Un Conseil de l’énergie bien alimenté
Réunis ce 28 octobre, les ministres de l’énergie des 27 se sont accordés sur plusieurs textes, actant notamment cette fois formellement la fin de la commercialisation de voitures thermiques neuves à compter de 2035. L’actualité était également en marge du Conseil, avec une nouvelle réunion du "groupe de coordination nucléaire", qui vise autant à renforcer la coopération entre ses membres qu’à faire pression sur la Commission.
Pour la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le 28 mars aura été une journée bien chargée. Elle aura été occupée par le Conseil des ministres de l’énergie, au copieux menu. Les 27 s’y sont accordés sur plusieurs textes d’importance.
• Ils ont acté le prolongement d’un an du règlement d’urgence sur la baisse de la consommation de gaz adopté l’an passé (voir notre article du 21 juillet 2022). L’accord, qui entrera en vigueur le 1er avril prochain, prévoit la réduction volontaire de 15% de la consommation de gaz naturel des États membres entre le 1er avril 2023 et le 31 mars 2024 par rapport à leur consommation moyenne entre le 1er avril 2017 et le 31 mars 2022. En cas de nécessité, le Conseil pourra déclencher une "alerte de l’Union" rendant alors cet objectif obligatoire. Le texte adopté introduit également une disposition permettant de prendre en compte le cas d’un État membre qui verrait sa consommation augmenter du fait du remplacement du charbon par du gaz utilisé pour le chauffage urbain. "Il faut d’ores et déjà commencer à préparer l’hiver prochain", décrypte Agnès Pannier-Runacher.
• Les 27 ont également arrêté leurs positions de négociations sur le "paquet gaz", i.e. deux propositions instaurant un cadre réglementaire pour les infrastructures et les marchés intérieurs des gaz naturels et de l'hydrogène.
Il comprend une proposition de règlement visant à faciliter l'adoption de gaz d'origine renouvelable et bas carbone – en particulier le biométhane et l'hydrogène – sur le marché gazier de l'UE, en supprimant les tarifs pour les interconnexions transfrontalières et en diminuant les tarifs aux points d’injonction. Le Conseil entend notamment donner davantage de souplesse aux États membres pour fixer ces tarifs et les rabais applicables. Le règlement ambitionne également de faciliter le mélange de l'hydrogène avec du gaz naturel et des gaz d'origine renouvelable (le Conseil a toutefois revu à la baisse – de 5 à 2% en volume – l’hydrogène pouvant être injecté dans le système de gaz naturel). Le Conseil a également ajouté une "clause de sécurité" permettant aux États membres de prendre des mesures "proportionnées" pour limiter temporairement les importations en provenance de Biélorussie et de Russie.
Le paquet comprend en outre une proposition de directive qui vise à étendre aux réseaux d'hydrogène les principes de la législation de l'UE applicables aux réseaux de gaz. En l’espèce, le Conseil a notamment ajouté la possibilité d'une intervention publique dans la fixation des prix en cas de situation d'urgence, en reprenant des dispositions figurant dans la proposition de révision de l'organisation du marché de l'électricité en cours de discussion.
• Les 27 ont par ailleurs formellement adopté le règlement révisé sur les limites d’émission de CO2 pour les voitures et véhicules utilitaires légers neufs, qui dispose notamment l’interdiction de la commercialisation de véhicules thermiques, y compris hybrides, neufs à compter de 2035 (voir l’encadré de notre article du 15 février 2023). Pour faire face au revirement de position (voir l’encadré de notre article du 21 mars 2022) et blocage allemands de dernière minute, le texte fait désormais référence aux carburants de synthèse (ou e-fuels, i.e. tous les carburants, gazeux ou liquides, produits à parte d’électricité renouvelable ou décarbonée), ce qui pourrait permettre la commercialisation de véhicules équipés de moteurs à combustion utilisant ces carburants au-delà de cette date (après consultation et étude, la Commission pourrait prendre un acte délégué en ce sens, qui pourrait toutefois toujours être rejeté). La volte-face allemande laissera toutefois des traces : "C’est un texte qui avait été agréé non seulement par les ministres, mais aussi par l’ensemble des institutions européennes en trilogue", rappelle l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, qui estime qu’en "rouvrant les discussions à un stade où il s’agit normalement d’une adoption purement formelle", l’Allemagne a fragilisé le fonctionnement des institutions européennes. "C'est un vrai sujet de préoccupation", estime-t-on boulevard Saint-Germain, où l’on insiste sur la nécessité de "faire très attention au signal qu'on envoie et ne pas remettre en cause le leadership européen en matière climatique".
• Les ministres ont enfin échangé pour la première fois dans un cadre formel du projet de réforme du marché européen de l’électricité (voir notre article du 20 mars 2023). Alors que les chefs d'État et de gouvernement réunis en Conseil européen ont demandé la semaine dernière aux institutions européennes de finaliser cette révision d’ici la fin de l’année, la présidence suédoise a confirmé que cette réforme constituait pour elle une priorité.
Le nucléaire toujours en débat
Pour la ministre, la journée avait toutefois commencé par une nouvelle réunion (voir notre article du 28 février) du groupe de coopération nucléaire (Bulgarie, Croatie, Finlande, France, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie, auxquels se sont joints en qualité d’observateur la Belgique, l’Italie et les Pays-Bas) avec la Commission et la présidence suédoise. L’objectif est d’approfondir leur coopération en la matière : un programme de travail a été arrêté, portant prioritairement sur la préparation de la filière européenne aux investissements dans de nouveaux réacteurs, les modalités de financement, le soutien aux petits réacteurs modulaires et un programme de développement des compétences, qualifié d’"enjeu absolument majeur en Europe" par la ministre.
L'objectif est aussi d’affirmer la place du nucléaire – "technologie stratégique, aux côtés des énergies renouvelables, pour atteindre nos objectifs climatiques et la neutralité carbone en 2050" – régulièrement remise en cause par la Commission et certains États membres, Allemagne en tête, notamment dans le cadre des négociations sur la directive dite RED III (voir notre article du 2 février). "Nous souhaitons avoir un traitement différencié entre le nucléaire qui émet très peu de CO2 et les énergies fossiles. La présidence suédoise a pris acte de cette demande et s'est engagée à faire une proposition en vue de la négociation de demain [ce 29 mars] de la directive. Nous prendrons position en fonction de cette nouvelle proposition", explique Agnès Pannier-Runacher. La situation est d’autant plus tendue que deux minorités de blocage se font front. Et les récentes déclarations d’Ursula von der Leyen jugeant que le nucléaire n’était pas stratégique pour le développement de l’industrie de l’Union ont soufflé sur les braises. "L’expression de la présidente est malheureuse. Du point de vue des autorités françaises, elle n’est clairement pas cohérente avec l’enjeu climatique auquel, et le nucléaire, et les renouvelables, ont vocation à répondre. Les autorités françaises considèrent que le Net Zero Industry Act a bien vocation à intégrer toutes les technologies qui participent à la transition", explique l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher.
France-Allemagne, duo ou duel ?
Dans un entretien publié hier par le Frankfurter Allgemeine Zeitung, la ministre, d’ailleurs en déplacement outre-Rhin ce jour, s’est employée à minimiser les désaccords avec l’Allemagne : "Au fond, ce qui nous réunit est beaucoup plus important que ce qui nous sépare." Sans toutefois baisser le pavillon : "La France émet 46 grammes de CO2 dans son mix électrique, là où l’Allemagne est à 315 grammes […]. En 2021, on était à 19,2% de renouvelables pour l’Allemagne et 19,3% pour la France […]. La France a depuis dix ans la même trajectoire de développement de renouvelable que l’Allemagne. Nous ne sommes ni moins bon, ni meilleur élève. En revanche, nous avons une part de nucléaire importante et il n'est pas acceptable que cette production qui émet très peu de CO2 soit discriminée." Dans l’entourage de la ministre, on se fait plus grinçant encore : "Si c’était drôle, cela pourrait prêter à sourire d'embarquer les e-fuels, qui sont quand même des technologies extrêmement émergentes, pour ne pas dire de science-fiction, au titre de la neutralité technologique, mais de refuser de le faire sur de l'hydrogène produit à partir d'un mix électrique européen qui aujourd'hui existe déjà."