Rapport sur le mal-logement - Plan "Logement d'abord" : prudentes, les associations veulent y croire
Lors de la journée de présentation du rapport 2018 de la fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement, il aura été beaucoup question de la stratégie du "logement d'abord" que le gouvernement entend mettre en oeuvre progressivement. Les associations sont prudentes mais désireuses d'avancer. Quarante territoires, dont beaucoup de métropoles, auraient répondu à l'appel à manifestation d'intérêt et le gouvernement se dit déterminé. Les défis sont d'ampleur, dont une équation particulièrement sensible pour les élus : comment dédier massivement des logements aux plus modestes tout en maintenant un certain équilibre de mixité sociale.
La fondation Abbé-Pierre a présenté le 30 janvier 2018 son vingt-troisième rapport sur le mal-logement. Avec le choix, cette année, de mettre l'accent sur le problème du surpeuplement, dont l'ampleur serait sous-estimée. Ce phénomène aurait touché de manière grave 934.000 personnes en 2013, soit une hausse de 17% depuis 2006 (voir à ce sujet notre interview de Manuel Domergue, directeur des études de la fondation, publiée le 29 janvier).
Près de neuf mois après l'élection d'Emmanuel Macron, l'événement, qui aurait réuni près de 2.700 personnes, a surtout été l'occasion de dresser un premier bilan des politiques conduites en faveur du logement des plus défavorisés. Il y a un an, la fondation Abbé-Pierre recevait les candidats à l'élection présidentielle et le candidat Emmanuel Macron disait alors sa volonté de vaincre le mal-logement en misant sur la stratégie du "logement d'abord". Depuis, la promesse de campagne a été confirmée et la stratégie lancée par le président élu (voir notre article du 11 septembre 2017). Mais entre-temps, d'autres annonces gouvernementales ont échaudé les acteurs du logement : la baisse de cinq euros des APL en 2017 et leur gel en 2018, la ponction de 1,7 milliard d'euros sur les bailleurs sociaux, la circulaire du 12 décembre 2017 remettant en cause, pour les associations, l'accueil inconditionnel dans les structures d'hébergement.
Objectif "zéro sans domicile" : s'en donner les moyens
Il en résulte une "grande confusion", a jugé Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre. Ce dernier a ainsi alterné toute la journée entre deux registres, dénonçant d'une part les atteintes portées aux droits des plus démunis et exprimant, d'autre part, la volonté des associations de croire et de participer au changement de paradigme annoncé en faveur du logement d'abord. Il a surtout appelé le gouvernement à "redresser la barre" en faisant des politiques sociales la "matrice" des plans logement et lutte contre la pauvreté. Et à "mettre en œuvre tous les moyens nécessaires" pour que l'objectif "zéro sans domicile" ne reste pas seulement un "bon objectif".
Cela implique, pour Manuel Domergue, d'"aller au bout de la philosophie" en assumant le fait que l'hébergement est "un obstacle" et non pas "une solution". Et qu'il convient donc de le diminuer progressivement mais drastiquement, sur une "échelle de temps raisonnable, dix ans par exemple". Pour cela, il est indispensable notamment de "se donner les moyens de compter les personnes sans domicile", a poursuivi le directeur des études de la Fondation. Pour ce dernier, il n'est pas normal que la dernière enquête Insee date de 2012. Le nombre de personnes privées de domicile (1) était alors estimé à 143.000, soit une hausse de 50% par rapport à 2001.
Plus globalement, le logement d'abord doit "vivre dans les territoires" et s'inscrire dans une "réforme structurelle" des politiques de logement, a insisté Christophe Robert. "Le monde associatif reste prudent", a-t-il indiqué. Selon lui toutefois, "l'intention est là" et il importe "de se saisir sans naïveté de ce logement d'abord".
Un effort budgétaire sur l'hébergement, avant d'amorcer la transition vers le "logement d'abord"
Interpelé sur de nombreux sujets - les APL, le logement social, la mobilisation du parc privé, la rénovation énergétique… - , Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, en a appelé à la "responsabilité collective". "Le gouvernement est schizophrène, mais n'est-ce pas notre société qui est schizophrène", s'est-il interrogé, avant de souhaiter un "dialogue franc et constructif" avec les associations. Plusieurs dizaines de personnes quittaient alors la salle. "Nous mettons et nous allons mettre un maximum d'énergie à ce que [l'engagement du président de la République] soit tenu", a-t-il assuré. Parmi les mesures citées par le ministre : le déclenchement dès fin octobre de la campagne hivernale, l'ouverture de 12.000 places hivernales supplémentaires pour un total de 144.000 places d'hébergement généraliste, auxquelles s'ajoutent les 90.000 places dédiées aux demandeurs d'asile et aux "publics migrants".
Après avoir souligné l'effort budgétaire actuel du gouvernement en faveur de l'hébergement, le ministre a confirmé que l'objectif était bien de changer de système, de "passer de l’hébergement d’urgence au logement pérenne". "Oui, à terme on va diminuer les places d'hébergement" mais, en attendant, il s'agit surtout d'"éviter les ruptures", de gagner en "fluidité" pour pouvoir apporter de vraies solutions d'urgence, a par la suite complété Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal).
Jacques Mézard a aussi annoncé la parution, le jour-même, de la circulaire sur la résorption des bidonvilles, insistant sur le fait que ce texte, signé par huit ministres, illustrait une "politique du logement globale volontariste, s’appuyant sur ses deux pieds, libérer et protéger".
Appel à manifestation d'intérêt : 40 dossiers reçus
Les caractéristiques du plan quinquennal en faveur du logement d'abord ont été rappelées par le ministre : la prévention et la baisse progressive mais "drastique" des expulsions locatives, la production de logements (10.000 places supplémentaires en pensions de famille, 40.000 logements privés à vocation sociale supplémentaires, atteindre 40.000 PLAI en 2018) et l'enclenchement de la dynamique "Logement d'abord" sur quinze territoires (voir notre article du 21 novembre 2017).
Suite à l'appel à manifestation d'intérêt, la Dihal aurait reçu 40 dossiers, "dont pratiquement toutes les métropoles françaises", s'est réjoui Sylvain Mathieu, appelant à un "changement de culture" par la mobilisation collective des acteurs. La fondation Abbé-Pierre estime qu'un "signal" favorable du gouvernement pourrait être de retenir l'ensemble des 40 dossiers, même si l'enveloppe dédiée de 10 millions d'euros n'y suffirait sans doute pas.
C'est en partie pour ce soutien jugé faible que la ville et la métropole de Rennes n'ont pas candidaté. Mais au-delà, Rennes affiche aujourd'hui un "zéro Dalo", obtenu "par la production de logements sociaux abordables en tout point de la métropole", a expliqué la maire de Rennes, Nathalie Appéré. Cette dernière considère donc que son territoire met déjà en œuvre le "Logement d'abord" et se targue d'une baisse des loyers rendue possible grâce à ce "choc de l'offre". "Si l'on ne construit pas massivement du logement social, il est illusoire de penser qu'on aura du logement d'abord", a martelé l'élue bretonne.
Indispensable préalable : des logements suffisants mis à la disposition des plus fragiles
Le secteur du logement social aura-t-il les moyens d'être au rendez-vous ? "Le compromis auquel on est arrivé n'est pas satisfaisant", a jugé Alain Cacheux, de la Fédération nationale des offices publics de l'habitat, anticipant une baisse de la production, de la réhabilitation et "un arrêt brutal de la rénovation urbaine". "Je fais en ce moment le maximum pour que la construction de logement social puisse être maintenue", lui a répondu Jacques Mézard.
"Le logement d'abord ne peut fonctionner sans une création importante de logements sociaux", a jugé Juha Kaakinen, directeur de la Y Foundation en Finlande. Le seul pays - avec le Danemark - à avoir mis en place de façon systématique le logement d'abord peut désormais se targuer de n'avoir plus que 6.500 sans domicile fixe, dont 80% habitant chez des proches. Pour Freek Spinnewijn, directeur du réseau européen Feantsa (2), la France a des atouts pour réussir son pari, notamment l'engagement du chef de l'Etat et l'importance de l'expérimentation menée. Il identifie toutefois trois difficultés : la pénurie de logement social, l'immigration et la demande d'asile.
En France, on a un parc conséquent de "5 millions de logements sociaux", avec "500.000 attributions par an", a rappelé Manuel Domergue. La fondation Abbé-Pierre met ainsi d'abord en avant la nécessité d'"orienter davantage ces logements vers les personnes qui ont très peu de ressources". Même si la "paupérisation du parc social" est selon lui à prendre en considération.
Un "problème de gouvernance institutionnelle"
Jacques Mézard a annoncé l'objectif d'augmenter d'ici fin 2018 de 30% les attributions depuis l’hébergement généraliste vers le logement social. Plus tard dans son discours, le ministre a réaffirmé "l’obligation prévue par la loi Egalité et Citoyenneté de consacrer au moins 25% des attributions de logements sociaux en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, aux demandeurs les plus pauvres".
Si la ville de Bordeaux a candidaté et se dit déterminée à rattraper son retard en matière de production de logement social, elle le fera avec un "grand souci de travailler dans la mixité sociale", a souligné Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux. Avant de souligner un "problème de gouvernance institutionnelle", du fait d'un décalage entre une "injonction à ce que les métropoles deviennent chefs de file" et une réalité selon laquelle "chacune [irait] selon sa volonté et sa vitesse".
(1) Ces 143.000 personnes sans domicile peuvent être sans abri, en habitation de fortune, en hébergement collectif, à l'hôtel, en Cada ou hébergés dans un logement associatif.
(2) European Federation of National Organisations Working with the Homeless.