Relance du nucléaire : la cadence d’application de la loi est satisfaisante, mais la problématique des aménagements connexes reste effleurée
La déclinaison réglementaire des mesures d’application de la loi du 22 juin 2023 de relance du nucléaire "ne pose pas de difficulté majeure", selon le rapport adopté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 13 février. Parmi les aspects intéressant les collectivités territoriales, quelques développements sont consacrés au zéro artificialisation nette (ZAN) en lien avec la nouvelle loi publiée le 21 juillet 2023. La préparation du chantier des futurs EPR2 de Penly fait également émerger des problématiques non traitées par la loi, en particulier les aménagements connexes non directement liés à la réalisation des réacteurs, auxquels le rapport consacre un focus.
L’accélération promise par le législateur pour la relance du nucléaire est-elle au rendez-vous ? Un peu plus de sept mois après la promulgation de la loi du 22 juin 2023 relative à "l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes", le rapport adopté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 13 février dernier, pour en dresser un premier bilan, rassure sur son applicabilité. La loi "nucléaire" étant un texte d’accélération, "il est d’autant plus important que les mesures d’application de celle-ci soient prises dans les meilleurs délais", souligne-t-il. Avec un taux d’application de 50%, le bilan est jugé "satisfaisant". La loi nécessitait en réalité peu de textes réglementaires d’application (six au total). Une petite moitié, c’est-à-dire trois d’entre eux, sont encore attendus, mais "le travail est déjà bien engagé", remarque la députée Maud Bregeon (Hauts-de-Seine/RE) co-rapporteure aux côtés de Sébastien Jumel (Seine-Maritime/GDR-Nupes). Ce n’est donc plus qu’une question de semaines…"Le travail d’application se déroule bien et les décrets d’application publiés jusqu’ici ne posent pas de difficultés particulières", résume-t-elle.
Le décret (n°2024-61) précisant les modalités du contrôle de conformité aux règles d’urbanisme de la réalisation d’un réacteur électronucléaire a été publié début février. Celui (n°2023-1261) sur le séquençage des travaux selon qu’ils soient exécutés à compter de l’autorisation environnementale ou de l’autorisation de création est paru fin décembre. De même que le décret (n° 2023-1366) fixant les seuils de puissance au-delà desquels les projets sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM). Les sites qui accueilleront les trois futures paires d’EPR2 (à Penly, à Gravelines et Bugey) et qui pourront bénéficier des dispositions d’accélération de la loi sont en outre déjà connus. Et "les choses sont allées vite" : la demande d’autorisation de création des EPR2 de Penly a été déposée fin juin quelques jours seulement après la promulgation de la loi. Notons également qu’un décret (n° 2023-1104) - non explicitement prévu par la loi - permet de procéder à des adaptations afférentes aux réexamens périodiques des réacteurs.
Les derniers textes d’application dans les tuyaux
Deux des mesures réglementaires manquantes réunies au sein d’un même projet de décret qui a déjà été soumis à consultation publique et transmis au Conseil d’État, devraient être publiées en ce début d’année. Ce texte doit en particulier préciser la notion de proximité immédiate qui figure à l’article 7 de la loi dans le cadre des mesures d’accélération des procédures liées à la construction de nouveaux réacteurs EPR2, y compris de SMR (petits réacteurs modulaires) et certains projets d'entreposage de combustibles usés. Il prévoit en outre un retour au droit commun des INB pour les modifications de l’autorisation environnementale effectuées après le décret d’autorisation de création.
Une autre mesure, moins urgente, devrait être publiée "d’ici la fin du premier semestre 2024", et concerne les modalités de paiement de la taxe d’aménagement.
Le rapport estime par ailleurs que l’absence de mise à jour de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) - qui est adoptée par décret, et doit en théorie faire l’objet d’une révision simplifiée dans l’année qui suit la promulgation de la loi, soit d’ici juin 2024 -, "n’est pas bloquante" pour assurer la bonne application des dispositions opérationnelles d’accélération de la loi "nucléaire" et démarrer les différents chantiers. En revanche, Sébastien Jumel déplore que la loi d’accélération du nucléaire n’ait pas été précédée par son pendant programmatique en matière législative.
Quid du ZAN ?
Aucun décret d’application n’est prévu par la loi "nucléaire" sur le sujet de l’artificialisation. Les enjeux relatifs au zéro artificialisation nette (ZAN) "bien que n’appelant pas de décret d’application, sont fondamentaux", pointe néanmoins le rapport qui y consacre quelques développements intéressants en opérant un lien avec la loi "ZAN" n° 2023-630 du 20 juillet 2023. Au même titre que d’autres projets d’envergure nationale ou européenne, les réacteurs nucléaires seront décomptés dans le cadre d’un forfait national mutualisé entre régions. Un projet d’arrêté a d’ailleurs été élaboré. Il intègre bien les réacteurs dans les projets d’envergure, avec une consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF) sur la période 2021-2031 estimée à 48 hectares (ha) pour Penly, à 170 ha pour Gravelines (sous réserve de précisions liées à des études en cours) et à 220 ha pour Bugey. Selon les précisions du ministère de la Transition écologique : "ces calculs du foncier nécessaire correspondent à la différence entre l’enveloppe globale de besoin exprimé par EDF et les surfaces déjà urbanisées pouvant être remobilisées". Le projet d’arrêté comprend également certains ouvrages de raccordement. RTE précise que "le passage des lignes aériennes et souterraines permet aux terrains traversés de conserver une vocation naturelle, agricole ou forestière et, partant, ne contribue pas à l’artificialisation". Quant au projet d’arrêté, qui précisera les modalités de répartition du forfait national, il a été mis en consultation auprès des régions le 21 décembre 2023 et jusqu’au 21 février 2024.
Focus sur le chantier de Penly
"Ce premier chantier doit être exemplaire, tant pour assurer sa bonne acceptabilité au niveau local que pour servir de modèle aux futurs chantiers nucléaires", insiste le rapport.
Chacun des 2 nouveaux réacteurs qui y sera implanté disposera d’une puissance de 1.670 mégawatts électriques (MWe), ce qui doit permettre à ces 2 EPR "de produire l’équivalent de la consommation électrique actuelle de la région Normandie". Le projet comporte également la réalisation, par RTE, de 2 lignes électriques aériennes et de 2 lignes souterraines de 400 kilovolts (kV). Elles seront raccordées au futur poste électrique de Navarre (non compris dans le périmètre du projet). En termes de calendrier, la fin des travaux du premier réacteur est prévue en 2035 (2037 pour le second). D’ici là, il est prévu une obtention des autorisations d’ici juin 2024 et un démarrage des travaux préparatoires en juillet 2024. S’agissant de la mise en compatibilité des documents d’urbanisme pour la centrale nucléaire proprement dite, un "dérisquage" avait été effectué en amont. Le rapport salue également la nomination d’un coordonnateur "grand chantier" : "cela permet de fluidifier le suivi du chantier et les échanges avec les différentes parties prenantes au projet". Mais surtout, il relaye les problématiques non traitées par la loi, au sujet des aménagements connexes au chantier - logements et parkings temporaires..., qui pourraient être pérennisés pour les futurs salariés - et ce au regard des contraintes fortes qui existent déjà sur le foncier de ces territoires (ZAN, loi "Littoral", plans de prévention, etc.).
Trouver des leviers d’accélération complémentaires
Le rapport invite donc le gouvernement "à poursuivre le travail, en lien avec la préfecture, l’exploitant et les élus locaux", afin de dégager des vecteurs d’accélération complémentaires (qualification d’opération d’intérêt national, appel à candidatures "Territoires engagés pour le logement", etc.). Pour Penly, le besoin de foncier pour les aménagements connexes au projet est estimé à 150 ha – en plus des 48 ha pour le périmètre du projet proprement dit. "Si la bonne prise en compte des réacteurs électronucléaires au titre de l’enveloppe mutualisée entre régions ne fait pas de doute, la comptabilisation des aménagements, équipements et installations directement liés à ce projet est plus problématique sur le terrain", soulève le rapport. "Un accord au niveau local, traduit dans le Sraddet, devrait conduire à une prise en compte de l’artificialisation causée par ces aménagements, équipements et logements à hauteur de 70% au niveau régional et de 30% au niveau de l’EPCI", précise-t-il. Pour retrouver des marges, le rapport appelle aussi à mobiliser le fonds vert pour le recyclage des friches nécessaires aux opérations d’aménagement connexes à la construction d’un réacteur.