Logement social - La Fondation Abbé Pierre publie son palmarès des "cancres de la loi SRU"
Cannes, dernière de la classe dans la catégorie "grande ville". Jouy-en-Josas, épinglée pour avoir "abusé" du PLS. Neuilly-sur-Seine, Saint-Maur-des-Fossés et Le Vézinet, les plus célèbres "multirécidivistes". Solliès-Toucas, commune du Var de 5.500 habitants, championne de la "régression" avec un taux de logement social qui est passé de 1% à 0,8% entre 2002 et 2016 au lieu des 25% exigés par la loi. La Fondation Abbé Pierre pointe une centaine de communes récalcitrantes dans un "palmarès" d'un genre particulier publié le 10 janvier.
La Fondation Abbé Pierre a publié, le 10 janvier, son "palmarès SRU" des villes les plus mauvaises élèves de la loi SRU sur la période 2014-2016. Elle entend par là dénoncer "la mauvaise volonté manifeste de dizaines voire de centaines de communes toujours récalcitrantes", en s'appuyant sur les chiffres du bilan triennal SRU 2014-2016 rendu public le 19 décembre par le ministère de la Cohésion des territoires (voir notre article ci-dessous). Jacques Mézard s'était alors félicité d'une production "record" avec près de 190.000 logements sociaux financés ou mis en service, soit 106% des objectifs cumulés. La Fondation Abbé Pierre s'en félicite également, précisant que ce chiffre représente "plus de la moitié de la production totale de Hlm en France".
"La plus grande fermeté à l'égard des communes mais aussi à l'égard des préfets"
Le 19 décembre, Jacques Mézard avait annoncé que sur 1.152 communes soumises au dispositif, 649 (soit 56%) n'avaient pas atteint le niveau de production imposé par la loi. Il avait donné la liste des 269 communes dont il avait décidé qu'elles feraient l'objet d'un arrêté de carence préfectoral.
"Le ministère doit faire preuve de la plus grande fermeté à l'égard des communes mais aussi à l'égard des préfets", estime la Fondation.
Elle a par exemple remarqué que "les préfets ne carencent pas certaines communes qui s'engagent à signer un contrat de mixité sociale (CMS) avec l'Etat, ces contrats suffisant dans leur esprit à prouver la bonne foi des maires". Elle a également observé que les préfets carencent rarement les communes quand seuls leurs objectifs quantitatifs ne sont pas atteints.
Ou encore que les majorations dissuasives et les confiscations de délivrance des permis de construire sont parfois trop timides. "La persistance dans l'échec de communes manifestement récalcitrantes, malgré 4 ou 5 constats de carence de suite, doit inciter les préfets à majorer systématiquement au plus haut niveau les prélèvements financiers et à se substituer plus souvent aux maires pour réaliser effectivement les logements sociaux manquants", estime-t-elle. Il serait d'ailleurs "préférable que les préfets de région soient en charge du contrôle de la loi SRU, tant les préfets de département sont proches des maires voire ont participé à leurs côtés à certaines décisions d'urbanisme liées à la loi SRU et sont dès lors enclins à une trop grande tolérance".
Neuf grandes villes épinglées : Cannes, Neuilly, Nice, Marignane...
Neuf grandes villes sont épinglées dans le palmarès. Tout d'abord Cannes (73.300 habitants) qui, avec 17% de logements sociaux en 2016, affiche un taux de respect de son objectif 2014-2016 de 9%. Viennent ensuite : Neuilly-sur-Seine (62.300 habitants, 6% de logements sociaux, 15% des objectifs atteints), Saint-Raphaël (34.000 habitants, 9% de logements sociaux, 16% des objectifs atteints), Le Cannet (43.200 habitants, 8% de logements sociaux, 17% des objectifs atteints), Boulogne-Billancourt (116.800 habitants, 15% de logements sociaux, 24% des objectifs atteints), Marignane (34.000 habitants, 13% de logements sociaux, 26% des objectifs atteints), Saint-Maur-des-Fossés (74.100 habitants, 8% de logements sociaux, 34% des objectifs atteints), Nice (342.300 habitants, 13% de logements sociaux, 36% des objectifs atteints), Vincennes (50.000 habitants, 11% de logements sociaux, 36% des objectifs atteints). Toutes sont dans la liste des communes carencées établie par le ministère, sauf Nice et Marignane.
Ce ne sont pourtant pas les plus mauvaises élèves.
16 communes avec un taux de logements sociaux en baisse entre 2002 et 2016
Seize communes ont vu leur taux de logements sociaux régresser depuis 2002. Meyreuil, commune de 5.300 habitants de l'agglomération d'Aix-en Provence, est par exemple pointée du doigt pour être passée de 14% à 10% de logements sociaux entre 2002 et 2016 au lieu des 25% exigés par la loi. Solliès-Toucas, commune du Var de 5.500 habitants, est passée de 1% à 0,8% ; Le Castellet (Var, 4.000 habitants) de 1,5% à 1,1% ; Saint-Pierre-en-Faucigny (Haute-Savoie, 6.000 habitants) de 11,3% à 9,1% ; Chazay-d'Azergues (Rhône, 4.000 habitants) de 5,1% à 4,2% ; Bures-sur-Yvette (Essonne, 9.800 habitants) de 14,9% à 14,5%...
Des taux de logements sociaux durablement à moins de 3%...
Solliès-Toucas et Le Castellet sont également les communes aux taux Hlm le plus bas. La première (0,84% de logements sociaux) a atteint 75% de ses objectifs sur la période 2014-2016 et la seconde (1,09% de logements sociaux) a atteint 159% de ses objectifs. Elles sont suivies de Saint-Jeannet (4.000 habitants, 1,48% de logements sociaux en 2016, 27% des objectifs atteints sur la période) ; Tourrettes-sur-Loup (26.300 habitants, 1,77% de logements sociaux en 2016, 17% des objectifs atteints) ; Ormesson-sur-Marne (10.089 habitants, 2,10% de logements sociaux, 20% des objectifs atteints) ; La Frette-sur-Seine (4.600 habitants, 2,17% de logements sociaux, 54% des objectifs atteints)...
Et que dire de ces 67 communes dont le taux d'atteinte de leur objectif triennal est égal à zéro, voire négatif pour 11 d'entre elles ? C'est le cas de Pechbonnieu, commune de 4.200 habitants dans la banlieue de Toulouse, 13% de logements sociaux en 2016, qui affiche un taux spectaculaire de -217% (pour cause de déconventionnement massif et injustifié de logements sociaux assure sa maire).
Dans les Hauts-de-Seine, Bois-Colombes (28.500 habitants, 19% de logements sociaux) affiche un taux de -73% et sa voisine La Garenne-Colombes (28.500 habitants également, 12% de logements sociaux) de -7%.
Les "multirécidivistes"
La Fondation a également "récompensé" les "multirécidivistes". Sur les 30 communes carencées depuis le début de l'application de la loi, soit au cours des quatre premières périodes triennales, 25 n’ont toujours pas atteint leur objectif triennal 2014-2016, dont 15 même pas la moitié. Les mauvaises élèves historiques concentrées en Ile-de-France - "Neuilly-sur-Seine, Ormesson-sur-Marne, Saint-Maur-des-Fossés, Nesles-la-Vallée, Le Vésinet" sont citées - tandis que "les agglomérations d’Aix-Marseille, Nice et Avignon défient ouvertement la loi depuis 15 ans". Sont également concernées : Les Angles (Pyrénées-Orientales), Pélissanne (Bouches-du-Rhône), Saint-Jeannet (Alpes-Maritimes), Marignane (Bouches-du-Rhône), Pernes-les-Fontaines (Vaucluse), Allauch (Bouches-du-Rhône), Tourrettes-sur-Loup (Alpes-Maritimes), Chazay d'Azergues (Rhône), Mimet, (Bouches-du-Rhône) Venelles (Bouche-du-Rhône), Eguilles (Bouche-du-Rhône).
Le palmarès désigne Chazay-d’Azergues comme "la plus récalcitrante" : sur ses cinq périodes triennales, cette commune de l’agglomération de Lyon a atteint en moyenne 5% de ses objectifs. Les "grandes villes aisées, comme Neuilly, Le Vésinet, Saint-Maur-des-Fossés" se sont vu appliquer "des taux de majoration des prélèvements relativement cléments, n’atteignant presque jamais le quintuplement possible prévu par la loi", souligne la Fondation. Et de citer Neuilly "qui, avec 6,2% de Hlm en 2016, n’a atteint que 15% de son objectif triennal, avec seulement 18% de PLAI et 44% de PLS" et dont le préfet "n’a que triplé ses pénalités, au lieu de les quintupler". "Quant à la commune de Pélissanne, 7% de Hlm, le préfet ne l’a même pas proposée à la carence, alors que, après 4 carences consécutives, elle n’avait atteint son objectif de production 2014-2016 qu’à hauteur de 39%".
Les communes qui abusent du PLS
Pour la première fois, la période triennale 2014-2016 intégrait des objectifs dits "qualitatifs" de production Hlm, prévoyant au moins 30% de PLAI et pas plus de 20 ou 30% de PLS (en fonction du taux de Hlm initial de la commune), ces "logements sociaux haut de gamme" comme les nomme la Fondation. "Hélas, de nombreuses communes n’ont pas fait le moindre effort pour respecter cette disposition votée en 2013, en produisant exclusivement des PLS, et aucun PLAI", indique-t-elle.
Elle souligne la "particularité" de Jouy-en-Josas (8.300 habitants), commune "exemplaire" sur le plan quantitatif en produisant 1.012 logements sociaux sur la période mais épinglée parce que 100% sont des PLS. Cette commune de la banlieue de Versailles est dans la liste des communes carencées du ministère, comme Saint-Rémy-lès-Chevreuse (7.700 habitants) et Ferrières-en-Brie (2.800 habitants) qui ont produit respectivement 19 et 27 logements sociaux 100% PLS entre 2014 et 2016. Ce n'est pas le cas, en revanche, de Soucieu-en-Jarrest, commune de 4.200 habitants du Rhône située hors de la métropole de Lyon, qui parvient à un taux de logements sociaux de 7% en 2016 en ayant produit 21 PLS exclusivement.
Exemptables et exemptées
Parmi les adeptes du PLS, on retrouve Cannes qui a produit 117 logements sociaux sur la période, dont 88 sont des PLS (75,2%) et 19 des PLAI. On trouve également Saint-Pée-sur-Nivelle qui a construit 14 logements sociaux sur la période, dont 13 PLS, pour aboutir à un taux toujours très bas de 8%. Mais cette commune basque de 6.000 habitants pourrait ne pas être inquiétée puisqu'elle figure dans la liste des communes exemptées pour 2018 et 2019 (fin de la prochaine période triennale), au motif qu'elle est insuffisamment reliée aux bassins d'activité et d'emplois par les transports en commun (voir notre article du 8 janvier 2018). Et pourtant, "la loi n'est pas rétroactive", souligne la Fondation Abbé Pierre, "et toutes les communes 'exemptables' n'ont pas vocation à être exemptées".
Quoi qu'il en soit, Saint-Pée-sur Nivelle n'est pas dans la liste des communes carencées, pas plus que Mandres-les-Roses (4.400 habitants, 114 logements sociaux produits sur la période dont 100 PLS), ni La Roche-sur-Foron (11.200 habitants, 169 logements sociaux produits dont 143 PLS).