Crise financière - De nouvelles mesures pour soutenir l'investissement
Première traduction de son discours de mardi devant le Parlement européen, Nicolas Sarkozy a annoncé, dès ce jeudi 23 octobre, la création d'un "fonds public d'intervention" en France. Alors que sa proposition de créer des fonds souverains européens a été accueillie avec réserve par plusieurs partenaires dont l'Allemagne, le président français a préféré prendre les devants. Certes, l'idée était dans les tuyaux depuis quelques temps mais la crise a précipité son lancement. "Je demanderai au Parlement d'adopter les mesures extrêmement rapidement", a précisé le président de la République, lors d'un déplacement à Argonay, près d'Annecy, où il a présenté une batterie de mesures destinées à irriguer l'économie et les 2,5 millions de PME hexagonales. Ce fonds souverain à la française devrait voir le jour "avant la fin de l'année". Il pourra "intervenir massivement" sous formes d'avances remboursables ou d'entrée dans le capital des "entreprises stratégiques" en difficulté. Il sera géré par la Caisse des Dépôts, sous la surveillance du Parlement. Il bénéficiera des ressources propres de la Caisse des Dépôts qui, jeudi, s'est dite "prête sans délai à assumer cette mission nouvelle au service d'une politique industrielle volontariste". C'est donc une différence de taille avec les autres fonds souverains, ceux de la Chine, de l'Inde ou des pays du Golfe qui, eux, sont financés par les excédents commerciaux (pétrole, biens de consommation, etc.), ce dont la France est privée depuis cinq ans maintenant.
La Caisse des Dépôts est d'ailleurs intervenue tous azimuts ces dernières semaines pour juguler les effets de la crise : mise à disposition des banques de 16 milliards d'euros pour des prêts aux PME, accroissement de 50% des prêts à Oséo, mise à disposition de 5 milliards de prêts aux collectivités territoriales et, tout dernièrement, de 10 milliards pour le financement de la Société française de refinancement de l'économie...
Exonération - provisoire ? - de taxe professionnelle
Autre mesure "d'application immédiate" : "A partir d'aujourd'hui, tout investissement nouveau réalisé par les entreprises en France sera exonéré à 100% de la taxe professionnelle jusqu'au 1er janvier 2010", a annoncé le président de la République. Soulignant à plusieurs reprises qu'il s'agit pour "tous les entrepreneurs de France" d'une "mesure extrêmement puissante" en faveur de l'investissement, Nicolas Sarkozy a indiqué que cette disposition "sera proposée au Parlement dans la loi de finances rectificative pour 2008". "Ces investissements n'entreront tout simplement pas dans l'assiette de l'impôt" et "l'Etat compensera aux collectivités locales le manque à gagner", a-t-il également noté, sans en revanche apporter plus de précisions sur les modalités de cette compensation.
L'impact net de la mesure, évalué par l'Elysée à environ 1 milliard d'euros en année pleine, débutera en fait en 2011. Et le président de vanter les mérites de ce calendrier différé : "Impact positif tout de suite, impact budgétaire en 2011. D'ici là, on a le temps de voir ce que sera la croissance et ce que seront les recettes fiscales."
Cette mesure provisoire n'est bien apparemment qu'une étape : "Au 1er janvier 2010, j'aurai eu le rapport du groupe Balladur, on en aura discuté avec les parlementaires. Il sera temps de trancher définitivement la question du nombre d'échelons territoriaux et de la pérennité ou pas de la taxe professionnelle."
En installant mercredi le Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Edouard Balladur (voir notre article d'hier), le chef de l'Etat a effectivement inclus le champ de la fiscalité locale dans les missions de ce nouveau comité. "Tous nous pensons que la fiscalité locale est devenue archaïque et injuste, que la taxe professionnelle nuit à l'attractivité économique de la France. Mais nous sommes impuissants à lui substituer un autre système de financement, dynamique, responsabilisant et vertueux, garantissant l'autonomie financière des collectivités", avait-il commencé par constater.
Répondant aux demandes pressantes des organisations patronales, Nicolas Sarkozy avait déjà fait part, notamment fin septembre lors de son discours de Toulon, de son intention de supprimer la part investissements de la taxe professionnelle - et à terme, de sa volonté de faire totalement disparaître cette taxe.
Médiateur du crédit
Suite des mesures déjà présentées par le gouvernement pour le secteur bancaire, le président a par ailleurs annoncé la création d'un poste de "médiateur du crédit " qui sera "à la disposition des entreprises françaises qui auront des difficultés pour accéder au crédit". Il sera chargé, département par département, de contrôler le respect par les banques de leurs engagements en matière de crédit aux entreprises. Le poste sera confié à René Ricol, ancien président de la Compagnie des commissaires aux comptes. Nicolas Sarkozy réunira dès la semaine prochaine les préfets de départements et les trésoriers-payeurs généraux pour les mobiliser sur le suivi de l'évolution du crédit et le recensement des situations délicates dans leur département. "J'ai confiance dans notre système bancaire mais j'ai une confiance vigilante", at-il déclaré.
Le plan prévoit également l'accélération du remboursement du crédit impôt recherche (CIR), afin de satisfaire le besoin de financement des entreprises "en mobilisant auprès d'Oséo les finances fiscales correspondantes". Enfin, l'Etat va investir dans l'économie à hauteur de 175 millions d'euros sur trois ans, en priorité dans "l'économie numérique qui sera le moteur de la croissance future avec les technologies propres".
Toutes ces mesures, dont le coût reste à définir, font un peu figure de plan de rattrapage par rapport au "plan de soutien aux PME" de 22 milliards d'euros déjà lancé au début du mois. Mais elles devraient donner une bouffée d'oxygène aux PME qui en ont bien besoin. Selon la Confédération générale des PME (CGPME), elles sont 36% à constater une évolution défavorable des crédits bancaires. Pire, selon une étude du cabinet Alteres, les défaillances d'entreprises sont au plus haut niveau depuis 1997 : au troisième trimestre, 11.407 procédures ont été enregistrées, soit un bond de 17% par rapport au second trimestre. Le chef de l'Etat a prévenu : "La crise n'est pas une parenthèse qui sera bientôt refermée."
M. Tendil et C. Mallet
Taxe professionnelle : quelques réactions
L'Association des petites villes de France a affirmé jeudi ne pas être défavorable à ce que l'Etat "soutienne les entreprises qui investissent en procédant à des exonérations de taxe professionnelle" mais "appelle le gouvernement à prendre réellement conscience du rôle majeur que jouent les collectivités locales en termes de croissance et d'emploi induits". Elle en profite pour rappeler que les collectivités, "qui doivent déjà faire face au renchérissement du coût du crédit, subiront, si le budget 2009 est maintenu en l'état, une diminution sévère de leur pouvoir d'action en raison d'une évolution des dotations de l'Etat largement inférieure à leurs dépenses réelles".
Le vice-président de la communauté urbaine de Bordeaux, Alain Juppé, a estimé jeudi que l'annonce concernant la taxe professionnelle était "une bonne chose" mais "à la condition impérative que les collectivités locales ne soient pas une fois de plus les dindons de la farce" : "Nous sommes habitués à des promesses de compensations qui ne sont généralement jamais tenues. Je crois qu'il faut, cette fois-ci, qu'il y ait un réel engagement de l'Etat de compenser à l'euro."
L'annonce d'une exonération "pour tout nouvel investissement jusqu'au 1er janvier 2010 était espérée depuis longtemps", a déclaré jeudi la présidente du Medef, Laurence Parisot, citée dans un communiqué. Celle-ci estime cependant qu'il "faut aller beaucoup plus loin pour garder et développer une industrie compétitive" et compte faire des "propositions" en ce sens au comité Balladur.