Congrès USH : les HLM seront-ils les Ehpad de demain ?
Le parc locatif social se caractérise aujourd'hui par des locataires plus pauvres, plus souvent seuls et plus âgés. Pourquoi cette évolution ? Comment les bailleurs sociaux l'accompagnent-ils et en quoi modifie-t-elle leur mission ? Sur les effets du vieillissement notamment, les réponses à apporter font débat. L'une des plénières du congrès de l'Union sociale pour l'habitat, ce 26 septembre, en a témoigné.
A l'occasion de son 80e congrès, l'USH consacrait une séance plénière, le 26 septembre, au thème "Quelle adaptation de la mission sociale des organismes face à l'évolution des besoins des ménages ?". Un questionnement qui n'est pas tout à fait nouveau, mais se fait chaque année plus pressant. Dans un contexte marqué par la réforme des APL et la demande de resserrement des coûts de gestion, comment en effet les organismes de logement social peuvent-ils faire face à une demande croissante d'accompagnement de publics plus fragiles ?
Plus pauvres, plus isolés, plus âgés
En introduction à la séance, Jean-Claude Driant, professeur à l'École d'urbanisme de Paris, a présenté quelques chiffres particulièrement frappants. La situation du parc locatif social se caractérise en effet par des locataires plus pauvres, plus souvent seuls et plus âgés. Plus pauvres, avec une baisse du revenu moyen des locataires entrants de 10% (en euros constants) entre 1984 et 2013 (date de la dernière enquête logement). Plus souvent seuls, avec un taux de 40% de personnes isolées dans le parc locatif social, taux qui monte à 57% si on y ajoute les familles monoparentales, contre 40% vingt ans plus tôt. Plus âgés, avec 30% de locataires de 50 à 64 ans et 22% de 65 ans et plus. Autant de chiffres sensiblement différents de ceux rencontrés dans les autres catégories de logement. Et Jean-Claude Driant estime que ces évolutions dans le parc social vont très probablement s'accélérer.
Les explications tiennent notamment à l'évolution de la demande – difficile d'avoir des locataires jeunes quand il faut dix ans d'attente pour accéder à un logement social sur les territoires les plus tendus –, mais aussi à la baisse de la mobilité résidentielle, qui explique le vieillissement des locataires qui ne quittent plus leur logement après y être entrés. Ces chiffres d'ensemble recouvrent toutefois de fortes disparités selon les territoires.
La conjugaison de ces trois phénomènes conduit parfois à des situations paradoxales. Ainsi – et contrairement au cliché traditionnel des jeunes au pied des barres d'immeubles des banlieues (qui ne sont pas les titulaires du bail, mais des enfants de locataires) –, c'est dans les zones rurales que l'on trouve la plus forte proportion de jeunes parmi les locataires du parc social. Un paradoxe apparent qui s'explique par une moindre pression sur le logement social, donc plus facilement accessible à des primo-entrants jeunes, et par une plus forte mobilité dans le logement social.
(Pas de) place aux jeunes !
Face à ce constat, les bailleurs sociaux ne restent pas sans réaction, comme en ont témoigné les participants à cette séance plénière (*). Le phénomène jugé le plus inquiétant est la "disparition" des jeunes, autrement dit les moins de 30 ans. Ils représentaient en effet 25% du parc en 1984 contre seulement 8% en 2013. Ce phénomène est d'autant plus préoccupant que les jeunes qui prennent leur autonomie intègrent désormais d'emblée l'idée qu'ils n'accéderont pas au logement social et qu'il est donc inutile de déposer un dossier de demande. Il se tournent alors vers le parc privé, au risque de se trouver confrontés à des taux d'effort "hallucinants". La société tient ainsi un discours sur l'autonomisation des jeunes, mais les bride dans sa concrétisation.
La réponse passe sans doute par un travail sur les attributions, avec en particulier une remise en cause de la place considérable accordée au critère d'ancienneté de la demande. Mais cela suppose un véritable "changement de culture", dans lequel élus et bailleurs ne sont pas forcément prêts à s'engager. Enfin, au-delà de la question de l'accès, il faut aussi travailler sur celle de la conception des logements, qui ne sont pas aujourd'hui adaptés aux attentes et aux modes de vie des plus jeunes.
Isolement et Ehpad hors les murs
L'isolement est un autre défi pour les bailleurs sociaux. Pas seulement parce qu'il est la négation du vivre ensemble, mais aussi parce qu'il peut avoir un impact sur la situation des organismes HLM. Une personne isolée, c'est en effet une seule source de revenu – et donc une plus grande exposition aux aléas de la vie –, mais aussi une très faible prise en charge par les dispositifs sociaux en cas de difficultés. Une famille monoparentale présente la même fragilité, mais avec une plus grande prise en charge par les services sociaux, au prix toutefois d'une certaine dépendance.
Pour les bailleurs, "il faut faire de gros efforts pour repérer ces situations d'isolement. Même nos comptables et nos informaticiens doivent être en contact avec nos locataires". Dans ce cadre, le passage à une démarche plus proactive constitue un enjeu essentiel, mais il mobilise à la fois des moyens et des compétences. Et encore faut-il avoir des réponses à apporter à certaine situations : "On a beaucoup de dispositifs pour accompagner, mais on a aussi des personnes en inactivité pour lesquelles on n'a pas de solution d'emploi". Des dispositifs comme les "territoires zéro chômeur" – expérimentés à Villeurbanne par exemple – peuvent toutefois apporter un début de solution.
Sur les effets du vieillissement, si les constats sont partagés, les réponses à apporter font davantage débat. Pour certains, "il ne faut pas que les organismes de logement social se transforment en Ehpad", ce qui suppose notamment de revoir les politiques de peuplement pour promouvoir de meilleurs équilibres. Mais, pour d'autres, "ce n'est pas en mettant les vieux dehors qu'on fera venir des jeunes". Au contraire, "il faut faire des Ehpad hors les murs", en s'associant à des Ehpad pour accompagner in situ des personnes âgées fragilisées mais conservant néanmoins encore une certaine autonomie.
Une légitimité à accompagner, mais pas tout seuls
Face au constat de l'urgence, la question de la légitimité de l'accompagnement social mis en œuvre ne se pose pas vraiment pour les bailleurs sociaux sur le terrain. Ils se disent notamment prêts à répondre aux évolutions sociétales en développant de nouvelles compétences et des dispositifs innovants. Et cela malgré la position de principe, plutôt réservée, du président de la Fédération des offices publics de l'habitat (voir ci-dessous l'interview de Marcel Rogemont du 23 septembre 2019). Il est vrai aussi que la tradition de l'accompagnement social est ancienne et bien ancrée. Les organismes de HBM (habitations bon marché, ancêtres des HLM) étaient ainsi mobilisés, dans une vision alors très hygiéniste, sur la lutte contre la tuberculose ou la promotion de l'allaitement maternel.
Tous s'accordent néanmoins pour considérer que cet accompagnement ne peut pas se faire seul. Les bailleurs ont besoin de deux partenaires clés : d'une part les collectivités territoriales, en charge de l'action sociale ; d'autre part, des associations, qui possèdent une expertise et un savoir-faire sectoriel, ainsi qu'une souplesse dans les modalités d'intervention. Avec les collectivités territoriales, le cas de figure idéal – qui est celui de la Gironde – est celui où le président de l'office départemental est aussi le vice-président du conseil départemental en charge de la solidarité.
De façon plus large, les bailleurs sociaux considèrent qu'"on fonctionne bien avec les collectivités quand on est sur un projet. C'est le cas, par exemple avec la démarche des 10.000 logements sociaux accompagnés". Les organismes de logements sociaux devraient donc s'impliquer davantage dans les dispositifs transversaux, sans oublier bien sûr d'y associer les locataires et leurs représentants. Des dispositifs plus légers sont également possibles – l'exemple des jardins partagés revient régulièrement, notamment pour recréer du lien social –, mais même là, "on ne s'improvise pas jardinier" et l'appui d'associations est souvent indispensable.
Encore faut-il que ces dispositifs bénéficient d'une certaine pérennité, ce qui est loin d'être toujours le cas : "Les 10.000 logements accompagnés ont super bien marché, mais les financements cessent au bout de trois ans. De ce fait, la moitié des offices engagés dans la démarche ont arrêté et les autres continuent sur leurs fonds propres".
Le nerf de la guerre
Même si "l'intervention dans le médicosocial n'a jamais empêché de réparer les ascenseurs" – une crainte exprimée par certaines associations de locataires – la question des moyens demeure évidemment centrale. Et les attentes sont nombreuses. Il faudrait, par exemple, revoir l'évaluation de la performance des bailleurs sociaux, basée sur les seuls coûts de gestion. Pour les participants, "si la valeur sociale n'est pas mesurée et prise en compte, c'est une prime aux mauvais bailleurs", autrement dit ceux qui n'accompagnent pas leurs locataires.
Sur cette question des moyens, le ton monte vite : "D'un côté, on nous dit 'accueillez les plus précaires', mais on baisse les APL. On nous dit 'réduisez vos coûts de gestion', mais comment faire alors de l'accompagnement, qui coûte cher. On nous dit 'financez-vous', autrement dit développez plutôt des formes de logement plus rentables..."
En revanche, tous se retrouvent sur une certitude : "Les pauvres payent leur loyer. Il n'y a pas plus d'impayés que chez les plus aisés. En réalité, plus que la pauvreté, ce sont les ruptures de parcours et les accidents de la vie qui engendrent les impayés". Dans ces conditions, une chose est claire : "Il n'est pas question de faire payer aux locataires leur accompagnement et notamment aux plus fragiles…"
(*) • Michèle Attar, directrice générale de Toit Et Joie-Poste Habitat.
• Thierry Debrand, président du Conseil social de l'USH et directeur général de Freha.
• Eddie Jacquemart, président national de la Confédération nationale du logement (CNL).
• Martine Jardiné, présidente de Gironde Habitat, vice-présidente du conseil départemental de la Gironde.
• Maryse Prat, directrice générale de La Cité Jardins, présidente de la Commission attributions, mixité, gestion sociale de l'USH.
• Isabelle Rueff, directrice générale de l'Opac 38.
• Agnès Thouvenot, adjointe au maire de Villeurbanne.