souvenir que le président de la République, dans un discours à Tulle, s'y était opposé...". Pour mémoire, François Hollande avait déclaré le 18 janvier à Tulle, devant un parterre d'élus locaux, que les départements "gardent leur utilité" et qu'il n'était donc "pas favorable à leur suppression pure et simple car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie".
Pour l'UDI, François Zocchetto a surtout pointé un "calendrier qui a de quoi surprendre" : "Réintroduire en janvier la clause de compétence générale pour la supprimer en avril, ce n'est pas sérieux... Vous voulez supprimer les départements après avoir créé les binômes. C'est inviter les Français à élire ceux qui seront chargés d'éteindre la lumière en sortant... ce n'est guère motivant, ni pour eux ni pour les élus."
"Inciter les régions à se regrouper, pourquoi pas, mais cela ne résoudra en rien l'impasse financière. Supprimer les départements ne dégagera aucune économie, car il faudra toujours payer les routes, les collèges, les Sdis, le RSA...", a pour sa part souligné Philippe Adnot, président du conseil général de l'Aube (et sénateur non-inscrit), tandis que Jacques Mézard, pour le groupe RDSE (principalement les radicaux de gauche), a tenté la synthèse : "Un département qui comporte une métropole ne saurait être confondu avec un département rural. Recherchons un compromis intelligent entre gauche et droite."
Un projet "borné"
Les propos conclusifs de Manuel Valls sont toutefois restés sur leur ligne initiale :
"Sur l'organisation territoriale, nous posons les termes d'un débat. Je connais le rôle de la commune, du conseil général. Mais n'avons-nous pas l'occasion de moderniser ce pays ? Je suis très attentif à la proximité. Mais les institutions actuelles, sur le terrain - préfectures, sous-préfectures et conseils généraux - n'empêchent pas le sentiment d'abandon... Nous avons connu, en matière de décentralisation, de grandes réformes : celle de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, celle des intercommunalités de Jean-Pierre Chevènement, la révision constitutionnelle de Jean-Pierre Raffarin... Mais nous ne pouvons plus nous contenter du rabot permanent, de bricolage. Nous sommes arrivés au bout d'une certaine logique. Nous aurons des désaccords, c'est normal, mais nous avancerons."
Le lendemain matin, ce 10 avril, Marylise Lebranchu était invitée à livrer aux auditeurs de France-Inter une première explication de texte sur la nouvelle ligne du gouvernement.
Une ligne… et des "bornes". Toujours à la tête du ministère en charge de la Décentralisation et de la Réforme de l'Etat, Marylise Lebranchu a en effet beaucoup utilisé ce terme : "On met des bornes claires", "le Premier ministre a décidé de mettre une borne, sinon on y sera encore en 2060 ou en 3000"… et "la borne, c'est le prochain mandat". Autrement dit, "à la fin du prochain mandat, il n'y aura plus de conseils départementaux". Et s'agissant des régions, pour celles qui n'auraient pas elles-mêmes élaboré de projet avec leurs voisines, il y aura bien en 2017 "une carte décidée par l'Etat".
D'ici là, il va s'agir de faire "un travail sérieux" pour pouvoir répondre à toutes les questions qui vont nécessairement se poser. "Les départements, c'est difficile, il faudra récupérer les compétences", a ainsi souligné la ministre, rappelant par exemple que le RSA aujourd'hui, ce sont "3 milliards d'euros supportés par les départements", dont le transfert impliquerait aussi un transfert de fiscalité. "Les compétences du département – je pense aux collèges, au social – devront-elles être reprises par les régions ?", s'est interrogée Marylise Lebranchu. Et "qu'est-ce qu'on fait dans les départements ruraux ?".
Des questions se posent aussi autour de l'intercommunalité, notamment sur "la notion de bassin de vie" sur laquelle s'est fondé Manuel Valls dans sa déclaration de politique générale. "Il faut qu'on regarde exactement comment vivent les Français, comment on répond au mieux à leurs besoins de services publics", a-t-elle indiqué.
Sur les départements, il va visiblement y avoir un peu de pédagogie à faire, la ministre ayant été obligée de préciser que supprimer le conseil général/départemental, cela ne veut pas dire abolir la carte des départements français ni fermer les préfectures. S'agissant des services de l'Etat en région, elle a d'ailleurs indiqué que "la charte de la déconcentration, elle aussi, sera réécrite".
Marylise Lebranchu a, enfin, tenu à insister sur le fait qu'"il y aura une garantie pour les fonctionnaires" territoriaux. Et à relever que malgré tout cela, le projet de loi "sur les compétences" des collectivités, tel que prévu depuis début janvier, demeure bien d'actualité, devant être présenté en Conseil des ministres "d'ici peu de temps".
Claire Mallet
Redécoupage : le syndrome Not in my region ?
Les Français sont majoritairement favorables, en principe, à un redécoupage territorial tout en contestant les différents contours qu'il pourrait prendre, selon une étude réalisée par LH2 pour la presse régionale et France Bleu parue ce 10 avril. Ainsi, 68% des Français se déclarent favorables à la réduction du nombre de niveaux de collectivités telle qu'annoncée par le Premier ministre.
Mais lorsque le scénario de redécoupage se précise, ils sont 54% à refuser l'agrandissement de leur région par le rattachement à la région voisine et 51% contre le rattachement de nouveaux départements. 74% des sondés sont donc défavorables au rétrécissement de leur région et 77% refusent sa disparition pure et simple, 56% y étant même "très défavorables". C'est dans les Pays de la Loire que les sondés sont les plus conciliants, 22% étant favorables à la disparition de la région.
Ces résultats s'expliquent avant tout par un attachement des Français à leur région. 73% y sont "attachés", dont 24% "très attachés". Les Alsaciens, Bretons et Francs-Comtois se sentent plus liés à leur région que la moyenne - respectivement 84%, 83% et 83% - les Franciliens et les habitants de la Champagne-Ardenne étant eux beaucoup plus détachés. Parmi les fusions proposées, les Lorrains sont défavorables à 48% à un rattachement à l'Alsace, leurs voisins y étant eux opposés à 61%. A l'inverse, les Normands aimeraient une fusion : 50% des habitants de Basse-Normandie et 66% de ceux qui sont en Haute-Normandie souhaitent être rattachés à leurs voisins.