RTE revoit les besoins d’électricité à la hausse d’ici 2035
Tenant compte des nouveaux objectifs climatiques européens et des enjeux de réindustrialisation, RTE revoit à la hausse les besoins d’électricité à moyen terme en France. Pour faire face à cette nouvelle demande, efficacité et sobriété énergétiques d’une part, énergies renouvelables et nucléaire d’autre part sont autant de leviers jugés indispensables. Accompagné par Ipsos, le gestionnaire du réseau d'électricité haute tension souligne que les Français, conscients et inquiets du changement climatique, ont commencé à modifier leurs comportements et sont prêts à aller plus loin… dans une certaine limite. La question du pouvoir d’achat reste centrale, et voiture et maison individuelles restent pour l’heure intouchables, par contrainte ou aspiration.
Paquet Fit for 55, qui revoit à la hausse les objectifs de décarbonation de l’Union européenne à l’horizon 2035 (voir notre article du 16 mai), conséquences de la guerre en Ukraine, volonté de réindustrialiser le pays, révision à la baisse du volume de biomasse disponible… autant d’éléments qui ont conduit RTE à engager une "réactualisation d’ampleur" de son bilan prévisionnel 2035, à paraître en septembre prochain. "Ce qui ne remet pas en cause les trajectoires pour 2050" précédemment élaborées (voir notre article du 25 octobre 2021), précise toutefois Xavier Piechaczyk, président du directoire du gestionnaire du réseau de transport d’électricité haute tension.
Une électrification à la hausse
Premier constat de l’étude réalisée à cette fin et que RTE vient de publier, les perspectives d’augmentation de la consommation électrique se renforcent à moyen terme. Cette électrification accrue s’explique par une augmentation des besoins dans l’industrie, dans le numérique (notamment avec la relocalisation des data centers) et dans les transports, où elle est portée par l’électrification des mobilités légères – "ce qui n’est pas nouveau", pointe Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie chez RTE –, et désormais par celle des mobilités lourdes, ce qui l’est davantage. En revanche, le chauffage n’aurait que peu d’impact, dans la mesure où RTE table sur le fait que les travaux de rénovation énergétique compenseront son électrification, grandement portée par les pompes à chaleur.
In fine, RTE prévoit une consommation électrique oscillant entre 580 et 640 TWh en 2035, "soit un accroissement supérieur à 10 TWh par an sur la période 2025-2035". Un rythme "qui n’a plus été atteint depuis les années 1980" et qui constitue un "véritable défi", sans être pour autant insurmontable, juge RTE.
La nécessité de ne négliger aucun levier
Pour être en mesure de répondre à cet accroissement de la demande, quatre "leviers essentiels" sont identifiés, qui devront être actionnés de concert : l’efficacité énergétique, qui permettrait de gagner jusqu’à 100 TWh, en tenant compte des effets rebond ; la sobriété énergétique, "qui n’est désormais plus une option", et qui permettrait d’économiser 40 à 60 TWh ; le nucléaire, en "maximisant l’utilisation du parc actuel" ; et le développement des énergies renouvelables (EnR). "Compte tenu de la faiblesse des marges de manœuvre, on ne peut renoncer à aucun de ces leviers, sauf à prendre un risque majeur", prévient Xavier Piechaczyk.
S’agissant des EnR, l’objectif est d’atteindre une production annuelle de 250 TWh en 2035 (contre 120 actuellement), "ce qui suppose de s’aligner a minima sur les tendances déjà observées chez plusieurs États membres de l’Union", explique Thomas Veyrenc. Il estime même possible d’atteindre les 300 TWh annuels, rythme qui resterait "en dessous de celui annoncé par plusieurs États membres, comme l’Allemagne". Reste que d’ici 2030, RTE souligne qu’il faudra seulement compter avec l’éolien terrestre et le solaire. À partir de 2030, l’éolien en mer pourra être un relais de croissance, "à la condition que les appels d’offres soient lancés d’ici 2025", prévient-on.
Côté nucléaire, RTE table sur une production de 360 TWh annuels en 2035 (350 venant du parc historique, 10 de Flamanville 3), qui pourrait être portée au maximum jusqu’à 400 TWh annuels. Au-delà de 2035, RTE estime que "le renouvellement du parc par des EPR 2 peut permettre de poursuivre la croissance de la production d’électricité bas-carbone".
Les Français prêts à modifier – certains de – leurs comportements
RTE a doublé ses études d’un sondage conduit auprès de plus de 10.000 personnes, réalisé par Ipsos. "Une étude autant comportementale que d’opinion", insiste Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut, qui souligne ainsi le hiatus pouvant exister entre le jugement et l’action. De cette enquête, il ressort qu’une grande majorité des sondés (87%) se disent conscients que le changement climatique est une réalité, et que ce changement les inquiètent. Conscients de la nécessité de modifier leurs comportements en conséquence – ce qu’ils ont commencé de faire cet hiver –, ils ne sont toutefois pas prêts à tous les sacrifices.
Changements possibles
Certaines modifications semblent pour RTE/Ipsos relativement accessibles : la pérennisation des efforts de sobriété conduits cet hiver, le remplacement de sa voiture hors d’usage par un véhicule hybride ou électrique (37% des sondés), le changement de son mode de chauffage (44% des sondés prêts à opter pour une pompe à chaleur ou un radiateur électrique, 20% souhaitant toutefois conserver une chaudière au gaz ou au fioul), ou le déploiement des EnR (même l’éolien terrestre, le plus mal perçu, avec 47% de bonnes opinions et 34% de mauvaises) et du nucléaire (52% de bonnes opinions, tendance en forte hausse, 28% de mauvaises).
Changements plus difficilement accessibles
D’autres seront plus difficiles à mettre en œuvre. Parmi elles, l’étude RTE/Ipsos range la réduction de l’usage de la voiture et le report modal, la réduction de la taille de la voiture, la rénovation des logements, via une meilleure isolation (si les freins sont ici très majoritairement économiques, la complexité du processus entre également fortement en ligne de compte), ou la réduction de leur surface (25% seraient prêts à opter pour un logement plus petit). Sur ce dernier point, relevons que Xavier Piechaczyk souligne par ailleurs "les incertitudes sur les gains nets du télétravail", en observant qu’une activité télétravaillable peut conduire à un changement de lieu de résidence, "pour un logement plus grand et plus loin du lieu de travail".
Changements inenvisageables pour l’heure
Enfin, certains changements de modes de vie plus radicaux restent à ce jour "en contradiction" avec les aspirations, ou les besoins, des personnes interrogées. Ainsi du renoncement total à la voiture (utilisée par 89% des sondés plusieurs fois par semaine, et que 88% remplaceraient immédiatement si elle était hors d’usage), du basculement vers un logement collectif (14% des personnes interrogées habitant en maison individuelle y seraient prêtes ; inversement, 61% des sondés vivant en habitat collectif aspirent à vivre dans une maison individuelle) ou du partage d’espaces de vie. Seules 18% des personnes interrogées seraient prêtes à partager leur parking, taux qui descend à 9% pour une terrasse et 8% pour une cave. 63% des sondés le justifient par le souhait de conserver leur intimité. Brice Teinturier relève également la défiance à l’égard des inconnus, "toujours très forte en France par rapport à ce que l’on peut observer dans les autres pays".
Le pouvoir d’achat au coeur des préoccupations
De cette étude, Xavier Piechaczyk retient que si "les Français (interrogés) sont conscients du changement climatique et ont déjà commencé à agir, ils ne perçoivent pas ou peu de leviers à leur disposition". "D’où l’importance de trouver des solutions très concrètes pour lever les freins", insiste-t-il. Il relève encore que la question du pouvoir d’achat reste centrale et attire l’attention sur le contraste des réponses des personnes interrogées en fonction de leurs revenus et de leur lieu de résidence. Ce qui nécessite que les solutions apportées prennent en compte "les spécificités sociales et territoriales". Brice Teinturier alerte pour sa part sur "la difficulté et la dangerosité de vouloir imposer des modèles face aux désirs et aux besoins que les Français éprouvent. C’est le meilleur moyen d’allumer la mèche". Et, citant l’un des sondés, de conclure : "Ce n’est pas parce que l’on est très intelligent que l’on a raison."