Plus on est pauvre et moins on a de chances d'accéder au logement social
Un rapport inter-associatif sur "les difficultés d'accès au parc social des ménages à faibles ressources" décrypte les mécanismes qui font qu'il est de plus en plus difficile pour les ménages les plus pauvres d'entrer dans le parc social. Ces ménages sont moins souvent présentés en commission d'attribution des logements. Autres raisons : inadéquation des loyers, contradictions "entre mixité sociale et droit au logement", obligation d'attribution peu respectée... et insuffisance de l'offre. Quinze propositions sont formulées.
Six associations(*) publient, en partenariat avec l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et le Lab'Urba, un rapport inter-associatif sur "Les difficultés d'accès au parc social des ménages à faibles ressources". Ce travail très approfondi et rigoureux montre que "faute de ressources suffisantes, des ménages sont aujourd'hui exclus du logement social. Ces ménages sont contraints d'assumer des taux d'effort considérables dans le parc privé ou de rester bloqués dans le circuit de l'hébergement". Un constat assorti d'un quinzaine de propositions à destination des pouvoirs publics et des acteurs locaux.
Un paradoxe apparent
Le premier enseignement de l'étude tient du paradoxe apparent : alors que le parc social loge une part croissante de ménages pauvres, il est de plus en plus difficile pour ces derniers d'y entrer. Entre 1973 et 2013, la part des locataires du parc social appartenant au premier quartile de revenus (les 25% les plus pauvres) est passée de 21% à 50%. Une évolution qui s'explique par l'appauvrissement des nouveaux entrants. La part des demandeurs pauvres a progressé de façon continue jusqu'en 2013, avant de se stabiliser entre 2013 et 2016, puis de diminuer légèrement depuis lors. Au 1er janvier 2018, 51% des demandeurs de logement social avaient néanmoins des ressources (hors APL/AL) inferieures à 60% du revenu médian, soit le seuil de pauvreté.
Toutefois, en exploitant les données 2017 du Système national d'enregistrement de la demande de logement social (SNE), les auteurs de l'étude ont mis en évidence une situation très contrastée, avec une forte variation des chances d'accéder à un logement social en fonction du revenu par unité de consommation (UC), toutes choses égales par ailleurs. Ainsi, les ménages dont le revenu mensuel est compris entre 342 et 513 euros par UC ont environ 30% de chance de moins d'obtenir un logement social dans l'année que ceux dont le revenu mensuel par UC se situe entre 1.026 et 1.368 euros. Autrement dit, "au sein des demandeurs, les plus pauvres ont moins de chances que les autres de bénéficier d'un logement social".
Le trou noir de l'avant commission d'attribution
Ces résultats nationaux recouvrent toutefois "de très fortes disparités entre les différentes zones (A bis, A, B1, B2 et C), correspondant en France au classement des territoires en fonction de la tension du marché immobilier local". Les zones les plus tendues sont aussi celles où les difficultés d'accès au parc social sont les plus fortes pour les ménages les plus pauvres. En zone A par exemple, les taux globaux d'attribution sont déjà inférieurs à la moyenne nationale (10,2% contre 18,6%), mais l'écart pour les demandeurs pauvres est encore plus important (8,8% contre 19%).
Le rapport montre aussi que les dossiers des demandeurs les plus pauvres sont moins souvent présentés en commission d'attribution des logements (CAL). Un travail très fouillé sur un échantillon d'une centaine de dossiers concernant des ménages très pauvres montre clairement que "des mécanismes d'exclusion écartent une partie des ménages à faibles ressources de l'accès à la CAL". Ces mécanismes se situent largement en amont même de la CAL, lors de la sélection des dossiers à soumettre à la commission, qui est un processus peu réglementé. L'étude pointe aussi "l'absence de dispositifs priorisant spécifiquement le critère des faibles ressources [qui] est un angle mort du système".
Les "contradictions des logiques de peuplement du parc social"
Pourtant, même certains ménages priorisés ne sont pas présentés en CAL en raison des pratiques de pré-filtrage des travailleurs sociaux ou des réservataires pour éviter les rejets de la CAL. Cette hétérogénéité des pratiques des réservataires – qui ne sont pas encadrées, contrairement à celles de la commission – joue un rôle central dans le fait que les ménages n'ont tous pas les mêmes possibilités d'accès au parc social.
Dans une seconde partie, l'étude se penche sur "les causes multiples des mécanismes d'exclusion des ménages à faibles ressources". Elle identifie d'abord des raisons structurelles : insuffisance de l'offre de logements sociaux, inadéquation des loyers à la demande des ménages pauvres, disparités territoriales. Mais elle met aussi en évidence les "contradictions des logiques de peuplement du parc social, entre mixité sociale et droit au logement", qui structurent la sélection des futurs locataires. En outre, l'obligation d'attribution aux ménages à faibles ressources – instaurée par la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 – est "peu respectée" et "ne parvient pas ou très peu à modifier les pratiques d'attribution". Selon les bailleurs sociaux, cette difficulté d'application de l'objectif légal de 25% d'attributions de logement (hors QPV) aux ménages du premier quartile de revenu serait liée "à la structure de leur parc et au manque d'offre accessible pour ces ménages en dehors des QPV et QVA" (quartiers de veille active).
Quinze propositions pour sortir de l'impasse
Face à ce constat, le rapport formule quinze propositions, qui reviennent d'ailleurs régulièrement dans les demandes des associations signataires du document. Les premières préconisations consistent ainsi à améliorer l'accessibilité économique du parc social, en revalorisant les APL, en expérimentant la création d'un "fonds régional de baisse de la quittance HLM", en renforçant les conditions d'application du supplément de loyer de solidarité (SLS, pour les ménages les plus aisés du parc social), en maîtrisant le coût des charges, en évaluant les expériences de recomposition des loyers du parc social ou encore en expérimentant la quittance adaptée aux ressources du ménage.
Une autre réponse aux constats du rapport réside bien sûr dans l'augmentation du parc social, via une meilleure répartition géographique, le financement annuel de 60.000 PLAI (au lieu de 40.000 actuellement) dont une moitié de "super PLAI", ou une plus grande mobilisation de la vacance et de l'offre privée à vocation sociale.
Sur l'amélioration du fonctionnement des CAL et de l'accès des plus modestes au parc social, le rapport avance plusieurs propositions : une accélération du relogement des publics prioritaires (en "mettant fin à l'irresponsabilité qui s'est installée dans le respect de la loi Dalo"), l'amélioration de l'information et de l'accompagnement des demandeurs en difficulté, ou encore une fiabilisation de l'outil de gestion de la demande de logement social. Autres préconisations : intégrer des critères de ressources financières des ménages aux systèmes de cotation des demandes et faire appliquer l'obligation légale des 25% d'attribution pour les ménages du premier quartile. Enfin, pour évaluer l'impact de ces mesures, le rapport suggère d'élaborer un indicateur annuel d'accès au logement des plus pauvres.
(*) Secours catholique, Habitat & humanisme, Fondation abbé Pierre, Association Dalo, ATD Quart monde, Solidarités nouvelles logement.