ZFE-m : une mission parlementaire préconise des mesures d'accompagnement pour les habitants les plus touchés
La mission d'information de l'Assemblée nationale sur les mesures d'accompagnement de la création des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) a présenté les conclusions de ses travaux ce 12 octobre. Alors que les ménages les plus modestes et les habitants des communes rurales et périurbaines risquent d'être les plus touchés par l'instauration des ZFE-m, ses deux rapporteurs formulent une vingtaine de recommandations pour faciliter l'accès des particuliers comme des professionnels à ces zones et accélérer le déploiement des mobilités alternatives dans les territoires.
Faire des "ZFE-m, à la fois des zones à faibles émissions mais aussi des zones à forte accessibilité afin de garantir le succès de leur mise en œuvre dans les territoires" : tel est le défi à relever pour les décideurs locaux qui auront à les mettre en place dans les prochains mois, selon les rapporteurs de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les mesures d'accompagnement de la création des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m), les députés Bruno Millienne (Modem, Yvelines) et Gérard Leseul (PS, Seine-Maritime).
Dans leur rapport adopté par la commission du développement durable de l'Assemblée ce 12 octobre, ils rappellent les enjeux "d'acceptabilité et de justice sociale" induits par ce dispositif qui prévoit d'interdire l'accès à certaines agglomérations à tout véhicule polluant afin de protéger la qualité de l'air. Instauré par la loi d'orientation des mobilités (LOM) votée en 2019 "dans les zones où les valeurs limites de qualité de l'air sont dépassées", il a depuis été élargi par la loi Climat et Résilience à toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants. "45 métropoles et agglomérations seront concernées en 2025, soit 44% de la population française", soulignent les deux députés dans leur rapport. Si au 1er septembre 2022, dix métropoles ont engagé une mise en place progressive des ZFE-m, aucune n'a encore étendu l'interdiction au-delà des véhicules particuliers classés Crit'Air 4 ou 5 (les plus polluants), indiquent-ils.
Mieux informer les principaux intéressés
D'après une enquête de l'Insee parue en 2019, rappellent les députés, "38% des ménages les plus pauvres ont un véhicule classé Crit'Air 4 ou 5 (10% parmi les ménages les plus riches)", notent-ils. Ce sont également les habitants des communes rurales ou périurbaines qui possèdent également le plus souvent des véhicules polluants (25% contre 14% dans "l'unité urbaine de Paris"). Or, "ces territoires sont aussi ceux où la dépendance automobile est la plus forte du fait de faibles possibilités de report modal pour parcourir des distances quotidiennes de plusieurs dizaines de kilomètres et accéder aux centres urbains", soulignent-ils. Alors que jusqu'à présent, les habitants les plus touchés par le dispositif n'ont été que très peu associés aux discussions entourant la mise en place des ZFE, déplorent les deux députés, "il y a urgence à permettre à tous les citoyens concernés d'anticiper l'impact du dispositif pour leurs mobilités quotidiennes". Les rapporteurs recommandent donc la mise en place d’une campagne d’information nationale pour sensibiliser aux bénéfices des ZFE-m sur la qualité de l’air et la santé, informer sur les calendriers, les vignettes Crit’Air et les aides disponibles, ainsi qu'une grande consultation citoyenne "pour recueillir l’avis des premiers concernés". Ils appellent aussi à renforcer les dispositifs d’information au niveau local (stands tenus sur des lieux de vie, réseaux sociaux, opérations ciblées dans les quartiers prioritaires de la ville, chez les concessionnaires automobiles, etc.).
Les députés insistent aussi sur la nécessité d'"améliorer la cohérence et la lisibilité des ZFE-m". Le cadre législatif laisse en effet aux métropoles une grande souplesse pour fixer le calendrier de mise en œuvre, les conditions d’accès aux ZFE-m (types de véhicules concernés par les restrictions, périmètre géographique, dérogations) ainsi que les mesures d’accompagnement éventuelles (ciblage et niveau des aides financières notamment). "Cette flexibilité, par ailleurs nécessaire pour adapter au mieux le dispositif aux spécificités des territoires, entraîne aussi une forte différenciation des réglementations et des calendriers d’application d’une métropole à une autre", relèvent les rapporteurs. Ils recommandent donc la mise en place d’un comité de suivi national des ZFE-m "afin de piloter leur mise en œuvre, remonter les problématiques communes des territoires et assurer des échanges de bonnes pratiques entre les collectivités", "la conduite d’un travail d’harmonisation au niveau des calendriers, des aides, de la signalisation, des dérogations et du périmètre à l’échelle d’un territoire pertinent" ainsi que la création d’un portail gouvernemental "zfe.gouv.fr" "centralisant toutes les informations utiles et permettant rapidement d’identifier s’il est permis de circuler ou non selon la zone et son véhicule".
Proposer plus d'alternatives à la voiture
Les députés appellent aussi à "accélérer le déploiement des alternatives à la voiture", "condition nécessaire et, ce faisant, prioritaire pour garantir l'acceptabilité sociale mais aussi l'efficacité d'une ZFE-m sur le plan sanitaire et environnemental". Selon eux, "les ZFE-m doivent constituer un véritable levier pour repenser la place de la voiture dans les territoires et mettre en œuvre une politique des mobilités ambitieuse qui permette un recours massifié à des modes de transports alternatifs à 'l’autosolisme' (transports en commun, covoiturage, autopartage, vélo, marche, etc.)." En outre ces politiques de "densification de l’offre de mobilités" doivent "concerner tout autant les agglomérations centrales que les territoires les plus éloignés pour lesquels les risques d’exclusion sont les plus importants". Ils préconisent donc des mesures très variées, à commencer par la création de postes de "conseiller mobilité" dans les maisons France Services afin d’apporter un conseil individualisé sur les solutions alternatives de mobilité existantes. À court terme, ils recommandent de développer sur le réseau des voies réservées pour des lignes de bus express, le covoiturage et l’autopartage, d’augmenter la fréquence et l’amplitude horaire des bus, TER et RER de façon à permettre le report modal sur de longues distances, et de prévoir une expérimentation sur les prix de transports. À moyen terme, ils jugent qu'il faut "accélérer le développement des infrastructures et des réseaux de transports publics au sein des agglomérations jusqu’aux communes voisines et périphériques", et renforcer les investissements ferroviaires, en particulier pour les projets de RER métropolitains. Ils proposent également de déployer des parkings relais sécurisés en périphérie des ZFE-m, accessibles par des corridors d’accès, et de les convertir en véritables "hubs multimodaux" proposant plusieurs modes de transport, dont des services de mobilité partagée. Ils préconisent aussi d'adopter "à titre transitoire" un taux de TVA réduit à 5,5% pour les transports publics et les services de vélo en libre-service (VLS) et en location longue durée (VLD) et de rendre obligatoire le forfait mobilités durables. Autre recommandation : compléter les documents de planification des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) par les enjeux relatifs à la mise en œuvre des ZFE-m.
Mieux cibler les aides à l'acquisition d'un véhicule propre
Les rapporteurs appellent en outre à "mieux cibler les aides à l'acquisition d'un véhicule propre afin de passer d'une logique d'incitation à une logique de solidarité". Selon eux, malgré les bonus et différentes aides, le reste à charge pour les ménages pour passer au véhicule propre reste trop important, sachant que le parc automobile est composé aux trois-quarts de véhicules Crit'Air 3 ou plus. Il leur apparaît ainsi "souhaitable" à court terme d’"élargir les types de véhicules concernés par les dispositifs de soutien en fonction de l’offre des constructeurs et des calendriers d'interdiction, et de mieux cibler les aides vers les ménages les plus précaires afin de réduire leur reste à charge tout en simplifiant leur recours". Ils proposent donc de mettre en place un "guichet unique de demande et d'obtention des aides nationales et locales sur le modèle de la métropole du Grand Paris", d'"élargir la gamme de véhicules ciblés par les aides aux véhicules Crit’Air 2 d’occasion, en particulier pour les détenteurs de véhicules Crit’Air 4 ou 5 sous conditions de ressources", d'"autoriser l’accès aux ZFE-m aux véhicules équipés d’un boîtier bioéthanol", d'"augmenter, en les ciblant mieux, le montant des aides nationales sous conditions de ressources", et d'assurer une avance des frais pour les ménages les plus précaires. Ils recommandent également d'élargir et de garantir le prêt à taux zéro (PTZ) par l’État via la Banque publique d'investissement (BPI) et de le rendre accessible aux personnes qui bénéficient d’un accompagnement social auprès d’un réseau qualifié. Autres propositions : subventionner le coût des locations avec option d’achat (LOA) et longue durée (LLD) des véhicules peu polluants pour permettre des mensualités inférieures ou égales à 100 euros du premier au dernier loyer, développer les aides au rétrofit, mettre en place une aide à l’achat d’un véhicule propre pour les primo-accédants ou encore accélérer le déploiement des points de recharge électrique "selon une cartographie cohérente avec la mise en œuvre des ZFE-m".
Mesures adaptées pour les professionnels
Les députés préconisent aussi d'adapter les mesures pour les véhicules utilitaires légers (VUL) et les poids lourds professionnels et de convertir les zones à une "logistique durable". Les professionnels rencontrent en effet des "difficultés spécifiques du fait d’une offre industrielle de véhicules classés 0 ou 1 encore réduite sur les segments de véhicules les plus lourds et ayant besoin d'une autonomie élevée (…)" et leur parc est actuellement composé quasi exclusivement de véhicules diesel au mieux classés Crit’Air 2", constatent-ils. Les rapporteurs recommandent donc de renforcer à court terme les incitations à l’acquisition généralisée de VUL et PL Crit’Air 2 (norme Euro 6), et de planifier à plus long terme le passage aux véhicules Crit’Air 0 ou 1 en fonction des évolutions de l’offre de solutions alternatives, de développer les aides au rétrofitage pour les VUL et PL, de mettre en place "une liste officielle et un système de dérogation homogène transitoire, notamment pour les véhicules de certains professionnels ne disposant d’aucune solution alternative sur le marché" et de renforcer le malus sur le poids des véhicules et d'en baisser le seuil. Ils suggèrent aussi de développer les plateformes logistiques multimodales à l’intérieur et en périphérie des ZFE-m pour permettre d'effectuer les derniers kilomètres par des mobilités décarbonées (VUL électriques, solutions fluviales, vélos-cargos, vélos à assistance électrique, etc.) ou dans un format "optimisé en termes d’émissions de polluants atmosphériques par marchandises transportées". Ils conseillent aussi de former les agents des métropoles aux "enjeux relatifs à la logistique urbaine durable".
Plus de souplesse dans la mise en oeuvre du dispositif
Enfin, les députés proposent d'"introduire de l’agilité et de la souplesse dans la mise en œuvre du dispositif". "Certains critères de restriction des ZFE-m apparaissent aujourd’hui inadaptés et pourraient être révisés dans l’objectif de renforcer l’acceptabilité sociale globale du dispositif", estiment-ils. "Les ZFE-m reposent sur le système de vignettes Crit’Air, dont les principes de classification présentent certaines limites et peuvent générer de l'incompréhension voire un sentiment d'injustice sociale, pointent-ils. Certains critères importants n’y sont pas pris en compte, comme la qualité de l’entretien du véhicule, sa puissance, sa masse ou sa consommation. Les objectifs de lutte contre la pollution et de baisse des émissions de CO2 peuvent alors entrer en conflit, dès lors que sont autorisés à circuler dans les ZFE-m des véhicules à la fois peu polluants et pouvant être fortement émetteurs de gaz à effet de serre." De plus, ils jugent "problématique" que des habitants de zones périurbaines et rurales "ne disposant pas d’un moyen satisfaisant de mobilité alternative pour se rendre occasionnellement dans une ZFE-m, ne puissent plus y accéder pour des besoins qui seraient ponctuels". Et si le dispositif des ZFE-m ne concerne, par définition, que les mobilités, "il conviendrait, dans un objectif de lutte contre la pollution de l’air, de prendre en compte l’ensemble des sources de pollution à l’échelle d’un territoire de façon à partager utilement l’effort", relèvent-ils. Afin de "limiter des effets d’exclusion injustes" et de "renforcer l’acceptabilité sociale des ZFE-m", les députés recommandent donc réviser le système des vignettes Crit’Air en intégrant les critères de poids, de consommation et d’entretien du véhicule. Ils proposent aussi de mettre en place "de façon transitoire" un "Pass ZFE" pour les particuliers sur le modèle de Strasbourg (gratuit, utilisable 24h, 12 fois par an), qui permet des déplacements occasionnels et/ou essentiels (accès aux soins, par exemple) dans le périmètre de la ZFE-m, ainsi qu'un aménagement horaire (restrictions en semaine de 8h à 19h et dérogations les weekends et soirées, par exemple), à définir territoire par territoire, selon l’impact estimé de la mesure sur la qualité de l’air. Ils appellent enfin à "engager une réflexion sur l’intégration des zones industrielles et portuaires aux ZFE, dans une logique de partage social de l’effort dans la lutte contre la pollution de l’air".
"Les ZFE-m constituent aujourd’hui une véritable opportunité pour repenser nos mobilités et les rendre à la fois moins polluantes et plus inclusives", concluent les députés. "Alors que les restrictions de circulation concerneront bientôt plus de la moitié du parc automobile français actuel, il faut agir vite et prendre la mesure des politiques publiques à mettre en œuvre pour réussir [leur] déploiement dans des délais à la fois concertés, réalistes et ambitieux."