Les énergies renouvelables victimes d’une sur-réglementation ?
Dans la nouvelle édition de son baromètre sur les énergies renouvelables électriques en France publiée ce 24 janvier, l’association Observ’ER juge que la France n’est définitivement pas dans le rythme de ses objectifs, même si l’année 2022 n’est pas "mauvaise" en termes de puissance installée. Elle dénonce une nouvelle fois une sur-réglementation du secteur, qui a notamment conduit au projet de loi d’accélération des énergies renouvelables en cours d’adoption. Mais le remède pourrait se révéler, selon elle, pire que le mal.
La lecture de la 13e édition du baromètre Observ’ER des énergies renouvelables (EnR) électriques en France ne surprendra guère, tant les constats et analyses ont déjà été maintes fois dressés (voir notre article du 25 janvier 2022). La crise énergétique elle-même n’aura guère contribué à bouleverser la donne, même si elle n’est sans doute pas étrangère à la survenance de deux "bonnes nouvelles", relevées par Vincent Jacques Le Seigneur, président de l’association Observ’ER. D’une part, "l’essor fulgurant de l’auto-consommation dans le photovoltaïque", avec le dépassement cet été du seuil d’1GW de puissance installée. D’autre part, "la rente apportée par les EnR à l’État", via le mécanisme de reversement d’une partie des bénéfices réalisés par les producteurs sous contrat de complément de rémunération. Un dispositif qui permet de financer une partie du bouclier énergétique (voir notre article du 27 septembre dernier).
En progrès, mais insuffisant
Pour le reste, les motifs de satisfaction sont maigres. "L’année 2022 ne sera pas mauvaise. Nous atteindrons sans doute 4,4 GW de puissance installée supplémentaires. Mais on est toujours en retard sur le plan d’action national, et clairement pas dans le bon rythme", estime ainsi Frédéric Tuillé, responsable des études de l’association. Pis, il juge que l’écart avec les objectifs fixés risque de se creuser, alors que "l’éolien terrestre s’essouffle" et que "l’accélération du photovoltaïque a été trop tardive et sa pérennité est incertaine". L’essor de ce secteur a d’ailleurs souffert cette année d’une augmentation du prix des équipements solaires, notamment due… à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, "la politique chinoise qui impose désormais aux provinces le respect strict de quotas d’émissions de CO2" ayant conduit à des réductions drastiques, voire à des arrêts des usines produisant les matériaux nécessaires.
Sur-réglementation et sur-administration…
Les freins à l’essor des EnR sont connus. Au premier rang, figure une sur-réglementation du secteur, qui n’est pas propre à la France, même si elle y excelle (voir notre article du 30 mai 2022). Pour l’éolien, les auteurs du baromètre dénoncent ainsi, une fois encore, une "réglementation complexe et changeante", à laquelle s’ajoutent d’une part "une surimposition de règles rédigées dans des guides, des chartes de collectivités territoriales ou des services déconcentrés de l’État", et d’autre part, "dans certains endroits", une surinterprétation du cadre réglementaire. Jean-Marc Lévy, délégué général de France hydroélectricité, tire les mêmes conclusions pour son secteur : "Les autorisations environnementales sont toujours aussi longues et difficiles à obtenir. Il y a un problème de gouvernance entre les directions départementales des territoires, l’Office français de la biodiversité et les préfets, qui débouche sur des niveaux d’exigence démesurés qui alimentent une surenchère permanente des préconisations demandées."
… et sous-effectifs ?
Autre "écueil" dénoncé, et non sans paradoxe, "le sous-effectif chronique des services déconcentrés de l’État qui instruisent les dossiers" (et ce, alors qu’une étude de l’association Fipeco vient d’indiquer que les effectifs de la fonction publique d’État ont augmenté de 6% entre 1997 et 2021). "Le souci principal qu’ont aujourd’hui les porteurs de projets réside dans les longs délais de traitement des dossiers. Il y a trop peu de moyens dans les services de l’État qui instruisent les dossiers", observe ainsi Jean-Jacques Graff, président de l’association des professionnels de la géothermie. Des sous-effectifs qui n’expliqueraient toutefois pas tout : "Les services déconcentrés de l’État […] ne cherchent pas le plus souvent à résoudre les difficultés", déplore ainsi l’avocat Fabrice Cassin. Vincent Jacques Le Seigneur souligne pour sa part "la situation extrêmement inconfortable des préfets", qui doivent "prendre en compte les questions d’acceptabilité sur tous les territoires" alors que ferait par ailleurs défaut "la volonté politique".
Loi EnR, un remède pire que le mal ?
Le salut viendra-t-il du projet de loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables, en cours d’adoption (voir notre dossier) ? Nullement, selon Vincent Jacques Le Seigneur, pour qui "il n’y a pas lieu de s’en réjouir" compte tenu de "son peu d’ambition".
Le texte concentre les critiques, parfois contradictoires. Tantôt il ne légifère pas assez. Ainsi du "trou béant" relatif à l’auto-consommation dans le photovoltaïque. Tantôt – plus souvent – il légifère trop. Un exemple : la filière de l’éolien terrestre juge que la mise en place des outils nécessaires à la planification territoriale prévue par le Sénat "va prendre des années pour déboucher en réalité sur un ralentissement de [son] développement", indique le rapport. "Alors que ces cartographies sont présentées comme des outils qui in fine doivent accélérer le développement de l’éolien, cela se révèle toujours être un frein", enseigne Fabrice Cassin. Antoine Huard, président de France territoire solaire, livre la même analyse pour le photovoltaïque, citant "la mise en place des zones dites 'd’accélération', dont le mécanisme tel qu’il est actuellement prévu est particulièrement kafkaïen et risque de conduire à un gel des projets dans l’attente de la définition desdites zones, ce qui prendra des mois, sinon des années". De même, s’il salue la définition de l’agrivoltaïsme, il déplore que le législateur n’ait pas "pu résister à la tentation de complexifier le dispositif". À tout prendre, Fabrice Cassin invite ainsi à "surtout ne plus légiférer". Les filières évoluent dans "un univers de procédures, certes complexes, mais avec lesquelles les professionnels ont appris à composer", est-il par ailleurs observé.
Règlement européen
Vincent Jacques Le Seigneur voit toutefois dans le règlement européen du 19 décembre dernier (voir notre article du 3 janvier) un motif d’espoir, en soulignant "qu’il s’imposera à tous", et ce bien qu’il ait craint que le législateur français n’en eût guère tenu compte. Au-delà, ce qui, pour lui, fait surtout défaut en France, "c’est la cohérence et un récit national sur la transition énergétique". Et de déplorer ainsi que "la même année, le président de la République entende repousser l’ambition sur l’éolien terrestre de 2028 à 2050" (voir notre article du 11 février 2022) et que le Sénat souhaite, pour le nucléaire, "transformer un plafond en seuil" (voir notre article du 12 janvier). "Comment se projeter quand le récit change autant ?", interroge-t-il.
La première région métropolitaine en termes de production électrique renouvelable reste de loin Auvergne-Rhône-Alpes avec son imposant parc de centrales hydroélectriques (et notamment de multiples barrages de forte puissance) qui compose près de 90% de la production de ce territoire, note le rapport d'Observ'ER. Mais la filière hydroélectricité mise de côté, c’est la région Hauts-de-France qui arrive cette fois en tête de la production électrique renouvelable, portée en cela par son parc éolien. Cependant, le phénomène de baisse de facteur de charge de l’éolien en 2021 par rapport à 2020 est d’autant plus visible sur les deux régions phares du secteur (Hauts-de-France et Grand Est). Les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Paca sont les plus dynamiques dans le secteur du photovoltaïque et voient leur production progresser en 2021. En 2021, le taux de couverture des besoins électriques s’est élevé à 24,9% en moyenne en France. Un chiffre cependant inférieur à celui de 2020 (26,9%), qui avait été mécaniquement aidé par la crise sanitaire et le ralentissement économique. La meilleure autonomie est celle de la Guyane (65%). En métropole, c’est le territoire d’Auvergne-Rhône-Alpes qui présente le meilleur bilan, avec 44,7% de sa consommation électrique couverte par une production renouvelable. À l’autre bout de ce classement, on trouve l’Île-de-France, avec un taux de couverture de moins de 2%. |