Production, consommation et prix de l’électricité : le Sénat à l’offensive
La commission d’enquête sénatoriale sur l’électricité a rendu un rapport résolument offensif, proposant notamment une baisse ciblée de la fiscalité, la mise en place d’un "contrat pour différence" avec EDF ou encore la révision des textes européens allant à l’encontre du principe de neutralité technologique. Misant fortement sur le nucléaire, le rapport met notamment en garde contre un développement "anarchique" des énergies renouvelables qui ferait "exploser" les coûts de réseaux et propose de limiter leur "dispersion".
La commission d’enquête sénatoriale transpartisane portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2030 et 2050 a publié ce 4 juillet son rapport, résolument offensif et pro nucléaire, et "adopté à la quasi-unanimité", a souligné en conférence de presse son rapporteur, Vincent Delahaye (Essonne, UC).
Défendre la position française au sein de l’UE
Offensif à l’égard de l’Union européenne d’abord, en considérant que "les efforts demandés à la France sont proportionnellement plus importants que pour d’autres pays" (singulièrement dans le règlement dit de répartition de l’effort – voir notre article du 26 avril 2023) alors qu’elle "dispose d’un mix électrique déjà très largement décarboné", grâce au nucléaire. Rappelant que le traité sur le fonctionnement de l’UE garantit, pour chaque État membre, de décider de son bouquet énergétique, la commission d’enquête appelle à "mettre fin à toute discrimination de l’énergie nucléaire" et à réviser certaines législations adoptées dans le cadre du paquet Fit for 55 qui vont à l’encontre de ce principe de neutralité technologique. Elle plaide en outre pour que les projets nucléaires soient éligibles aux programmes de financement de l’UE en matière d’énergie, bénéficient des prêts de la Banque européenne d’investissement ou encore pour que la création de projets importants d’intérêt commun européen (les "PIIEC") dans ce domaine se concrétise rapidement.
Définir une vision à long terme pour l’Hexagone
Offensif également en France, qui "a besoin d’une vision à long terme" en matière énergétique. "Il faut être stable. On ne peut pas faire du stop and go régulièrement tous les 5 ans", exhorte le rapporteur. Déplorant que "notre pays affiche toujours une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) obsolète alors que la loi prévoyait le vote d’une loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat avant le 1er juillet 2023" (voir notre article du 11 avril), la commission appelle sans délai au dépôt d’un texte de programmation énergie-climat afin que les grandes orientations stratégiques soient débattues au Parlement. Dans la même veine, elle appelle à renforcer le plan national de sobriété énergétique et à élaborer une stratégie nationale d’électrification, alors qu’après 15 ans de contraction de la demande électrique française, la commission juge nécessaire "un basculement massif des usages vers l’électricité", par ailleurs déjà anticipé (voir notre article du 7 juin 2023).
Indispensable nucléaire, "crucial à l’horizon 2035"
Pour le rendre possible, la commission semble davantage compter sur le nucléaire – dont une "relance ambitieuse et durable" est jugée "incontournable" – que sur les énergies renouvelables (EnR), même si le président de la commission, Franck Montaugé (Gers, SER), insiste sur la nécessité "de pousser tous les curseurs". À court terme, la commission mise principalement sur la prolongation du parc nucléaire en exploitation jusqu’à 60 ans, enjeu jugé "crucial à l’horizon 2035". À plus long terme, "après une trentaine d’années où nous avons eu le nucléaire honteux", Vincent Delahaye souligne la "nécessité de faire repartir cette filière". D’abord avec les EPR 2, même s’il pense que "l’objectif d’en construire 14 à l’horizon 2050 est un maximum". Et surtout en relançant "fortement la recherche dans la quatrième génération nucléaire, c’est-à-dire les réacteurs à neutrons rapides", jugée "absolument indispensable" alors que "les réserves d’uranium pourraient venir à manquer". À l’horizon 2035, la commission retient ainsi un scénario de mix de production reposant à 60% sur le nucléaire.
Des objectifs d’énergies renouvelables "plus réalistes" et un déploiement moins anarchique
La commission juge en effet la montée en puissance du nucléaire à cet horizon d’autant plus indispensable qu’elle doute parallèlement que les objectifs de déploiement des EnR puissent être atteints. "Nous pensons que les objectifs qui sont ceux de 2035 pourraient être raisonnablement ceux de 2050. On ne dit pas qu’on arrête les EnR, il faut poursuivre leur développement. Mais on cherche à être réaliste", indique Vincent Delahaye. Outre la traditionnelle question de leur acceptabilité, Franck Montaugé relève "qu’aujourd’hui tout est à peu près par terre en matière de production nationale ou européenne relative aux EnR" et qu’il faut "reconstruire cette filière. C’est un sujet de souveraineté extrêmement important".
Plus encore, il met en garde contre un développement jugé quasi anarchique de ces EnR : "Il y a des propositions absolument partout sur le territoire. Or si on en met partout, on va avoir une explosion des coûts de réseaux de transport et de distribution." La commission plaide donc pour un "déploiement raisonnable et équilibré" de ces EnR, Franck Montaugé appelant "à une coordination entre le gouvernement à venir et les collectivités locales". Pour Vincent Delahaye, le sujet de ces "coûts de réseaux" apparaît d’autant plus épineux qu’il déplore le manque de transparence sur les investissements "colossaux" nécessaires estimés par RTE (voir notre article du 18 mars) et Enedis (100 milliards chacun) : "On a du mal à faire la répartition entre ce qui est nécessaire pour la modernisation des réseaux existants et ce qui indispensable pour relier de nouveaux moyens de production."
Des EnR plus coûteuses qu’affiché
Au passage, la commission déplore que "les méthodes utilisées pour comparer le coût des filières électriques ne prennent pas en compte les 'coûts systèmes'", c'est-à-dire "les coûts supplémentaires induits par chacune des filières pour le système électrique dans son ensemble". Et d’observer qu’en prenant en compte ces derniers, "plus les scénarios de mix électriques comportent une part significative d’éolien et de photovoltaïque, plus le coût de production moyen du système est élevé".
L’énergie hydraulique, "énergie maîtrisée, rentable et décarbonée", trouve davantage grâce aux yeux de la commission. Mais elle souligne que son développement est bloqué depuis plus de 15 ans par le conflit avec la Commission européenne concernant le régime juridique des concessions. Aussi la commission d’enquête demande la création d’une commission ad hoc afin d’étudier les solutions qui pourraient être présentées à la Commission européenne pour lever ce blocage "qui entrave les investissements nouveaux nécessaires, notamment sans les stations de transfert d’énergie par pompage, seuls moyens de stockage véritablement efficaces aujourd’hui".
Pour une "vraie régulation du prix de l’électricité"…
La commission d’enquête se fait tout aussi offensive sur la question du prix de l’électricité.
D’abord, dénonçant le "faux accord" conclu entre l’État et EDF, "négocié dans la plus grande opacité" et qui se résumerait selon Vincent Delahaye à "une feuille volante recto-verso sur laquelle il n’y a aucune signature", la commission plaide pour la conclusion d’un contrat pour différence bidirectionnel (désormais possible depuis la réforme du marché de l’électricité – voir notre article du 21 mai) sur le parc nucléaire existant, ayant vocation à être étendu à l’ensemble des moyens décarbonés, "qui se traduirait par un prix de la fourniture d’électricité des consommateurs structurellement situé à environ 60-65 euros le MWh". Ce dispositif aurait vocation à prendre la suite de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui aura vécu fin 2025. Le hic est que, ni EDF, ni l’actuel gouvernement, "qui s’est pourtant battu avec acharnement à Bruxelles pour obtenir cette possibilité" (voir notre article du 19 octobre 2023), ne veulent désormais entendre parler d’un tel contrat, pour "des raisons qui restent mystérieuses".
… et une diminution de la fiscalité
Considérant que l’électricité est un produit de première nécessité, la commission plaide par ailleurs pour un allégement de sa fiscalité, "mais de façon ciblée", par le biais de trois mesures :
- un taux de TVA à 5,5% appliquée à une "consommation de base" (correspondant à la consommation d’un appartement de 80 m2), soit pour les volumes inférieurs à 4,5MWh pour un foyer qui n’est pas chauffé à l’électricité et à 6 MWh pour un foyer chauffé à l’électricité ; une mesure dont le coût est chiffré à 1 milliard d’euros ;
- une accise également différenciée en fonction des volumes consommés. Aujourd’hui fixé à 21 euros/ MWh, le tarif d'accise serait établi à 9,5 euros pour les volumes de consommations annuelles inférieurs aux seuils précédemment évoqués ; maintenu à 21 euros pour les volumes compris entre ces seuils et, respectivement, 7,5 et 9 MWh ; porté à 32 euros pour les volumes de consommation supérieurs à ces derniers seuils. Le coût de la mesure serait d’1,7 milliard ;
- la substitution d’une dotation budgétaire à la contribution tarifaire d’acheminement, laquelle "contrairement à son nom, ne correspond pas à du transport d’électricité mais correspond à la prise en compte des retraites des électriciens et gaziers", rappelle Vincent Delahaye. Une mesure qui coûterait là aussi 1 milliard d’euros.