Finances publiques - Réduire très vite les dépenses... y compris celles des collectivités
L'audit de la Cour des comptes sur les finances publiques remis ce lundi 2 juillet à Jean-Marc Ayrault par Didier Migaud "valide" les "mesures et orientations" du gouvernement en matière de réduction du déficit, a estimé Matignon dans un communiqué.
Dans son "rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques" – qui inclut l'audit demandé par le Premier ministre –, la Cour estime notamment que l'effort budgétaire devant permettre à la France de respecter ses engagements exige "sans tarder" que des mesures soient prises pour compenser un manque à gagner évalué à entre 6 et 10 milliards d'euros. "Sans mesures correctives, le déficit pour 2012 serait supérieur à l'objectif affiché, du fait de prévisions de recettes (…) trop optimistes", acquiesce Matignon, rappelant l'objectif de retour à l'équilibre des comptes en 2017. Pour parvenir à cet objectif, l'effort "sera particulièrement marqué au début de la législature et sera équilibré en dépenses et recettes sur la période", font valoir les services du Premier ministre. La Cour ajoute pour sa part que si "ce nécessaire effort de rééquilibrage peut comporter un effet négatif à court terme sur la croissance", cet effet pourra "être limité par un dosage approprié des mesures de redressement et par une initiative de croissance au niveau européen".
Sur le constat, la Cour considère que "le redressement a été engagé en 2011", avec "de tout premiers résultats positifs"… mais que "l'essentiel du chemin" reste à faire, tel que l'a exprimé lundi son premier président en présentant le rapport à la presse.
Pour 2012, elle explique que la fourchette de 6 à 10 milliards est notamment liée, donc, à des hypothèses de calcul trop favorables pour les prévisions de recettes. Mais aussi à la révision à la baisse de la prévision de croissance et à des risques de dépassement sur certaines dépenses de l'Etat, citant à ce titre les dépenses de logement (en particulier l'aide personnalisée au logement), celles liées à l'allocation adultes handicapés et, plus largement, "les dotations pour l'emploi et la solidarité".
Pour 2013, les choses se corsent sensiblement : la Cour préconise 33 milliards d'euros de mesures nouvelles, "qui devront être partagées entre économies sur les dépenses" et "recettes nouvelles" (donc hausse des impôts). "L'équation budgétaire" sera plus difficile à résoudre que prévu, a averti Didier Migaud, jugeant toutefois "réalisable" cet effort de 33 milliards, entre autres en évaluant systématiquement l'utilité des investissements envisagés. Cette démarche d'évaluation serait confiée à une instance interministérielle et associerait les élus locaux lorsque ces investissements impliquent l'action des collectivités locales. Le rapport rappelle par exemple qu'en matière de transports, il serait bon de reconsidérer le programme de développement de lignes ferroviaires à grande vitesse, qui implique à lui seul 166 milliards d'euros de dépenses publiques nouvelles.
Et après 2013, on soufflera un peu ? "L'effort de redressement devra se poursuivre". Mais "à un rythme moindre", a résumé Didier Migaud.
Le retour d'un "pacte de stabilité" entre l'Etat et les collectivités
La Cour précise d'emblée que "toutes les administrations publiques", collectivités comprises, vont devoir contribuer à l'effort, dans le cadre d'une "évolution en profondeur des modalités de l'action publique" permettant de "clarifier les responsabilités et de remettre en cause les trop nombreuses dépenses publiques inefficaces". Pour elle, c'est l'une des conditions majeures du retour à l'équilibre des comptes publics en 2017.
En fait, elle a identifié quatre scénarios de croissance impliquant un effort plus ou moins important, ainsi que plusieurs hypothèses quant au "partage de cet effort entre réduction du poids des dépenses publiques et recettes supplémentaires", la Cour privilégiant pour sa part le levier de la maîtrise des dépenses.
Le rapport évoque également trois scénarios de répartition de l'effort entre l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. En sachant que chacun de ces trois scénarios prévoit une stabilisation en volume des dépenses des collectivités. "Le fait que les collectivités territoriales aient des comptes structurellement équilibrés ne saurait les dispenser de participer à l'effort collectif", a insisté Didier Migaud.
La premier président est revenu sur la hausse des dépenses des collectivités au cours des derniers années et, notamment, sur la croissance de leurs effectifs "hors transferts de compétences". Il a également relevé que la hausse des dépenses des collectivités a surtout été financée par une hausse des impôts locaux – ce qui, en "réduisant la capacité contributive des ménages", rend aujourd'hui plus difficile les augmentations d'impôts en faveur des autres administrations publiques.
D'où, estime la Cour, la nécessité d'adopter "une stratégie au niveau des administrations publiques dans leur ensemble, associant chaque catégorie à la définition et à la mise en oeuvre d'objectifs de maîtrise des dépenses et de modération des prélèvements". Et d'où... un "pacte de stabilité qui pourrait être conclu entre l'Etat et les collectivités".
On se souvient de l'accueil glacial qu'avaient réservé les associations d'élus locaux au précédent gouvernement lorsque celui-ci avait évoqué un tel "pacte de stabilité"... (voir par exemple notre article de février dernier "Pacte de confiance ou pacte de stabilité ?"). Et l'on sait que le nouveau gouvernement a quant à lui jusqu'ici préféré parler de "pacte de confiance et de solidarité". Pour la Cour pourtant, chacun aurait à y gagner. Via les associations d'élus locaux, les collectivités s'engageraient à maîtriser leurs dépenses et obtiendraient en contrepartie la promesse de l'Etat de stabiliser "les transferts directs ou surtout indirects de charges non compensés".
Moduler les dotations
Aujourd'hui, "le seul instrument d'action de l'Etat à l'égard des collectivités territoriales consiste à freiner l'évolution de ses concours, qui atteignent 100 milliards d'euros et représentent près de la moitié des ressources des collectivités", a expliqué Didier Migaud. Certes, la moitié de ces concours sont aujourd'hui gelés en valeur, "mais les effets de cette contrainte sont variables selon le niveau de collectivité", a-t-il relevé : "Contrainte très élevée sur les départements, élevée sur les régions, mais faible sur les communes et intercommunalités, qui sont par ailleurs les seules à disposer encore d'une marge de manoeuvre fiscale."
Les magistrats financiers en déduisent qu'au-delà de la poursuite du gel des dotations, le contrat entre l'Etat et les collectivités pourrait conduire à une modulation de l'évolution des dotations de l'Etat "en fonction des catégories de collectivités". Le régime réservé aux communes et intercommunalités devant être plus sévère. Pour ce faire, la piste d'un élargissement "sensible" de l'enveloppe gelée à d'autres catégories de transferts financiers de l'Etat vers les collectivités locales n'est pas exclue.
"Ce nouveau modèle devrait prendre en compte la nécessité d'une plus forte péréquation", écrit la Cour, qui note par ailleurs que "l'accroissement des montants dédiés à la péréquation pourrait contribuer à la maîtrise globale des dépenses de l'Etat dans un contexte d'enveloppe mise sous tension, en accentuant et concentrant les effets redistributifs".
Encore et toujours, clarifier les compétences
Au sein des dépenses de fonctionnement des administrations dans leur ensemble, les dépenses de personnel doivent être stabilisées, martèle la Cour. Dans ce domaine, les marges de progrès en termes de pilotage ne sont pas négligeables. Ainsi, actuellement, l'Etat décide seul d'une hausse du point d'indice, alors que cette hausse impacte les trois fonctions publiques. Par ailleurs, toute hausse de l'emploi territorial se répercute évidemment sur les effectifs totaux de la fonction publique.
En matière d'emploi, les collectivités vont devoir justement mettre le pied sur le frein, particulièrement les communes et les intercommunalités qui ont été les premières à l'origine de la hausse de 350.000 agents territoriaux entre 1998 et 2008 (hors transferts de compétences). La maîtrise des dépenses salariales des collectivités locales est d'autant plus nécessaire, relève la Cour, que le taux de cotisation que les collectivités versent à la CNRACL est "nettement inférieur au taux d'équilibre de ce régime de retraite" et devra donc "être relevé à brève échéance".
Pour la Cour, la maîtrise des dépenses devra en outre passer par une évaluation des 1.300 dispositifs d'interventions, un levier qui a jusque-là été très peu actionné. Des dispositifs où, constate la Cour, "le partage des compétences [entre l'Etat, les collectivités locales et la sécurité sociale] ou les règles d'intervention croisées génèrent souvent complexité et surcoût".
Les investissements locaux devraient eux aussi être passés au tamis de l'utilité, là encore en différenciant chaque niveau de collectivités. En notant que pour la Cour, "le freinage marqué des investissements des régions et des départements" et, à l'inverse, "la poursuite de l'investissement du bloc communal" - deux phénomènes qui caractérisent l'investissement public local aujourd'hui - ne sont "pas des résultats optimaux".
La nouvelle démarche devra éviter, en fin de compte, les écueils de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Un dispositif que la Cour juge "trop systématiquement orienté vers la réforme des structures administratives" et "exclusivement ciblée sur les administrations de l'Etat et ses opérateurs, laissant de côté les administrations sociales ou locales".
L'Acte III de la décentralisation annoncé par le nouvel exécutif pourrait contribuer à aller dans le sens voulu par la Cour, à condition que celui-ci soit bien l'occasion, insiste-t-elle, d'une "clarification des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, ainsi qu'entre ces collectivités elles-mêmes".