Sécurité - Polices : le temps du grand déballage
Avec la charte déontologique sur le secret partagé, présentée le 16 juin, et les stratégies territoriales de sécurité (STS), dont on commence à connaître les contours, le plan national de prévention de la délinquance et d'aides aux victimes lancé par François Fillon le 2 octobre 2009 prend forme. Philippe de Lagune, chargé de mettre en musique les 50 mesures de ce plan, ne cache pas son optimisme, alors que l'enjeu est d'activer (enfin) la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007 ("loi Sarkozy") qui, de l'aveu même du président de la République, n'a pas réussi à s'imposer. Or, le secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) affirme observer chez les maires, depuis le début de l’année, "une large mobilisation" : "Ils se sont rendu compte que l’Etat et eux-mêmes étaient chacun dans leurs responsabilités et à leur place", a déclaré le préfet de Lagune le 16 juin en dévoilant la charte déontologique. Cette dernière doit permettre de lever ce que certains considèrent comme l'un des principaux freins à la loi de 2007 : les travailleurs sociaux se refusaient jusqu'ici à jouer le jeu et à communiquer leurs informations aux maires.
Mais, du côté des élus, on reste dans l'expectative. Certains avaient mis en garde contre la "rupture de confiance" avec leurs administrés qui risquait de découler de la loi de 2007 faisant du maire le pivot de la prévention de la délinquance au plan local. Mais les maires ont surtout l'impression de devoir mettre la main au porte-monnaie. A coups de lois successives, la dernière en date étant la Loppsi 2 déjà adoptée par les députés et qui devrait arriver au Sénat en septembre, la barque des communes s'alourdit. Le malaise chez les policiers municipaux grandit au fil des nouvelles compétences. "On constate un désengagement de l'Etat sur le terrain, on ne voudrait pas que les collectivités soient amenées à remplacer les policiers, à être les supplétifs des agents de l'Etat", estime le sénateur Charles Gautier, président du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) qui, ce 23 juin à Lille, organise un colloque sur les toutes les évolutions en cours.
"Ces stratégies sont peut-être plus professionnelles"
S'agissant des stratégies territoriales de sécurité destinées à remplacer les contrats locaux de sécurité (CLS), lancés par Jean-Pierre Chevènement en 1997, le CIPD a publié sur son site une fiche mais les élus sont toujours en attente d'une circulaire. Autant dire que l'objectif fixé au 30 juin pour l'élaboration de ces stratégies n'est pas réaliste. "Je n'y crois pas une seconde", estime Charles Gautier. Pourtant, le constat est connu, les CLS s'essoufflent. 22 signatures en 2007, 6 en 2008, 3 en 2009… Pire, un tiers d'entre eux dorment. "Si c'est le constat, il est normal de proposer autre chose, le problème est que ce qui est proposé est très flou, on n'y voit pas encore clair", renchérit le sénateur. Selon la fiche publiée par le CIPD, ces stratégies doivent associer le maire (ou le président de l'EPCI), le préfet, le procureur de la République et, nouveauté par rapport aux CLS, le président du conseil général. "Ces stratégies sont peut-être plus professionnelles, reconnaît Charles Gautier. L'idée de diagnostic partagé sur la base duquel seront élaborés des axes prioritaires, des fiches actions, c'est un peu technocratique mais pourquoi pas." Demeure la question des CLS qui marchent. Le préfet de Lagune avait laissé entendre il y a quelques mois qu'ils ne seraient pas touchés. "Quand on a quelque chose qui fonctionne, il ne faut pas le casser, quand ça patine, il faut mettre de l'huile. La question est de savoir si, avec ces stratégies, on met vraiment de l'huile", s'interroge encore le sénateur.
De la loi du 15 avril 1999 fixant les pouvoirs de la police municipale à la Loppsi 2 donnant la qualité d'agent de police judiciaire aux directeurs de police, les textes se sont empilés. Dans le même temps, dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), la police nationale connaîtra une baisse d'environ 4.800 équivalents temps plein travaillés d'ici à 2011, même si des redéploiements devraient en partie compenser ces pertes. Pour pallier ce manque, répondre à leurs nouvelles compétences ou aux attentes de leurs électeurs, de nombreux maires décident de se doter d'une police municipale. Le nombre de policiers municipaux a ainsi triplé depuis le début des années 1980. On en compte environ 18.000 aujourd'hui pour 3.500 polices, avec une forte proportion en Ile-de-France et dans le Sud-Est. Mais avec les ASVP (agents de surveillance de la voie publique) et les gardes champêtres, le total de personnels des collectivités concourant à la sécurité locale s'élève à 40.000 personnes en France.
Un problème d'équité territoriale
"Si on dit que les communes doivent se payer la sécurité, certaines pourront d'autres non, or chaque citoyen a droit à la sécurité : on assiste à un transfert de fait et non de droit", estime le président du FFSU. Et sans compensation financière ! Ce qui soulève des problèmes d'équité trerritoriale, souligne la Délégation à la prospective et à la stratégie du ministère de l'Intérieur, dans un rapport de mars 2009 (voir ci-contre : "Polices municipales et sécurité intérieure"). Les communes consacrent entre 2 et 6% de leur budget à leur police, soit en moyenne 23 euros par an et par habitant. En 2007, un Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) a été créé mais pour financer les investissements uniquement. Depuis son lancement, il aura octroyé près de 170 millions d’euros - dont 72 pour la seule vidéosurveillance -, selon le préfet de Lagune. Et le secrétaire général prévient : "Fin juin, j’aurai consommé presque tout le budget 2010", d’un montant d’un peu plus de 50 millions d’euros. "La Loppsi 2 ne change rien en matière de financement, on reste sur le FIPD qui n'est pas abondé en conséquence par le gouvernement. Celui-ci donne la priorité aux investissements en matière de vidéoprotection", déplore Charles Gautier.
Chez les policiers municipaux, le malaise perceptible depuis des mois est monté d'un cran après la mort en service de l'une des leurs le 20 mai. Ils ont le sentiment de remplir des tâches dévolues jusqu'ici à leurs homologues nationaux, dans des conditions de travail de plus en plus dures. Au-delà de la question de l'armement qui les divise (SNPM, FO et FA-FPT sont favorables à un armement systématique), les syndicats réclament un rapprochement de leurs statuts avec ceux de leurs homologues nationaux, sachant que leurs salaires sont 20 à 30% moindres, avec des écarts importants d'une ville à l'autre en fonction des primes accordées. Leur principale revendication : intégrer la prime spéciale de fonction dans le calcul de la retraite comme c'est le cas chez les policiers et gendarmes. Cette question est l'objet d'âpres négociations depuis le début de l'année avec le secrétaire d'Etat aux Collectivités territoriales Alain Marleix.
Plus de coordination
Le drame du 20 mai a aussi alerté sur les conséquences de l'enchevêtrement des compétences. A la demande des syndicats, en particulier de la FA-FPT, et d'élus comme Philippe Laurent, le maire de Sceaux, le gouvernement a accepté de lancer une réflexion sur le rôle de la police municipale dans la chaîne de la sécurité. Les discussions ne font que s'engager avec l'Association des maires de France (AMF) et les organisations syndicales et devront se conclure à la fin du mois d'octobre 2010. L'objectif : revoir la loi de 1999 qui régit actuellement les relations entre polices municipale et nationale. Dans une lettre de mission adressée à l'Inspection générale de l'administration le 4 juin, le ministère de l'Intérieur prend acte des évolutions de ces dernières années et de leurs répercussions sur les recrutements, la formation, l'armement, l'équipement et les prérogatives des policiers municipaux. Tout en soulignant que l'Etat n'abandonne pas "les fonctions régaliennes qu'il exerce", le ministère estime que "les polices municipales seront appelées, selon toute vraisemblance, à consolider leur place parmi les acteurs qui contribuent à garantir la sécurité". Il est fait allusion à la complémentarité des deux corps et aux "actions conjointes" qu'elles peuvent mener. "On se satisfait de la manière dont le débat est présenté, mais on se pose des questions sur l'articulation entre les forces de police et sur le fait de savoir si on s'oriente vers une doctrine d'emploi", explique Patrick Carballo, directeur de la police municipale d'Echirolles et responsable de la FA-FPT, qui demande que les échanges d'informations soient au programme de la révision des conventions de coordination entre police municipale et nationale. Dans son rapport, la Délégation à la prospective et à la stratégie ne dit pas autre chose. Elle préconise "plutôt une amélioration du dispositif existant portant sur la coordination, le territoire d'intervention et le statut des acteurs des polices territoriales qu'une extension significative des compétences des policiers municipaux".
Michel Tendil et Olivier Bonnin