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Habitat - Quelle politique quand les gens du voyage... ne voyagent plus ?

Près d'un Français sur 100 habite une résidence mobile. Un rapport parlementaire dresse un bilan de la loi Besson de 2000 qui visait à créer des aires d'accueil adaptées pour les 500.000 gens du voyage. Les parlementaires veulent faire évoluer la loi pour l'adapter aux besoins d'aujourd'hui, et appellent à un "pacte de confiance" entre les pouvoirs publics et ces populations.

La commission des lois de l'Assemblée nationale vient de rendre public ce 9 mars 2011 un rapport d'information portant sur le "bilan et l'adaptation de la législation relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage". Plutôt qu'une approche sécuritaire du sujet, trois députés - Didier Quentin (UMP), Charles de La Verpillière (UMP), Dominique Raimbourg (PS) - ont choisi de mener une analyse approfondie de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000. En privilégiant ce point de vue administratif et pratique, les parlementaires aboutissent à un rapport technique très complet. Ils présentent 15 mesures concrètes pour améliorer ces politiques publiques. Des propositions dont certaines ont toutes les chances de se retrouver sous peu dans un texte de loi.

Quel bilan de la loi du 5 juillet 2000 ?

Jusqu'en 1990, aucune loi n'organisait l'accueil et le stationnement des gens du voyage par les communes. En 1990, a été adoptée la première loi Besson qui imposait une obligation d'accueil plus morale qu'effective. Avec la deuxième loi Besson (5 juillet 2000), le contexte d'intervention a été profondément modifié. Chaque département a dû élaborer conjointement avec le préfet un schéma départemental d'accueil des gens du voyage. Des obligations chiffrées de création de places ont été fixées. Cependant, dix ans après cette loi, les députés estiment que "sa mise en œuvre est très progressive et encore insuffisante". Fin 2009, seulement 20.000 places aménagées dans des aires de stationnement sont en service pour un objectif de 40.000. Cet écart conséquent entre les objectifs et les réalisations s'explique "d'abord par des obstacles objectifs" estime le rapport, et non pas, sauf exceptions, par de la mauvaise volonté de la part des élus locaux.
Le problème est d'abord financier : chaque place coûte entre 20 à 25.000 euros, et le taux de subvention de l'Etat est de l'ordre de 50%. De plus, depuis le 1er janvier 2009, l'Etat ne subventionne plus les projets des communes n'ayant pas déposé de demande avant cette date. Mais la question n'est pas que financière : le manque de disponibilité foncière, les difficultés naturelles (terrains marécageux, etc.), la longueur des procédures d'urbanisme sont autant d'obstacles à la mise en œuvre de la loi. Le rapport souligne également qu'aucun préfet n'a jamais utilisé son pouvoir de substitution à l'encontre d'une commune qui ne respectait pas ses objectifs. Ce pouvoir de substitution consiste à ce que le préfet achète le terrain et fasse les travaux puis inscrive comme dépense obligatoire dans les comptes de la commune ces opérations. Les députés envisagent de simplifier le droit pour que ce pouvoir de substitution soit plus facilement utilisé, éventuellement en confiant aux organismes HLM le soin d'aménager les terrains.

De nouveaux comportements qui exigent une adaptation de la loi

Par ailleurs, la loi de 2000 organise le stationnement des gens du voyage beaucoup plus que leur habitat. Cependant, de plus en plus de gens du voyage sont en fait presque sédentaires, notamment afin de scolariser leurs enfants ou pour des raisons économiques. Soit ils concentrent leurs déplacements l'été (phénomène des "grands passages"), soit ils se déplacent seulement sur un territoire assez réduit. Or, face à cette semi-sédentarisation, la loi de 2000 n'est pas complètement adaptée : ni les terrains familiaux (c'est-à-dire le fait de mettre une caravane sur un terrain dont on est propriétaire ou locataire), ni les "grands passages" ne font l'objet d'une réglementation adéquate. En résumé, la politique publique en direction des gens du voyage ne peut plus se limiter à multiplier les équipements et les places de stationnement.
Pour rénover cette politique, les députés souhaitent agir dans deux directions. Première orientation : tenir effectivement les objectifs de la loi de 2000 en termes de création et d'aménagement d'aires d'accueil et promouvoir un habitat adapté. Pour cela, les députés plaident pour le transfert obligatoire à l'intercommunalité de la compétence gens du voyage, la prise en compte des aires d'accueil dans les 20% de logements sociaux de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains), l'harmonisation de la gestion des aires (notamment pour éviter que les tarifs s'échelonnent de 2 à 10 euros la journée), la prise en compte obligatoire par les documents d'urbanisme des besoins des gens du voyage et une politique plus volontariste sur les terrains familiaux.
Deuxième sujet essentiel : les "grands passages". Le rapport se prononce très clairement en faveur d'un transfert à l'Etat de la compétence pour désigner ces "grands passages", maîtriser le foncier, procéder aux aménagements. En corollaire, les parlementaires demandent à ce qu'on ne désigne plus des terrains permanents pour faire face à ces grandes manifestations temporaires, qui exigent souvent, dans les faits, assez peu d'infrastructures (100 hectares d'herbe, avec arrivée d'eau et collecte des ordures).

Des droits et des devoirs

Enfin, la mission d'information réclame "un réel équilibre entre une aspiration légitime à l'égalité des droits et l'indispensable rappel des devoirs". Et d'insister : "Les gens du voyage sont pour la plupart Français. On ne saurait donc leur dénier les libertés et les droits reconnus à tout citoyen." D'où la proposition de remplacer le titre de circulation (actuellement obligatoire dès 16 ans) par une "carte de résident itinérant" dont la possession serait facultative et conditionnerait l'accès aux aires d'accès. Autres pistes de travail : l'inscription plus rapide sur les listes électorales et le renforcement des droits sociaux (éducation notamment) de ces populations.
En contrepartie, la mission souhaite l'application pleine et entière du droit qui rend possible l'évacuation forcée des terrains occupés illégalement. Mais en la matière (voir rapport, p.28-34), la procédure actuelle est "suffisamment répressive", conforme à la Constitution en raison des garanties qu'elle prévoit, et donc il "serait périlleux de la modifier".
Les parlementaires demandent que l'on aboutisse "à un pacte de confiance" et soulignent que ces populations, diverses, "ne peuvent être jugées globalement". Et de conclure : "Par-delà les ressentis et les cas individuels qui ne nous appartient pas de juger, les gens du voyage ont bien leur place dans notre société." Ce rapport devrait aboutir au dépôt prochain d'une proposition de loi.

 

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