Mobilités : TDIE appelle à fonder un nouveau contrat social
Les Français assignés à résidence ? Dans une note de travail de son conseil scientifique qui ne manquera pas d’être discutée, l’association Transport développement intermodalité environnement (TDIE) prône rien de moins que la liquidation de la "valeur mobilité sans frontières". Après des années d’une politique de l’offre, qui ne permettra pas d’atteindre selon elle les ambitions climatiques fixées, elle appelle à jouer sur la demande – la restreindre –, en promouvant une sobriété "exigeante" et en appelant à faire des mobilités un "bien commun". Compte tenu de sa prédominance, TDIE invite à se concentrer sur la route, en usant du signal-prix. Les Français y répondront-ils ?
La fête est finie. Dans la ligne d’un Emmanuel Macron évoquant la "fin de l’ère d’abondance", le conseil scientifique de TDIE appelle dans sa dernière note de travail à renoncer à la valeur "mobilité sans frontières" "Depuis des décennies, les politiques de transport européennes et nationales ont été fondées sur l’idée qu’il fallait multiplier les opportunités offertes aux voyageurs et aux marchandises", constate TDIE (encore récemment avec le "paquet Mobilité verte" - voir notre article du 16 décembre 2021). Mais pour l’organisme, qui relève que "les mobilités sont à l’origine de nombreux coûts externes, dont les émissions de gaz à effet de serre ne sont qu’une composante", l’heure est venue d’en finir avec cette logique d’offre.
Une politique d’offre trop efficace… ou pas assez
Le think tank est en effet convaincu que cette dernière, même quand elle passe par l’électrification du parc ou le report modal vers les transports collectifs, ne permettra pas d’atteindre les ambitions climatiques fixées. Quand elle n’en éloigne tout simplement pas l’horizon.
Soit parce qu’elle est "trop efficace", en favorisant une "fuite en avant" facilité par le progrès technique. "En France, de 1995 à 2019, la distance parcourue chaque année par habitant a progressé d’environ 20%", observent les auteurs. Ils rappellent notamment qu’une "amélioration des rendements conduit généralement à accroître les volumes consommés" – c’est "l’effet rebond", ou "postulat de Khazoom-Brookes". Ainsi, la baisse du coût marginal d’un déplacement en voiture électrique risque fort de favoriser la demande de déplacement et la consommation d’électricité… (et ce quand bien même le rapport estime que "le renouvellement du parc automobile sera modeste d’ici à 2030").
Soit parce qu’elle devient au contraire, dans certains cas, tendanciellement inefficace. Ainsi, les aides aux transports collectifs se heurtent "dans certaines situations aux rendements décroissants des dépenses publiques", peut-on lire. Or la dépense publique ne saurait être infinie et ne va pas sans coûts. Et ce, sans compter que "les gigantesques investissements nécessaires à la décarbonation se feront, contrairement à ce que laisse entendre le vocable de ‘croissance verte’, au détriment de la consommation", dans une forme de "stagflation climatique", indiquent les auteurs, reprenant ici à leur compte les travaux de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz pour France Stratégie.
L’heure est à la sobriété "exigeante", principalement routière
Pour TDIE, "il est donc nécessaire de se tourner vers la demande et de rechercher les moyens de la convertir à la sobriété". Une sobriété "exigeante", et non "cosmétique", "envisageant clairement les contraintes qui pourraient devenir nécessaires pour réduire […] les passagers-km et les tonnes-km". Il ne s’agit plus "de multiplier, pour le grand nombre, ou pire, pour une minorité, les opportunités de déplacement", mais au contraire, de les restreindre, "car si la mobilité aide à satisfaire des besoins privés, elle engendre aussi de nombreux coûts collectifs ou externalités négatives". À suivre la logique, l’heure n’est plus à "se contenter de réclamer des dizaines de milliards d’euros pour construire des LGV, développer l’offre de TER ou électrifier les autoroutes", mais au contraire à s’en garder et y renoncer, pour inscrire "la valeur mobilité dans une logique de bien commun". Un pari audacieux alors que l’association a naguère fait le constat du "refus d’une limitation de la mobilité" lors de sa consultation des candidats à la dernière élection présidentielle (voir notre article du 25 mars 2022).
Relevant que le report modal "a montré ses limites" et estimant que "le partage modal changera peu", les auteurs en concluent que "le réseau routier et son millier de kilomètres restera le principal vecteur des mobilités". C’est donc logiquement "sur la mobilité routière et la façon dont elle pourrait s’orienter vers la sobriété" qu’ils appellent à "se concentrer".
Assignation à résidence, via le signal-prix
TDIE concède que cette assignation à résidence des Français ne sera pas aisée. "Le rationnement brutal des mobilités n’est pas envisageable", admet son conseil scientifique, conscient que la sobriété "suppose une refondation du contrat social, explicitement fondé sur la croissance et l’abondance". Ce changement "prendra du temps", puisque "on ne change pas le contrat social par décret". En revanche, il serait possible de le susciter en mobilisant le "signal prix", qui offre "le triple intérêt de responsabiliser l’usager, d’orienter la demande et de dégager des financements". "Sans remettre en cause la liberté d’aller et venir, les autorités publiques ont tout à fait le droit de créer des taxes ou des redevances destinées à internaliser et monétariser les coûts de la mobilité pour la collectivité", estiment les auteurs.
Des ressources existantes, à ne pas sacrifier…
Selon eux, "l’acceptabilité de cette nouvelle donne dépend largement de la question du financement, des ressources et de leur utilisation". Bonne nouvelle – il en faut –, "les ressources publiques issues de la mobilité routière sont importantes" – "le mode routier supporte déjà de multiples formes de taxation et de tarification" (la note s’employant en annexe à décrypter les calculs sur la prise en compte des coûts externes de la route, relevant que certains n’hésitent pas à "charger la barque"). Mieux, "sans accroître le montant global, il est possible d’en clarifier la structure". Mauvaise nouvelle, "la probabilité est forte de voir la prochaine décennie s’orienter vers un abandon progressif du signal prix et des ressources qui en découlent". TDIE vise ici :
- la TICPE, "dont les recettes, avec l’électrification du parc vont perdre leur dynamique", sans compter que "le haut niveau des prix du pétrole empêche d’accroître cette accise" – quand il ne donne pas lieu à "des ristournes" ;
- l’arrivée à leur terme des concessions autoroutières et la perspective d’une levée des barrières et la disparition du péage, à laquelle "il faut résister", ces péages constituant "la première pierre de ce que pourrait être la création en France d’une redevance d’usage […], à savoir l’eurovignette" ;
- l’accélération de la baisse tendancielle du ratio recettes/dépenses des transports collectifs et ce, alors que le thème de la gratuité reste "politiquement porteur".
… mais à réorienter (et développer)
Pour conjurer le sort et inverser cette tendance, TDIE propose donc :
- d’instituer une redevance d’usage pour les grands axes répondant à la nouvelle directive Eurovignette, d’abord pour les poids lourds et, à terme, pour l’ensemble des véhicules, pour couvrir les coûts d’infrastructure et prendre en compte des coûts externes propres aux zones traversées, via un paiement modulé en fonction de la distance parcourue ;
- d’affecter clairement la contribution climat-énergie de la TICPE, "destinée à internaliser les coûts liés à l’usage de la route", au financement des infrastructures de transport collectif et à la décarbonation des transports routiers (bornes de recharge). TDIE y verrait "un signal fort, une façon d’améliorer l’acceptabilité de la taxe et de répondre aux demandes des autorités organisatrices des mobilités et des régions" ;
- dans "quelques métropoles", "d’étendre la tarification du stationnement grâce à un péage urbain qui servirait, là aussi, au financement des transports collectifs". Un "pass mobilité", qui comporterait pour les usagers de la route un péage modulé, en fonction du temps, de l’espace et du type de véhicule.
TDIE propose par ailleurs, pour le péri-urbain, de développer des services d’autocars express, "avec les implications qui en découlent sur le partage de la voirie" – prouvant ainsi qu’il ne renonce pas totalement à une politique de l’offre. Côté demande, TDIE suggère notamment l’interdiction de la livraison gratuite à domicile – ou dans des "délais très courts" –, proposition qui, comme d’autres, figurait dans le rapport de Philippe Duron – l’un des co-présidents de TDIE – remis le 13 juillet 2021 (voir notre article du 16 juillet 2021).
Dès lors que "la part contrainte du budget des ménages va encore progresser alors qu’elle est déjà très élevée pour les plus modestes", observent les auteurs, reste à savoir jusqu’où les Français accepteront de ne pas aller.