Transition énergétique : les collectivités toujours en quête de fonds
Les associations d’élus attirent l’attention des parlementaires sur le risque que l’explosion de la facture énergétique n’empêche les collectivités de prendre leur part, pourtant centrale, dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils plaident pour des moyens renforcés et à tout le moins veulent conjurer le spectre de nouvelles ponctions.
"Il y a de l’argent. Il y a même beaucoup d’argent. Beaucoup d’argent public, beaucoup d’argent privé. Et les taux sont faibles", déclarait naguère Sébastien Soleille, à la tête du pole Transition énergétique et environnement de BNP Paribas, évoquant alors des fonds en mal de "projets climatiques" (voir notre article du 10 mars dernier). Six mois après – une éternité –, une tout autre musique se fait entendre, en tout cas au sein des collectivités territoriales. Lors de leur audition par la commission Développement durable de l’Assemblée nationale, ce 28 septembre (voir notre article du 30 septembre), les représentants des associations de ces dernières tirent le signal d’alarme au regard de leur situation budgétaire, singulièrement les communes (voir notre article du 21 septembre).
"Sans les communes, on n’est rien"
"Avec l’augmentation de la facture énergétique, des communes ne pourront plus investir. Certaines sont même prêtes à remettre leur budget au préfet, ne sachant pas comment l’équilibrer", alerte Alain Leboeuf, président du groupe de travail sur les énergies renouvelables de Départements de France. L’élu étaye l’argumentation par un exemple : "Notre syndicat départemental a mis à disposition des collectivités 15 millions d’euros sur les six dernières années pour les inciter à rénover. Ce sont 186 bâtiments qui ont pu l’être – comme quoi les maires sont bien volontaires –, aboutissant à une moyenne d’économie d’énergie de 64%. Ce même syndicat a l’habitude de travailler avec l’ensemble des communes du département pour l’achat groupé d’énergie électrique. En 2022, cela représentait 22 millions d’euros ; 44 millions cette année ; 150 millions l’année prochaine. 100 millions d’euros de plus pour l’ensemble des collectivités de ce département. Vous devinez, par rapport au budget de 15 millions d’euros sur 6 ans que j’évoquais, combien nos collectivités ne vont plus pouvoir investir dans la rénovation majeure. C’est au moment où nous devrions investir le plus que nous sommes le plus handicapés". Et d’avertir : "Sans les communes, on n’est rien." "Toutes les transitions ne pourront pas se réaliser sans le concours des élus locaux, et en particulier sans les maires", défend également sans surprise Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). Avant d’ajouter qu’il serait dès lors "curieux et très dommageable pour notre pays qu’il n’y ait pas pour les collectivités une sorte de bouclier énergétique. Parce que s’il n’y a pas ce bouclier, c’est une capacité qui sera amoindrie d’autant pour nos collectivités, qui je le rappelle effectuent 70% de l’investissement public".
Des départements pas épargnés
La menace d’une crise budgétaire n’épargnerait pas les départements, en dépit de la croissance toujours vive – mais inégale – des droits de mutation à titre onéreux (voir notre article du 20 juin). "On est en train, nous aussi, de se poser la question de savoir comment nous allons boucler nos budgets", confesse Alain Leboeuf, avouant même "des difficultés majeures pour certains d’entre eux". Et d’égrener la liste des dépenses contraintes auxquelles il faut faire face, entre l’explosion des coûts de l’énergie qui affecte collèges et Ehpad (derniers établissements dans lesquels il sera très difficile de faire baisser les températures, note-t-il), la nécessaire revalorisation des aides à domicile "insuffisamment payées", l’augmentation du point d’indice, celle du RSA, "le Ségur qui nous tombe dessus", etc.
La crainte de la ponction
À ces inquiétudes, s’ajoute la crainte d’une nouvelle ponction de l'État cigale sur les collectivités fourmis, exprimée par Guy Geoffroy : "J’ai le plus grand respect pour la Cour des comptes, mais l’AMF dénonce la transformation de la photo en film. Ce n’est pas parce que, à un moment déterminé, on fait le constat que les excédents cumulés de fonctionnement des collectivités sont de tant qu’il faut dire que le gras est là, dont on va pouvoir se servir pour diminuer l’endettement de notre pays. Je rappelle que les communes n’ont pas le droit à autre chose, que soit un résultat 0 – et heureusement qu’elles ne l’ont pas –, soit un résultat positif – et heureusement qu’elles l’ont – pour leur budget de fonctionnement. Nous, la planche à billets, le crédit revolving, nous ne l’avons pas […]. Nous n’avons pas de bas de laine et du gras dans lequel on pourrait puiser. Les dettes des collectivités sont propres, et ne sont pas là pour payer le quotidien, mais pour préparer l’avenir".
Pas d’investissements sans budget de fonctionnement
L’avenir, ce sont les transitions énergétique et climatique : "L’État a besoin de nous pour atteindre tous les objectifs, mais il faut que nous en ayons les moyens, avec la capacité d’autofinancer autant que possible ce qu’il nous revient. Il faut donc de l’ingénierie et que nous conservions des marges dans nos budgets de fonctionnement. Il faut impérativement que le gouvernement accepte l’indexation de la dotation globale de fonctionnement", tonne le vice-président de l'AMF, en rappelant qu’elle "n’est pas un cadeau de l’État, mais un dû, du fait des lois de décentralisation dont on a oublié de fêter les 40 ans cette année". Une indexation que le gouvernement se refuse néanmoins à mettre en œuvre (voir nos articles des 27 septembre et 29 septembre).
Jean Revereault, vice-président d’Intercommunalités de France, chargé des transitions écologiques, insiste particulièrement sur les difficultés des collectivités à recruter : "On bute sur les ressources humaines. On manque de gens formés. On ne peut même pas recruter. On a un cadre de la fonction publique territoriale tellement contraint", déplore-t-il. Et d’avertir : "S’il n’y a pas du conseil aux collectivités, on ne fera pas les chantiers, on ne fera pas les investissements". La démonstration n’est pas nouvelle (voir notre article précité du 10 mars), mais les solutions tardent à venir.
Ifer, fonds vert… et assurance-vie
Pour dégager de nouveaux moyens, "du côté d’Intercommunalités de France, on aimerait bien avoir un outil supplémentaire, lié à cette richesse territoriale que nous créons en jouant les casques bleus [dans l’implantation des installations d’énergies renouvelables] : une part d’Ifer [d’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux]", milite Jean Revereault, déplorant qu’on ait "vu l’inverse, avec l’Ifer qui a diminué". "Il nous faut dans nos territoires un peu plus de valeur pour investir et accompagner", implore-t-il. Évoquant par ailleurs le fonds vert (voir notre article du 14 septembre), l’élu plaide, "sur la méthode", "pour que l’on reste sur les contrats de relance et de transition écologique. On a fait un boulot énorme dans nos collectivités pour faire un programme d’actions […]. Par contre on voit bien que les financements ne sont pas arrivés sur la transition, mais sur la relance". En dernier lieu, il suggère aux parlementaires de trouver un moyen de "mobiliser l’argent de l’assurance-vie – 1.700 milliards d'euros – vers les outils de la transition, alors que le rapport pour ceux en compte est plutôt modeste ces dernières années. Si vous trouvez une solution pour ne mobiliser ne serait-ce que 1% des montants, on est preneur ! À vous de voir", les met-il au défi.