Pourquoi les candidats retenus pour un logement social le refusent-ils ?
7.393 demandeurs d'un logement social ont reçu au moins une proposition en 2017 sur le territoire de l'Eurométropole, et 3.398 (46%) d'entre eux ont opposé un refus. Parmi ce pourcentage 36% des refus sont motivés, 9% sont la conséquence de non réponses et 2% de demandes caduques. Quel est le profil de ces refusants, dans quelles mesures les caractéristiques physiques et géographiques des logements refusés sont-elles primordiales ? Quid des logements non loués ? Quelles sont les pratiques des bailleurs et leurs incidences ? Pour comprendre ce qui motive ces refus, l'Agence de développement et d'urbanisme de l'agglomération strasbourgeoise (Adeus) a publié une étude qui évalue le phénomène et propose des leviers d'action.
Dans le cadre de la réforme des attributions de logements sociaux dans l'Eurométropole, l'Agence de développement et d'urbanisme de l'agglomération strasbourgeoise (Adeus) publie une étude originale intitulée "Comprendre les mécanismes conduisant au refus des attributions par les demandeurs". Les objectifs de ce travail sont d'améliorer la connaissance de ce phénomène, d'identifier les blocages et les difficultés et d'analyser le processus d'attribution par les bailleurs et évaluer ses éventuels impacts sur le nombre de refus. La question est très loin d'être marginale puisque, sur 7.393 demandeurs ayant reçu au moins une proposition en 2017 sur le territoire de l'Eurométropole, 47% ont opposé un refus, pour 50% de propositions acceptées (bail signé et entrée dans les lieux), 2% de refus de la proposition des services par la CAL (commission d'attribution des logements) et 1% de propositions encore en cours.
Un phénomène encore largement mal connu
L'un des principaux enseignements de l'étude de l'Adeus est que le refus par les demandeurs constitue "un fait mal renseigné". Les descriptions sur les refus dans le fichier partagé sont en effet trop souvent inexploitables. En outre, et faute de définitions communes, ces descriptions utilisent un trop grand nombre de motifs : l'Adeus en dénombre ainsi pas moins de 32. Outre 16,4% de non réponses, les plus cités sont la localisation inadaptée (17,3%), la trop petite taille du logement (9,2%), l'environnement (9,1%), l'agencement du logement (5,6%), le loyer trop élevé (5,3%), l'étage (4,2%), l'absence d'ascenseur (2,9%), l'état du logement (2,8%)... Pour compliquer le tout, certains bailleurs sociaux utilisent des systèmes parallèles de comptabilisation interne, avec des motifs de refus différents de ceux du système partagé...
En essayant de regrouper les motifs avancés, l'étude répartit les 47% de propositions non abouties en 36% de refus motivés, 9% de non réponses et 2% de demandes caduques (obtention d'un autre logement, changement de situation, décès...). L'Adeus observe aussi que la non réponse est souvent liée à la non réception du courrier par le demandeur, soit parce qu'il s'agit de publics précaires sans logement propre, soit parce que le courrier est arrivé durant la période estivale (22% de motifs "non réponse" en juillet-août, contre 16% durant le reste de l'année).
Quel profil pour les refusants ?
L'étude de l'Adeus apporte aussi des informations intéressantes sur le profil des personnes qui refusent une proposition d'attribution. Les taux de refus exprimés (avec un motif) sont ainsi, pour une moyenne de 36%, de 51% chez les retraités, de 40% chez les cadres, de 37 à 39% chez les chômeurs, employés et ouvriers, mais seulement de 22% chez les étudiants et 18% chez les professions intermédiaires. De façon logique compte tenu de ces résultats, les plus de 51 ans affichent les taux de refus motivés les plus élevés (43%), devant la tranche d'âge 31-50 ans (38%) et les 16-30 ans (30%). En termes de situation familiale, les taux de refus sont plus élevés chez les familles (44%) et les couples (41%) que chez les personnes seules (29%).
Enfin, en termes de logement antérieur, les refusants les plus nombreux sont... les locataires HLM (49% de taux de refus contre la moyenne de 36%), devant les locataires du parc privé (36%), les personnes logées chez un particulier (26%) et celles logées chez leur parents ou leurs enfants (24%). Sans surprise là non plus, les taux de refus les plus faibles concernent les personnes dans les situations les plus précaires.
L'étude de l'Adeus pointe aussi la part liée à l'offre dans les raisons du refus. Celle-ci semble importante, puisque les caractéristiques physiques du logement sont à l'origine de 39,5% des refus motivés et que les caractéristiques géographiques et sociales du logement expliquent 38% des refus. A l'inverse, les motifs propres aux demandeurs (comme l'acceptation d'une autre offre ou un changement de situation) ne représentent que 12% des refus motivés et les caractéristiques économiques du logement (loyer, charges, type de chauffage) 9,5%.
Le processus d'attribution n'est pas sans impact sur le taux de refus
Enfin, la dernière partie de l'étude s'interroge sur l'impact éventuel du processus d'attribution sur le taux de refus. Pour l'Adeus, l'impact des refus "reste maîtrisé et déjà pris en compte", grâce à la proposition systématique de trois candidats. Ainsi, 80% des logements proposés et refusés n'ont nécessité qu'une seule CAL pour être reloués, tandis que 11% ont nécessité plusieurs CAL et que 9% ne sont toujours pas reloués. Pour mieux connaître les pratiques des bailleurs et explorer le lien avec les taux de refus, l'Adeus a mené treize entretiens avec neuf bailleurs, ainsi que des entretiens complémentaires avec des associations et des travailleurs sociaux. Il en ressort très clairement un lien étroit entre les pratiques des bailleurs sociaux avant la CAL et le taux de refus. Ainsi, les bailleurs qui n'assurent ni prospection, ni contact avec les demandeurs connaissent un taux de 61% de propositions non abouties, dont 49% de refus motivés. En revanche, ces taux sont respectivement de 11% et 8% chez les bailleurs qui assurent une prospection et une visite avant la CAL...
Conclusion de l'étude : s'il existe une part de refus sur laquelle il n'est pas possible d'agir (parcours de vie des demandeurs, coûts psychologiques, sociaux et économiques d'un déménagement, stratégies d'évitement de certains quartiers...), il existe en revanche des marges réelles de progression pour les bailleurs. Pour cela, l'Adeus préconise notamment d'améliorer la connaissance du phénomène pour mieux identifier les leviers d'action, de travailler le rapprochement entre l'offre et la demande (meilleure qualification de la demande, élargissement de l'information des demandeurs...), mais aussi de "mener une réflexion sur les pratiques des bailleurs" et de "penser leur articulation".