Crise - Plan de relance : les collectivités incitées à investir
Nicolas Sarkozy a comme prévu dévoilé ce jeudi 4 décembre à Douai son plan de relance très attendu qui prévoit d'injecter 26 milliards d'euros en 2009, financés par le déficit et donnant priorité à l'investissement, pour tenter de relancer l'économie française au bord de la récession. Dans un discours prononcé à quelques pas d'une usine Renault, érigée pour l'occasion en symbole de la tempête mondiale qui affecte l'activité industrielle et l'emploi, le chef de l'Etat a détaillé en une heure un arsenal. Parmi ces armes figure en bonne place une relance des investissements publics au profit, notamment, de grands travaux d'infrastructures, qu'il s'agisse des investissements de l'Etat, des entreprises publiques... ou des collectivités locales. "Les deux tiers du plan dépendent non de l'Etat mais des collectivités", a d'ailleurs même estimé Alain Rousset en marge du Congrès de l'Association des régions de France (ARF).
Au total, 4 milliards d'euros d'investissements supplémentaires de l'Etat sont annoncés pour 2009-2010, ciblés sur quatre secteurs : les investissements et les équipements structurants, l'enseignement supérieur et la recherche, les équipements de défense et de sécurité et le patrimoine. Dans ce cadre, le président de la République a annoncé une accélération de la réalisation des contrats de projet Etat-région (CPER) : l'Etat a prévu d'y investir 400 millions d'euros en 2009 (le quart d'une tranche annuelle de CPER), en ciblant en priorité les volets ferroviaire et universitaire. Les présidents de région réunis en congrès ce 4 décembre à Caen ont été unanimes pour estimer qu'il était effectivement indispensable de relancer les contrats de projets Etat-région dans la mesure où l'Etat accuse un retard très important sur ce terrain : selon eux, ce retard concerne pas moins des deux tiers des financements que l'Etat aurait dû réaliser ces dernières années.
Infrastructures et équipements structurants : booster les CPER et les PPP
1,4 milliard d'euros supplémentaires doivent être consacrés aux infrastructures et équipements structurants, dont 500 millions d'euros en faveur de projets liés au Grenelle de l'environnement. Les travaux de régénération et les aménagements ferroviaires inscrits dans les CPER seront relancés pour un montant de 250 millions d'euros. Par ailleurs, 70 millions d'euros doivent être mobilisés pour réaliser les acquisitions foncières et les travaux préparatoires nécessaires à l'accélération des grands projets d'infrastructures - LGV Bretagne-Pays-de-Loire, seconde phase du TGV Est, canal Seine-Nord-Europe, notamment. Une enveloppe de 100 millions d'euros doit servir à réaliser des travaux d'entretien fluvial et de reconstruction de barrages et 50 millions d'euros iront à l'entretien maritime. 400 millions d'euros seront dévolus à l'entretien routier et à l'accélération de la réalisation des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), autrement dit de voies et d'aménagements jugés nécessaires pour des raisons de sécurité ou d'aménagement du territoire. 250 millions d'euros seront en outre orientés directement vers des projets d'intérêt général dans les territoires, dont 135 millions d'euros outre-mer.
Pour favoriser le démarrage en 2009-2010 des grands projets d'infrastructures prévus dans le cadre de partenariats public-privé (PPP), qui peinent aujourd'hui à lever les fonds nécessaires, Nicolas Sarkozy a annoncé un nouveau mécanisme de soutien : l'Etat va "apporter sa garantie sur une partie des projets, dans un plafond global de 10 milliards d'euros et la Caisse des Dépôts et Consignations des prêts sur les fonds d'épargne, dans une enveloppe de 8 milliards d'euros". Ces prêts pourront être accordés soit aux sociétés porteuses du projet, soit aux collectivités locales qui versent des subventions d'investissement, comme c'est le cas sur les lignes à grande vitesse. "Les décisions seront prises au cas par cas, en fonction de l'intérêt et de l'urgence de chaque projet ", a précisé le chef de l'Etat en citant comme exemples la ligne TGV Sud-Est Atlantique, le canal Seine-Nord et les projets du plan Campus.
"L'effort" de ce plan en matière d'universités "va permettre de donner le label Campus à deux universités supplémentaires, à savoir les universités de Lille et de la Lorraine, dont les projets avaient été jugés prometteurs mais qui n'avaient pas été retenus", a précisé Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Ces deux sites s'ajouteront donc aux dix autres retenus en juillet.
Marchés publics : mesures chocs pour plus de souplesse
Se penchant sur la question des marchés publics, le chef de l'Etat a annoncé que "le seuil en dessous duquel un marché public peut être conclu sans aucune procédure sera relevé de 4.000 à 20.000 euros" afin de permettre aux collectivités publiques de "s'adresser de gré à gré à des fournisseurs locaux". Rappelons toutefois que si ce type de marché de faible montant n'est soumis à aucune mesure de publicité ni de mise en concurrence, il est fortement recommandé d'effectuer au minimum une demande de devis auprès de trois fournisseurs potentiels et d'en garder une traçabilité.
Seconde mesure phare annoncée, "le seuil de publicité à 90.000 euros sera supprimé". A ce jour, en application de l'article 40 du Code des marchés publics (CMP), pour les achats dont le montant est compris entre 90.000 euros HT et 135.000 euros HT pour l'Etat ou 210.000 euros HT pour les collectivités territoriales, le pouvoir adjudicateur est tenu de publier un avis de publicité soit au Boamp, soit dans un journal d'annonces légales. La mesure annoncée semble donc signifier que la publication d'un avis de publicité ne sera désormais obligatoire qu'au JOUE pour les marchés dépassant les seuils communautaires. Néanmoins, les marchés dont le montant se situe entre 90.000 euros HT et les seuils ne devraient pas être totalement dispensés de mesures de publicité. En effet, la notion de "proportionnalité" des mesures de publicité imposée aux marchés inférieurs à 90.000 euros HT - qui suppose que les mesures de publicité retenues soient adaptées au montant du marché, à son objet, sa nature, sa complexité, au degré de concurrence entre les entreprises concernées et à l'urgence du besoin - devraient logiquement leur être appliqué.
Enfin et surtout, le "seuil au-delà duquel s'applique obligatoirement la procédure d'appel d'offres pour les marchés de travaux sera relevé de 206.000 euros à la hauteur du seuil européen à 5.150.000 euros". Rappelons toutefois qu'à l'heure actuelle, l'article 26 du Code des marchés publics français soumet les marchés et accords-cadres de travaux de plus de 206.000 euros HT au respect des procédures formalisées. Néanmoins, pour les marchés de travaux d'un montant estimé compris entre 206.000 euros HT et 5.150.000 euros HT, le pouvoir adjudicateur peut librement choisir entre toutes les procédures de l'article 26 (appel d'offres ouvert ou restreint, procédure négociée, dialogue compétitif concours système d'acquisition dynamique). Seuls les marchés de travaux d'un montant égal ou supérieur à 5.150.000 euros HT, doivent être lancés sous forme d'appel d'offres, avec en outre quelques exceptions à cette procédure dans des cas expressément prévus aux articles 35 à 38 du code.
Ces mesures devant, a priori, être temporaires, la question de leur durée et de l'éventuelle difficulté d'un retour en arrière reste également posée.
Habitat : programme de logements supplémentaires, rénovation urbaine, urbanisme...
La ministre du Logement doutait ces derniers jours que sa proposition de TVA à taux réduit pour toutes les opérations d'accession à la propriété soit acceptée par le Minefe. Nicolas Sarkozy, à Douai, ne reprend pas cette disposition dans son plan de relance. En contrepartie, le doublement du prêt à taux zéro est confirmé. Christine Boutin l'avait annoncé en novembre dans la presse (voir article "Relance de l'immobilier : Loi Robien ou TVA à 5,5% ? ", 17 novembre 2008). La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a pris les devants en adoptant l'amendement le 3 décembre. Comme le demande Christine Boutin depuis des mois, le Pass-Foncier sera élargi au collectif. Cette disposition, qui devrait concerner 30.000 ménages modestes, est prévue dans le projet de loi sur la mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion. Les crédits nécessaires sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2009. A noter : les collectivités territoriales qui "traînent des pieds" pour participer à ce dispositif auront à verser une contribution obligatoire diminuée.
Le président de la République a d'autre part annoncé un programme de 70.000 logements supplémentaires sur la période 2009-2010 : 30.000 logements sociaux et très sociaux, 30.000 logements sociaux intermédiaires et 10.000 logements intermédiaires (acquis par la Caisse des Dépôts). Une enveloppe de 240 millions d'euros supplémentaire d'aides à la pierre devrait être prévue dans une loi de finances rectificative.
"Dans le même temps, précise Nicolas Sarkozy, un fonds sera créé (200 millions d'euros) pour compléter l'éco-prêt à taux zéro et les prêts de la Caisse des Dépôts. Il sera dédié à la rénovation thermique et à l'amélioration de l'habitat insalubre." Enfin, on retrouve dans le plan de relance une réponse à une préoccupation largement partagée ces derniers jours par les professionnels de la politique de la ville, à savoir la question des financements de l'Agence nationale de rénovation urbaine : le programme de rénovation urbaine sera accéléré pour un montant de 600 millions d'euros avec une contribution supplémentaire de l'Etat de 200 millions d'euros. Enfin, comme le ministre du Budget, Eric Woerth, l'avait laissé entendre lors du Congrès AMF, le Code de l'urbanisme va être assoupli pour soutenir la construction et faciliter l'investissement des collectivités territoriales. Au nombre des dispositions annoncées, comme le prévoit le projet de loi sur le logement, les coefficients de constructibilité pourront être augmentés de 20%. Pour faciliter la vente de terrains publics, le droit de priorité des communes sur la cession des terrains publics sera encadré dans le temps.
Finances locales : un remboursement anticipé de TVA
On l'avait entendu au Congrès AMF, le remboursement anticipé de la TVA aux collectivités est confirmé par le président de la République. Il a annoncé son souhait que l'Etat passe un "contrat" avec les collectivités locales, à la faveur duquel ces dernières pourraient bénéficier d'un remboursement de TVA anticipé d'un an. Pour mémoire, la TVA acquittée par les collectivités fait l'objet d'un remboursement, via le Fonds de compensation de la TVA, deux ans après l'engagement de l'investissement, tandis que les structures intercommunales en bénéficient, elles, l'année même de l'investissement. Cette différence de traitement serait légèrement réduite, puisqu'à la faveur de la réforme proposée, la TVA payée par les collectivités serait remboursée en année n+1. Toutefois, cette mesure semble bien temporaire et dictée par le contexte de crise économique : elle sera limitée, selon les termes du plan de relance rendu public, aux investissements réalisés en 2009. Temporaire, cette disposition est également conditionnée : le président la conçoit "en contrepartie" d'une augmentation des investissements des collectivités et d'une réduction de leurs délais de paiement, sans que le détail du plan de relance ne permette de savoir quel sera le niveau d'exigence imposé aux collectivités, sur ces deux plans, pour qu'elles soient éligibles au dispositif. Toujours est-il qu'une enveloppe de crédits disponibles à ce titre est d'ores et déjà annoncée, à hauteur de 2,5 milliards d'euros supplémentaires, à comparer aux 5,86 milliards d'euros prévus au titre du FCTVA pour l'année 2009 par le projet de loi de finances en cours de discussion... Les modalités d'application du plan sont renvoyées à la discussion entre l'Etat et les représentants des collectivités, à l'occasion d'une prochaine conférence nationale des exécutifs, les crédits nécessaires étant, quant à eux, ouverts dans la prochaine loi de finances rectificative en janvier 2009.
Emploi : un coup de pouce aux "politiques actives"
Concernant l'emploi, Nicolas Sarkozy propose deux nouveaux dispositifs. Première mesure : une dotation supplémentaire de 500 millions d'euros pour financer les "politiques actives de l'emploi" que le gouvernement compte accélérer. Parmi ces "politiques actives", il faut comprendre la réforme du chômage partiel, l'augmentation du nombre d'embauches en contrats aidés qui passent à 330.000 pour 2009, l'extension du contrat de transition professionnelle (CTP) à 18 bassins d'emploi et sa prolongation dans les 7 bassins qui l'expérimentent depuis 2006, la mise en place de Pôle Emploi (100% de guichets uniques à l'été 2009, 100% d'entretiens et de référents uniques en septembre 2009) et enfin la réforme en cours de la formation professionnelle. Cette nouvelle dotation de 500 millions d'euros devrait notamment permettre de "mieux accompagner les salariés licenciés économiques dans leur recherche d'emploi, de soutenir les actions de formation pour les demandeurs d'emploi, de développer les contrats de professionnalisation et d'appuyer l'effort des partenaires sociaux pour revaloriser l'indemnisation du chômage partiel". Autre mesure pour soutenir l'emploi, cette fois-ci dédiée aux petites entreprises : une aide à l'embauche en 2009 pour les entreprises de moins de dix salariés. Une aide qui financera l'intégralité des charges patronales au niveau du SMIC pour l'année 2009 et qui sera dégressive avec le salaire. Elle sera ainsi maximum au niveau du Smic (180 euros par mois) et s'éteindra à 1,6 Smic. Coût de la mesure : 700 millions d'euros.
Social : "prime de solidarité active"
Soulignant que la crise risque d'avoir des "conséquences dramatiques sur les conditions d'existence des plus vulnérables", le chef de l'Etat a annoncé, sur le front social, qu'une "prime exceptionnelle de 200 euros [par ménage] sera versée à 3,8 millions de foyers qui seront les futurs bénéficiaires du RSA". Baptisée "prime de solidarité active", elle devrait être versée en avril, par conséquent "en anticipation du RSA" dont la mise en place doit intervenir "vers la fin du premier semestre de l'année prochaine" (le dossier diffusé par l'Elysée évoque d'ailleurs une généralisation "à compter du 1er juin 2009", tandis que la toute nouvelle loi prévoit pour date le 1er juillet). Cette prestation, dont le coût est évalué à 760 millions d'euros, sera versée par les caisses d'allocation familiales.
Un nouveau collectif budgétaire
S'agissant du calendrier et des modalités de mise en oeuvre, Nicolas Sarkozy a indiqué qu'un "budget spécifique sera dédié au financement de ce plan", avec une loi de finances rectificative qui sera présentée au premier Conseil des ministres de 2009. Ce collectif budgétaire inclura notamment la prime de solidarité active, l'aide à l'embauche pour les petites entreprises, les mesures en faveur du logement et les investissements supplémentaires de l'Etat. On saura aussi qu'"un ministre sera spécifiquement chargé de suivre l'exécution" du plan, qu'une mission budgétaire spécifique "plan exceptionnel d'investissement pour l'activité et l'emploi" sera créée en 2009 et qu'un rapport sur cette exécution sera présenté tous les trois mois.
La rédaction