Accélération des énergies renouvelables mais coup de frein sur la petite hydroélectricité ?
L’Association nationale des élus de la montagne (Anem), le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et France Hydro Électricité montent au créneau contre un projet de décret qui, s’il était adopté en l’état, ne permettrait pas aux projets hydroélectriques d’une puissance inférieure à 3 MW de bénéficier automatiquement de la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur.
Peut-on accélérer tout en étant debout sur les freins ? C’est la question que posent l’Association des élus de la montagne (Anem), France Hydro Électricité et le Syndicat des énergies renouvelables (SER) ce 29 novembre. En cause, un projet de décret d’application de la loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables (voir notre dossier). Soumis à la consultation ces dernières semaines, il fixe notamment en l’état un seuil de 3MW au-delà duquel les projets hydroélectriques en métropole continentale seront réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (la fameuse RIIPM), l’une des trois conditions nécessaires à l’octroi d’une dérogation "Espèces protégées", parfois nécessaire pour obtenir le permis ou l’autorisation environnementale. "On comprend entre les lignes que les projets de moins de 3MW ne sont pas d’intérêt public majeur pour le pays", décrypte Pascale Boyer, présidente de l’Anem et députée (Renaissance) des Hautes-Alpes.
Volonté du législateur bafouée
Une décision incompréhensible pour l’élue, puisque "ce sont les projets inférieurs à ce seuil qui ont le plus besoin de cette souplesse !". "Plus le projet est petit – par la taille, pas par l’intérêt ! –, plus c’est compliqué de démontrer qu’il est d’intérêt public majeur. On voit bien ce qui va se passer : en les privant du bénéfice de cette mesure de simplification, on va rendre encore plus difficile la démonstration de leur intérêt et donc éliminer les petits projets", prédit Jules Nyssen, président du SER. "Ce qui va à l’encontre de la volonté du législateur", laquelle était précisément d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables en allégeant les procédures, objecte Pascale Boyer. En fait d’accélération, elle dénonce "un régime discriminatoire" et "une marche arrière considérable".
Pas le bon critère
En instaurant cette présomption d’intérêt public majeur, "le législateur français a été précurseur", félicite pourtant Jules Nyssen, en relevant que le principe a depuis été repris par la directive RED III (voir notre article du 7 novembre). Mais "comme on est en France, le législateur a souhaité conditionner cette présomption à un certain nombre de critères [le "type de source d'énergie renouvelable, la puissance prévisionnelle totale de l'installation projetée et la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs"] dans un décret. Mais pourquoi ne pas avoir retenu le critère d’atteinte des objectifs ?", interroge-t-il. Pour lui, ce dernier pouvait avoir du sens : "Est-ce que j’ai atteint ce qui est fixé dans la programmation pluriannuelle de l’énergie ? Si oui, on peut considérer que je suis moins d’intérêt public majeur. S’il n’est pas atteint, oui je suis d’intérêt public majeur parce qu’il y a urgence à atteindre les objectifs ! Malheureusement le décret a éliminé ce critère pour retenir uniquement celui de puissance différenciée par technologie", déplore-t-il. Non sans observer au passage qu’"à un moment donné, il va bien falloir transposer la directive, et je ne crois pas y avoir vu des conditions d’application...".
Pas le bon seuil
À défaut de pouvoir changer le critère, les associations entendent faire évaluer le seuil retenu, "dont on n’arrive pas à voir la justification", précise Pascale Boyer, en observant que "les projets de développement de petite hydroélectricité sont quasiment tous inférieurs à 3 MW". "70% du parc existant est inférieur à 3 MW. Donc si on extrapole avec les objectifs de développement de la petite hydroélectricité, qui sont de 485 MW, ce sont 340 MW que l’on rend plus difficiles", calcule Jean-Marc Lévy, délégué général de France Hydro Électricité. Il dénonce en outre "l’absence de cohérence avec la loi Climat et Résilience, qui a souhaité le développement de la petite hydroélectricité, ainsi qu’avec le soutien apporté par ailleurs au développement des petites installations de moins de 3 MW".
Abaissement souhaité, à défaut de suppression
Les associations plaident pour un abaissement du seuil à 150 kW. "Historiquement, c’est celui à partir duquel les installations étaient autorisées. C’est ce qui répond à la réalité du terrain", explique Jules Nyssen. Il relève que le Conseil supérieur de l’énergie s’est prononcé à une très large majorité en faveur d’un tel abaissement en octobre. "À défaut, retenons la même règle que pour les autres EnR, c’est-à-dire un seuil qui corresponde à environ 85% du potentiel de production, soit environ 400 kW", propose-t-il encore, tout en soulignant que "cela n’a pas beaucoup de sens". Jean-Marc Lévy insiste par ailleurs sur le fait que supprimer ou abaisser ce seuil ne reviendrait nullement "à accorder un passe-droit environnemental. Des trois conditions que le projet doit remplir, la RIIPM est la seule qui ne concerne pas la biodiversité. Et sa reconnaissance ne dispense pas que les deux autres conditions – qui ont, elles, trait à la biodiversité – doivent être remplies", rappelle-t-il.
"Épaisseur du trait"
Le ministère de la Transition énergique, qui tient la plume, n’entend toutefois pas revoir sa copie, renvoyant la balle au ministère de la Transition écologique. "Je vais être très claire. C’est un débat des experts de la biodiversité, on va le dire comme ça. L’enjeu énergétique au niveau national, entre 150 kW, 1 MW, 3 MW, c’est l’épaisseur du trait sur notre production nationale", déclarait ainsi Agnès Pannier-Runacher lors d’une audition au Sénat le 15 novembre dernier. Une expression jugée "pas très respectueuse" par Jules Nyssen, et qui fait bondir Xavier Casiot, président de France Hydro Électricité : "RTE, son métier, tous les jours, c’est de travailler sur l’épaisseur du trait ! Quand notre système électrique est tendu, chaque kWh compte ! Comment peut-on penser qu’on peut se payer le luxe de ne pas aller chercher ces KW très précieux au moment où l’on prévoit de pouvoir limiter la consommation du particulier, quand bien même paye-t-il son abonnement, parce qu’il n’y a pas assez d’énergie !" (voir notre article du 8 novembre). Jules Nyssen y voit un "anachronisme, comme si l’on pouvait se permettre de choisir parce que les besoins ne seraient pas si urgents que cela !".
L’automne vient-il d’arriver pour la montagne ?
Il souligne encore "qu’avec ce seuil, on va éliminer les projets qui s’insèrent le mieux dans la vie locale et les territoires". "Ceux qui bénéficient de la meilleure acceptabilité", ajoute Pascale Boyer. L’élue dénonce en outre le fait que "l’on prive ainsi les communes de montagne de la possibilité d’exploiter le potentiel énergétique de leurs ressources naturelles. Cela met en risque la transition énergétique de ces territoires, où l’électricité est le levier principal de production d’énergies renouvelables du fait de leur configuration naturelle", alerte-t-elle. "On ne peut pas laisser dire que les projets inférieurs à 3MW ne présentent pas un intérêt économique et social pour les territoires de montagne", s’insurge à son tour Jean-Marc Lévy.
La petite hydroélectricité semble toutefois peu en cour dans la capitale. Pascale Boyer relève qu’à la différence des autres filières d’énergies renouvelables, "le potentiel de l’hydroélectricité validé par le ministère au printemps n’a toujours pas été versé sur le portail du Cerema-IGN qui vise à aider les maires à identifier les zones d’accélération des EnR dans leur commune". Et ce, alors qu’ils "doivent théoriquement faire remonter leurs propositions au référent préfectoral de leur département d’ici le 31 décembre prochain". Elle observe de même "que l’hydroélectricité ne figure pas dans les huit fiches EnR réalisées par l’Ademe à l’attention des élus".