Transition énergétique : RTE affine ses scénarios à horizon 2035
Le gestionnaire du réseau français de haute tension RTE a rendu public ce 20 septembre un rapport qui affine les projections de ses "Futurs énergétiques 2050" à horizon 2035, une première étape dans la trajectoire de la France pour atteindre la neutralité carbone.
"Éclairer le débat public sur la planification écologique et énergétique" : telle est l'optique de RTE dans son nouveau bilan prévisionnel 2023-2035 présenté ce 20 septembre. Ce document actualise la première période de ses "Futurs énergétiques 2050", à mi-parcours de l'objectif de neutralité carbone du pays. Depuis 2021, plusieurs paramètres ont en effet évolué, souligne RTE, du contexte géopolitique et économique mondial (guerre en Ukraine, crise énergétique), volonté du pays de renforcer sa souveraineté industrielle et énergétique, nouvelles ambitions climatiques et de décarbonation. Il s'agit ainsi d'accélérer l'électrification des usages pour sortir des énergies fossiles, qui représentent encore 60% des consommations énergétiques en France, et se conformer au programme européen "Fit for 55" qui renforce les objectifs de réduction des émissions de CO2 des pays européens : -55% en 2030 par rapport à 1990, au lieu de -40% précédemment.
Dans son bilan prévisionnel 2023-2035, RTE a étudié trois scénarios possibles avec des rythmes différents de consommation, d’électrification des usages et de développement des énergies bas-carbone. Le premier (scénario A), jugé "le plus souhaitable" par le gestionnaire, doit permettre d'atteindre les objectifs de décarbonation accélérée et de réindustrialisation en tablant, à horizon 2035, sur une consommation annuelle d'électricité comprise entre 580 et 640 TWh (contre 460 TWh aujourd'hui) - tirée notamment par la mobilité légère et lourde, l'industrie ou encore les data centers dans le tertiaire -, avec une production comprise entre 640 et 700 TWh.
Efficacité, sobriété, renouvelables, nucléaire : quatre leviers à mobiliser simultanément
Dans cette course vers la neutralité carbone, ce scénario de décarbonation "A" nécessitera de mobiliser simultanément quatre leviers - efficacité énergétique, sobriété, énergies renouvelables et nucléaire -, un défi à la portée de la France, selon RTE. "C'est facile nulle part, c'est accessible partout", a résumé devant la presse, Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE. En matière d'efficacité énergétique, en complément de la performance des équipements, le volume et l’efficacité des rénovations thermiques dans les bâtiments doit augmenter. "Cela permettrait d’économiser entre 75 et 100 TWh par an, ce qui constitue un réel défi", appuie le gestionnaire. En termes de sobriété, la poursuite des "gestes simples" engagés par les consommateurs l'hiver dernier est jugée comme un "levier important" qui permettrait d'économiser, dans l'hypothèse retenue, jusqu'à 25 TWh en 2035
En attendant l'arrivée des nouveaux réacteurs nucléaires après 2035, RTE mise aussi largement sur une accélération des énergies renouvelables : d'ici 2035, il faut "viser au minimum une production d'électricité renouvelable annuelle de 270 TWh (contre environ 120 TWh aujourd'hui) et si possible de 320 TWh", estime RTE. "Plusieurs rythmes d’accélération des différents moyens de production renouvelables ont été testés mais freiner sur l’un (solaire, éolien terrestre et offshore) oblige à accélérer d’autant sur les autres, tout en réduisant les marges", prévient le gestionnaire.
Concernant le nucléaire, RTE rappelle que l'enjeu est de retrouver des niveaux de disponibilité et de production supérieurs à ceux des dernières années, en visant 400 TWh de production annuelle mais table, dans une hypothèse prudente, sur une production moyenne annuelle de 360 TWh d'ici 2035, en maximisant le parc actuel de réacteurs. Après un hiver 2022-2023 à haut risque et une année noire marquée par une production électrique historiquement basse, notamment en raison d'un parc nucléaire largement indisponible, RTE compte dès cet hiver sur une amélioration de la sécurité d'approvisionnement. Mais, avertit le gestionnaire, "il semble désormais probable que la transition va se déployer dans un climat macroéconomique et géopolitique plus complexe que celui des années 2000 et 2010 : taux d'intérêt élevés, croissance faible, capacités de financement public sous tension, relations internationales dégradées", énumère-t-il comme autant d'obstacles.
Deux scénarios moins favorables
Alors que le gouvernement planche sur la stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), cette nouvelle donne a poussé RTE à plancher sur des scénarios moins favorables que le "A", qui permet d'être au rendez-vous de 2030 et de remplir les objectifs d'électrification et de réindustrialisation de la France, a expliqué à l'AFP Xavier Piechaczyk.
Ainsi, un scénario "B", dans lequel la France est en retard "pour des raisons qui lui sont propres" et enfin, un scénario "C", dit de "mondialisation contrariée", où il y a "d'autres retards, qui sont liés au monde extérieur", a-t-il détaillé.
Ce scénario C se traduirait à court terme par "une consommation d'électricité plus faible", "un renchérissement du coût des équipements de la transition énergétique (+15 à 20% pour les investissements photovoltaïques au sol par exemple)", et une "augmentation des coûts de financements", selon le rapport. Dans ce scénario difficile, "le coût complet des énergies renouvelables est supérieur de 30 à 60%, voire jusqu'à 100% pour des filières en tension comme l'éolien en mer". "En revanche, sur le long terme, il y a plusieurs façons de sortir" de ce scénario, a précisé Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de RTE. Il faudra "relocaliser une partie de la chaîne de valeur des équipements de la transition énergétique pour sécuriser les approvisionnements", dit RTE, quitte à investir plus.
Dans tous les scénarios, l'augmentation rapide de la consommation d'électricité représente un défi pour la souveraineté énergétique, notamment à la saison froide, quand plus de Français se chaufferont à l'électrique : "le niveau des pointes de consommation hivernales va augmenter", prévient RTE. D'où la nécessité de mettre en place un véritable "plan" en trois volets pour développer la flexibilité de la demande" grâce à un pilotage accru, selon Thomas Veyrenc, qui le résume ainsi : "déployer des équipements" (boîtiers, domotique, bornes connectées, installations connectées dans les bâtiments) ; promouvoir des "incitations tarifaires" et "pouvoir contrôler son effet sur le système".
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a revu à la hausse le coût de production de l'électricité par le parc nucléaire actuel pour les 20 prochaines années, selon un rapport confidentiel remis en juillet au gouvernement et dévoilé ce 19 septembre par le média en ligne Contexte. Dans une lettre du 10 mars 2023, le gouvernement avait demandé au régulateur de l'énergie de mettre à jour son évaluation du coût de production du parc nucléaire existant, y compris l'EPR de Flamanville qui doit entrer en service au premier trimestre 2024. Celui-ci était estimé par la CRE à 48,36 euros le MWh en 2020. La nouvelle estimation de la CRE conduit à une progression du coût de production nucléaire, en comptant le démantèlement, qui est porté à 60,70 euros/MWH sur la période 2026-2030, 59,10 euros sur 2031-2035 et 57,30 euros sur 2036-2040. Ces chiffres sont toutefois bien inférieurs à ceux présentés par EDF à la CRE, l'électricien ayant évalué ses coûts à 74,80 EUR/MWh sur la période 2026-2030 ; 73,90 EUR le MWh sur 2031-2035 et 69,90 EUR/MWh sur la période 2036-2040, selon la synthèse du rapport de la CRE. Cette nouvelle analyse s'inscrit "dans le cadre des travaux relatifs à une nouvelle régulation du marché de l'électricité" voulue par Emmanuel Macron, a expliqué le ministère de la Transition énergétique. L'objectif est que "les consommateurs français, ménages et entreprises puissent bénéficier de prix stables proches des coûts de production d'électricité en France", a ajouté le ministère. Interrogée, la direction d'EDF n'a pas souhaité commenter ce rapport, alors que les discussions avec le gouvernement pour trouver une nouvelle forme de régulation pour le nucléaire de demain se poursuivent. L'Etat et EDF travaillent en effet à l'élaboration du nouveau cadre censé prendre le relais de l'Arenh en 2025. Ce mécanisme, largement décrié par EDF, oblige le fournisseur historique à vendre une partie de son électricité à des fournisseurs alternatifs, à un prix bas de 42 euros, qui n'a jamais été réévalué. Pour le ministère, les nouvelles estimations de la CRE ne constituent "pas des hypothèses de niveau de régulation du nucléaire existant, un sujet sur lequel (...) le gouvernement sera amené à faire des propositions dans les prochaines semaines", a-t-il précisé. |