Télévision - Quel soutien pour les chaînes locales ?
Face aux difficultés récurrentes des chaînes locales et aux interrogations sur leur modèle économique - qui peine à fonctionner sans un soutien de plus en plus présent des collectivités territoriales -, le ministère de la Culture et de la Communication - direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) - et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) lancent une consultation publique nationale sur "d'éventuelles mesures destinées à favoriser le développement des télévisions locales". Le communiqué du CSA précise sur ce point : "Synonymes de lien social, d'information de proximité, de pluralisme et de valorisation de nos territoires, les chaînes locales sont en effet confrontées à des défis de nature économique et éditoriale". Les réponses peuvent être adressées, jusqu'au 11 février, à la fois à la DGMIC et au CSA. Les contributions seront considérées comme publiques et pourront donc être mises en ligne, mais elles "peuvent utilement être appuyées par des documents ou études complémentaires qui resteront confidentiels". En tant qu'acteurs incontournables des télévisions locales, les collectivités locales et leurs associations sont, bien sûr, invitées à participer à cette consultation.
Le soutien indispensable des collectivités territoriales
Le lancement de cette consultation nationale témoigne de la prise de conscience du ministère et du CSA de la fragilité des télévisions locales. En dépit de la montée en charge de la télévision numérique terrestre (TNT) et de la multiplication des autorisations délivrées par le CSA, les chaînes locales ne parviennent pas vraiment à décoller. Certes leur nombre s'est fortement accru ses dernières années. De trois en 1988 - les trois chaînes locales "historiques" autorisées cette année-là : Télé Toulouse, Huit Mont-Blanc et Télé Lyon Métropole -, le nombre de chaînes locales hertziennes disposant d'une autorisation est passé à 16 en 2005 et à 45 en mars 2010. Mais une bonne partie d'entre elles n'aurait pas vu le jour ou aurait cessé d'émettre sans le soutien des collectivités territoriales (voir nos articles ci-contre). Plusieurs télévisions locales ont d'ailleurs dû déposer leur bilan - l'une des dernières en date étant Angers 7 TV (voir notre article ci-contre du 12 mai 2010). De leur côté, les grands acteurs de la presse et de l'audiovisuel, un temps attirés par le marché des télévisions locales, s'en désintéressent et se désengagent progressivement. Une récente étude de l'Union des télévisions locales de service public (TLSP), réalisée auprès de trente chaînes locales hertziennes, mettait en avant la fragilité financière de ces structures (voir notre article ci-contre du 17 mars 2010). Les télévisions concernées présentaient en effet, pour l'exercice 2009, un déficit d'exploitation moyen de 352.000 euros et seules huit chaînes, sur les trente de l'échantillon, affichaient un résultat positif. Ces résultats traduisent pourtant une certaine amélioration par rapport à ceux de 2008, qui aboutissaient à un déficit d'exploitation moyen de 685.000 euros par chaîne.
Le soutien financier des collectivités compense pour partie ces difficultés et sa part dans le budget des télévisons locales croît régulièrement. L'étude de TLSP montre ainsi que l'apport des collectivités a augmenté de 36% entre 2008 et 2009, le montant de la subvention moyenne passant de 442.000 à 600.000 euros (soit environ 50% du revenu moyen des chaînes locales). Ce soutien peut prendre des formes très diverses : participation au capital, aide à l'investissement, achat de programmes... La participation des collectivités au fonctionnement des chaînes locales s'est aujourd'hui à ce point installée dans le paysage audiovisuel local qu'il n'est pratiquement plus envisageable de monter un projet viable sans leur concours. Si cet apport des collectivités a permis de compenser le manque de recettes propres des chaînes locales, il n'est cependant pas exempt d'effets pervers. Sans même parler de la question de l'indépendance des rédactions, il complique en effet les regroupements indispensables - chaque ville ou département tenant à "sa" télévision - et ne favorise pas non plus les syndications (mises en commun de contenus).
Des bonnes pratiques pour les collectivités ?
Les mesures soumises à la consultation par la DGMIC et le CSA résultent d'une étude préalable confiée à la société Analysys Mason et intitulée "Les conditions de réussite de la télévision locale en France sur la base d’une comparaison internationale". Celle-ci s'appuie principalement sur les exemples de l'Allemagne, de la Belgique, du Canada, de l'Espagne, de l'Italie et du Royaume-Uni. A partir de ces comparaisons, la consultation liste une dizaine de thèmes et formule une vingtaine de questions ouvertes, balayant largement les principaux enjeux. Certains d'entre eux ne sont toutefois pas évoqués, comme le coût - jugé excessif par les opérateurs - de la multidiffusion hertzienne (analogique et numérique).
Les mesures soumises à concertation portent en premier lieu sur le cadre juridique des télévisons locales. Il en est ainsi des règles encadrant l'actionnariat des chaînes locales, les conclusions de l'étude poussant à reconsidérer les seuils actuels de concentration et à favoriser l'actionnariat croisé entre différentes catégories de médias (télévision, presse, radio). Pour leur part, les collectivités territoriales sont très directement concernées par le thème de "la mise en place d'un cadre permettant la généralisation et l'harmonisation des subventions pour les télévisions locales". Celui-ci pourrait prendre la forme de la diffusion, auprès des collectivités, de "bonnes pratiques" qui pourraient concerner, par exemple, "les montants ou la part du budget de fonctionnement à consacrer au soutien de la production d'information ou de programmes locaux".
Elargissement de l'audience contre identité des territoires
D'autres thèmes abordés dans la consultation visent davantage les questions de mutualisation et de développement des synergies. La question de la mutualisation des coûts de structure (mise en commun de moyens de production, acquisition concertée de droits de diffusion, mutualisation de la gestion des ressources publicitaires...) devrait recueillir un assez large consensus. En revanche, celle du "regroupement et de la coopération de chaînes autour de bassins d'audience potentielle importants" pourrait être plus discutée. Certaines collectivités investies dans des chaînes locales craignent en effet qu'un élargissement de la zone couverte dilue l'identité du territoire concerné, privant du même coup leur investissement d'une partie de sa légitimité. Le questionnaire soumis par le CSA et la DGMIC ne manque d'ailleurs pas de poser une question sur les conséquences que "la constitution de ces zones pourrait emporter, selon vous, sur la notion de programme local". Pourtant, selon l'étude d'Analysys Mason, 22 chaînes locales couvrent un bassin de population inférieur à un million d'habitants (dont sept chaînes desservant moins de 200.000 personnes), ce qui est notoirement insuffisant - compte tenu de leurs taux d'audience - pour dégager des recettes publicitaires significatives. La question de l'harmonisation des grilles de programmes durant certaines heures à forte audience - souhaitée par les annonceurs - participe de la même interrogation.
Enfin, d'autres thèmes concernent davantage le contenu des programmes. Le CSA et la DGMIC s'interrogent ainsi sur le caractère opérationnel des caractéristiques de la programmation locale figurant dans les appels à candidatures pour des services de télévision locale hertzienne. De même un thème est consacré aux possibles synergies entre France 3 en région et les chaînes locales, en termes de mutualisation de moyens et/ou de circulation de programmes. La question s'appuie sur l'exemple de l'Allemagne, où les chaînes nationales - notamment publiques - sont incitées à acheter des programmes originaux aux chaînes locales, pour qui ces ventes représentent près de la moitié des revenus. La recherche de recettes publicitaires conduit également à évoquer deux autres thèmes : celui de l'amélioration des études d'audience pour les télévisions locales afin de mieux valoriser leurs écrans auprès des annonceurs et celui de l'assouplissement des règles de publicité sur les chaînes locales, avec en particulier la possibilité d'une ouverture aux opérations promotionnelles de la grande distribution. Une hypothèse qui devrait fortement déplaire à la presse locale, actionnaire d'un certain nombre de chaînes...