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Avenir de l'approvisionnement électrique : la Cour des comptes appelle à prendre des "décisions urgentes"

La construction de nouveaux moyens de production, qu'ils soient nucléaires ou renouvelables, appelle dès à présent des "décisions urgentes" pour garantir l'approvisionnement électrique à l'horizon 2040, souligne la Cour des Comptes dans une note thématique publiée ce 18 novembre. Les magistrats jugent nécessaire la tenue d’un débat sur le choix à opérer, qui constitue un défi à la fois technologique et industriel, aux conséquences importantes en termes d’emploi et d’aménagement du territoire.

Après le récent rapport du gestionnaire du réseau RTE, la Cour des Comptes entend à son tour éclairer le débat actuel sur les choix d'approvisionnement électrique des toutes prochaines années via la publication ce 18 novembre d'une note technique appelant à "anticiper et maîtriser les risques technologiques, techniques et financiers" en la matière. Les magistrats commencent par dresser un état des lieux de la production électrique, de l’ordre de 530 à 550 TWh par an ces dernières années (500 TWh pour 2020), assurée à près de 70% par des réacteurs nucléaires, dont les deux tiers auront cessé de produire avant 2050.

Nouveau parc nucléaire :  "incertitudes" sur les coûts et les délais

"Le fait que les choix en matière de mix électrique n’aient pas été effectués il y a dix ans, oblige d’ores et déjà à intégrer, comme le prévoit la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) adoptée en mars 2020, la nécessité d’une prolongation jusqu’à 60 ans d’une partie du parc, avec les contraintes en termes de sûreté et les aléas du passage de la cinquième visite décennale qui en résultent", notent les magistrats.
Ils alertent en même temps sur les "incertitudes" pesant sur la capacité à construire un nouveau parc nucléaire "dans des délais et à des coûts raisonnables", alors que le président Macron vient de décider le lancement d'un nouveau programme nucléaire. Or, la construction de nouveaux moyens de production électrique - qu'ils soient nucléaires ou renouvelables – nécessite "un investissement financier considérable" et "appelle des décisions à présent urgentes pour garantir notre approvisionnement à l'horizon de la décennie 2040", soulignent les magistrats, alors que les besoins en électricité dans de nombreux secteurs (mobilité, industrie, chauffage…) devraient augmenter pour réduire l'utilisation des énergies fossiles.
Rappelant "la dérive des délais de construction" de l'unique réacteur EPR de nouvelle génération, à Flamanville (Manche), la Cour souligne "une incertitude en termes de capacité à construire un nouveau parc de réacteurs dans des délais et à des coûts raisonnables". EDF a fait à l'Etat une proposition pour construire dans un premier temps 6 nouveaux modèles d'EPR (EPR2) pour un coût de construction estimé à 46 milliards d'euros. Mais les magistrats notent qu'il en faudrait beaucoup plus (jusqu'à "25 à 30") pour maintenir une part de 50% de nucléaire dans la production électrique au-delà de 2050. Cela nécessiterait "une mobilisation et un effort de redressement accélérés de notre industrie nucléaire" et poserait "la question du nombre de sites disponibles". Ils remarquent aussi qu'EDF ne pourra financer seul les nouvelles constructions et qu'un "partage des risques avec l'Etat" sera nécessaire.

"Défis tout aussi importants pour les nouvelles énergies renouvelables"

Mais le nucléaire n'est pas le seul à poser question : "les défis à relever paraissent tout aussi importants pour les nouvelles énergies renouvelables", relève la note. Même s'il n'y a pas d'incertitude technologique du côté de l'éolien ou du solaire, ces derniers se heurtent à d'autres obstacles. Se pose notamment la question de leur stockage "à un coût abordable". Sans oublier les problèmes d'implantation "du fait de contraintes géographiques ou réglementaires", voire les "difficultés d’acceptabilité sociale, tant pour l’éolien terrestre que pour les parcs offshore au large des côtes françaises", et, "dans une moindre mesure", les "conflits d’usage avec le secteur agricole pour de très grandes centrales solaires au sol".
Quant au remplacement du gaz fossile par du gaz vert comme moyen de production d’électricité, "la question du coût et des limites des moyens de production de biogaz serait posée, de même que serait interrogée la pertinence de son utilisation pour produire de l’électricité plutôt que l’injection dans le réseau de gaz ou l’approvisionnement des flottes de bus ou de camions assurant des dessertes locales", estiment les auteurs de la note. Enfin, l’utilisation d’hydrogène comme moyen de production et de stockage, "qui n’est envisageable que s’il est produit par un processus lui-même décarboné", insistent les magistrats, nécessite elle aussi des "moyens accrus de production d’électricité".

Investissements complémentaires liés aux modalités de renouvellement

La Cour met aussi en avant les investissements complémentaires résultant des modalités de renouvellement - adaptation du réseau des lignes très haute tension pour raccorder de nouveaux lieux de production, en particulier les parcs éoliens en mer, voire des réacteurs nucléaires qui seraient construits sur de nouveaux sites, adaptation du réseau de distribution en fonction de la part des nouvelles énergies renouvelables éoliennes terrestres et solaires photovoltaïques. Le renouvellement du parc de production pourrait également soulever des questions plus spécifiques, soulignent les magistrats. "De nouveaux réacteurs nucléaires, qui fonctionneraient jusqu’en 2100, entraîneraient un besoin de gestion de leurs combustibles usés, détaille la note. Cela supposerait, soit de renouveler l’usine de retraitement des combustibles de la Hague (en cas de poursuite de l’utilisation du plutonium issu de ce retraitement dans des combustibles dits 'MOX' en adaptant les nouveaux réacteurs à cet usage) et de créer de nouveaux sites d’entreposage puis de stockage des déchets nucléaires soit de proposer un autre mode de gestion des combustibles usés et des déchets, qui seraient, dans une telle hypothèse, beaucoup plus volumineux."

Enjeux pour la formation, l'emploi et l'aménagement du territoire

De plus, "les filières concernées ont besoin de visibilité pour tirer le meilleur profit du renouvellement du parc ou pour s’y adapter", ajoute la Cour en soulevant les enjeux en termes de formation, d'emploi et d'aménagement du territoire. Le nucléaire, qui constitue la troisième filière industrielle du pays derrière l’aéronautique et l’automobile représente 200.000 emplois en France, répartis entre plus de 2.000 entreprises. Les nouvelles énergies renouvelables correspondent, elles, à une dizaine de filières industrielles différentes, pour un total d’environ 60.000 emplois hors hydraulique. "Toutefois, le développement de l’éolien terrestre et du solaire photovoltaïque dans notre pays ne s’est que très partiellement traduit par une croissance des emplois de fabrication de ces équipements, même si l’évolution des emplois au titre des énergies renouvelables au cours de la dernière décennie a été essentiellement portée par les nouvelles énergies renouvelables électriques, constatent les auteurs de la note. Les parcs éoliens maritimes ont par contre entraîné la création d’usines à Saint-Nazaire, au Havre et à Cherbourg." Pour l'ensemble des moyens de production, "les choix à venir conditionneront fortement l’évolution des besoins de formation et d’emplois, pour construire ces nouveaux moyens, les faire fonctionner et en assurer la maintenance, juge la Cour. Des choix clairs et rapides, orientant les évolutions à long terme, favoriseraient les retombées les plus positives en termes industriels et d’emplois". "L’impact de ces décisions sera également important pour chacun des territoires concernés, dans une perspective plus globale d’aménagement du territoire, qu’il s’agisse là encore de la fabrication de moyens de production ou de leur maintenance", poursuit-elle, notant que "la répartition territoriale des emplois sera très différente en fonction des choix qui seront arrêtés".
La Cour conclut sur le souhait d'un débat "sur des bases mieux éclairées" alors qu'elle pointe en particulier "un risque important pour les finances publiques". "Il n'existe ni décision simple, ni solution à faible coût, ni risque zéro", soulignent les magistrats.