Congrès USH : le logement social ébranlé par les gilets jaunes
"Territoires en crise : sortir des caricatures, prévenir les ruptures." Sous cet intitulé choisi pour l'une des tables-rondes du congrès de l'Union sociale pour l'habitat, les bailleurs sociaux ont témoigné de la façon dont les enjeux de lien social les conduisent de plus en plus souvent à aller bien au-delà de leur seule mission de logement. Lutte contre l'insécurité, lutte contre l'isolement, accompagnement social, soutien aux initiatives des locataires... Lorsque les moyens le leur permettent.
Pour son 80e congrès, l'USH a consacré une partie de sa séance plénière du 24 septembre à une table ronde sur le thème "Territoires en crise : sortir des caricatures, prévenir les ruptures". Même si le logement n'a pas été directement au cœur de la crise – pas plus d'ailleurs que du Grand Débat national qui a suivi –, c'est peu dire que le mouvement des gilets jaunes a ébranlé le monde des HLM. Il a en effet mis en évidence un sentiment – réel ou ressenti – d'impuissance et d'abandon dans des territoires aux profils très divers : centres-villes anciens dégradés, QPV, territoires péri-urbains (bien que les géographes et sociologues ont de plus en plus tendance à déconstruire l'image de territoires de relégation), mais aussi territoires "détendus" en décroissance économique et démographique.
"Jusqu'où ne pas aller ?"
Pour répondre à cette question, la table ronde réunissait des bailleurs sociaux des Hauts-de-France, d'Occitanie, du Centre-Val de Loire et d'Île-de-France, l'établissement public foncier d'Occitanie, ainsi qu'un dirigeant de l'Association Force ouvrière consommateurs (Afoc). Les débats ont mis en évidence la très grande diversité des situations et des réponses. Mais, dans tous les cas, le délitement du tissu social et du vivre ensemble conduit les bailleurs sociaux à aller au-delà de leur seule mission de logement.
Les acteurs du logement social inventent ainsi sans cesse de nouveaux partenariats, au point de se demander "jusqu'où ne pas aller". La question a du sens, quand on voit certains d'entre eux mobiliser les habitants pour lutter contre l'insécurité (rondes nocturnes) et tenter de chasser les dealers, ou que d'autres préconisent de dédier aux dealers des espaces à l'écart, afin de les éloigner des lieux de vie des locataires. Un type d'interventions qui ne fait pas, au demeurant, l'unanimité chez les bailleurs, dont la majorité estime que la réponse revient au service public de la police.
Les organismes HLM, amortisseurs sociaux
Les bailleurs sociaux revendiquent en revanche clairement – malgré la question du financement – ce rôle d'accompagnement des habitants. Les qualificatifs utilisés pour qualifier leur travail en la matière en témoignent : assembleurs, "aménageurs de dentelle", amortisseurs sociaux... Certains estiment d'ailleurs que cet engagement répond à la notion de subsidiarité utilisée par l'Union européenne pour définir les services d'intérêt général.
Si le consensus se fait ainsi sur cette mission d'accompagnement, les positions sont beaucoup plus partagées sur le contraste entre urbain et ruralité – les problèmes d'insécurité ne sont pas l'apanage des métropoles – ou sur le choix entre habitat dispersé (le modèle du lotissement, plébiscité par les Français) et la densification, qui garde une mauvaise image malgré son impact positif sur l'artificialisation de l'espace.
Des raisons d'espérer
Malgré ce portrait plutôt sombre, les acteurs du logement social mettent en avant un certain nombre de signaux positifs. Tous considèrent ainsi que de petites actions – comme les jardins partagés ou le tri des déchets – peuvent avoir un effet très bénéfique, y compris auprès des jeunes. À condition toutefois d'associer les locataires et de soutenir leurs initiatives. De façon générale, tous plaident pour développer les services susceptibles de renforcer le lien social.
Une approche d'autant plus justifiée que tous se disent frappés par la montée de l'isolement, notamment chez les seniors, mais aussi chez les familles monoparentales, très nombreuses dans le parc locatif social. Aujourd'hui, il faut "aller les chercher en proposant des services". Aux yeux de certains bailleurs sociaux, la durée et la persistance inattendue du mouvement des gilets jaunes s'explique d'ailleurs en partie par le plaisir de recréer du lien, que ce soit sur les ronds-points ou ailleurs. Autre manifestation de ce désir d'être ensemble pour sortir de l'isolement : le succès de l'habitat participatif ou celui des manifestations organisées par les bailleurs. Mais les pouvoirs publics ont encore trop tendance à juger l'action des bailleurs sociaux à l'aune des logements construits. Il est en revanche beaucoup plus difficile de mesurer et de contractualiser ce qui se fait sur le terrain pour retisser du lien social.
Améliorer la "petite centralité"
Les actions du type "Cœur de ville" ou, plus largement, tout ce qui améliore la "petite centralité" (on sait par ailleurs qu'un nouveau programme en faveur des centres de petites villes va être lancé) peuvent aussi contribuer à restaurer le lien social. Les bailleurs s'y engagent, mais les obstacles sont nombreux. Le coût de la réhabilitation est en effet nettement plus élevé que la construction de pavillons neufs, surtout s'il y a des contraintes liées à la protection du patrimoine. De même, tous les bailleurs sociaux ne savent pas faire, dans des conditions économiques acceptables, des opérations portant sur seulement deux ou trois logements.
Conclusion de ces échanges très riches : pour protéger le modèle français du logement social, il est indispensable que les organismes HLM travaillent leur rôle social pour recréer du lien dans des territoires en souffrance. Mais, pour cela, il ne faut pas que de nouvelles baisses des ressources remettent en cause le maintien de la qualité du parc social – autrement dit son entretien et sa rénovation – et tout ce qui contribue au vivre ensemble.