Transports / Environnement - Péage de transit poids lourds : un gros manque à gagner pour les projets de transports

Adieu l'écotaxe, place au "péage de transit poids lourds" : le Premier ministre a confirmé le 22 juin la mise en place au 1er janvier 2015 d'un nouveau dispositif de péage qui s'appliquera aux camions de plus de 3,5 tonnes circulant sur 4.000 kilomètres de routes nationales et départementales au lieu de 15.000 kilomètres visés précédemment. 550 millions d'euros de recettes sont attendus chaque année, soit nettement moins que ce qui était escompté avec l'écotaxe. Elus et associations s'inquiètent déjà du manque à gagner pour financer les projets d'infrastructures de transport, à commencer par le dernier appel à projets "Transports collectifs en site propre".

L'écotaxe, qui avait été suspendue par le gouvernement Ayrault l'automne dernier suite à la fronde des bonnets rouges, a vécu : le gouvernement a décidé de la remplacer par "un péage de transit poids lourds". Révélée par le quotidien Ouest France, l'information a été confirmée le 22 juin par Manuel Valls, lors d'un déplacement à Trèbes (Aude) et commentée par Ségolène Royal sur France Inter ce 23 juin. Le nouveau péage s'appliquera aux camions de plus de 3,5 tonnes et ciblera les itinéraires de grand transit supportant un trafic supérieur à 2.500 poids lourds par jour. "Cela correspond aux grands itinéraires traversant le pays sans péage et à des barreaux routiers parallèles aux autoroutes à péage tels que la RN4 entre Paris et l'est de la France et la RN10 entre Bordeaux et Poitiers", a expliqué le ministère de l'Ecologie. Ces itinéraires représentent 4.000 km du réseau routier national et certaines routes alternatives départementales (Alsace, périphérique parisien, un tronçon de la route Centre-Europe-Atlantique) au lieu des 15.000 kilomètres visés par l'écotaxe. La Bretagne ne fera partie qu'"à la marge" de ce dispositif : seul l'axe Saint-Lô/Nantes via Rennes sera concerné.

Cible prioritaire : les trajets longue distance

Il s'agit donc de cibler principalement les poids lourds effectuant des trajets sur longue distance, les dessertes de proximité n'étant pas concernées. Les véhicules et matériels agricoles, les camions dédiés à la collecte du lait ainsi que les véhicules forains et de cirque seront exonérés du nouveau péage. Pour les autres, qui devront être équipés d'un boîtier GPS calculant le parcours, la tarification se fera sur un taux moyen de 13 centimes d'euro par kilomètre, modulable selon la distance parcourue, le niveau de pollution et le nombre d'essieux.
Le nouveau système, qui va être présenté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative dont l'examen débute en séance à l'Assemblée nationale ce 23 juin, entrera en vigueur le 1er janvier 2015, après trois mois de marche à blanc sans facturation.
"Pour la mise en oeuvre du péage de transit, il sera fait appel à la société Ecomouv' dont l'infrastructure technique et opérationnelle existe déjà, et qui fera l'objet d'avenants" au contrat, a expliqué le Premier ministre. "Afin d'assurer un meilleur contrôle, le gouvernement engagera des discussions avec Ecomouv' qui pourront aller jusqu'à une montée au capital de la société par la puissance publique", a-t-il dit.

Manque à gagner pour l'Afitf

Le péage de transit rapportera nettement moins que ce qui avait été prévu avec l'écotaxe : la recette brute attendue serait de l'ordre de 550 à 560 millions d'euros - affectés à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) - contre plus de 800 millions d'euros escomptés annuellement dans la précédente formule. La ministre de l'Ecologie a par ailleurs confirmé sur France Inter que les sociétés d'autoroutes seraient "amenées à participer (...) avec leurs bénéfices" au financement des grandes infrastructures tout en écartant l'idée d'une "taxe supplémentaire, car je ne veux pas que les tarifs autoroutiers augmentent". Cela doit se faire de "façon contractuelle" avec ces sociétés, a-t-elle assuré.
Pour le président, de la région Bretagne, d'où était partie la fronde des bonnets rouges, le projet "va dans le bon sens". "Nous attendons à présent les informations sur le financement que ce dispositif permettra de dégager au profit des grandes infrastructures et des modes alternatifs au tout-routier, condition de la nécessaire transition écologique", a ajouté Pierrick Massiot dans un communiqué. Il a rappelé qu'à son sens l'écotaxe "ne pouvait pas s'appliquer en Bretagne". Ce dispositif "ne résolvait en rien les difficultés bretonnes, bien au contraire", a poursuivi le président de région, assurant que "la Bretagne ne demandait pas l'aumône, mais seulement la prise en compte de ses particularités géographiques", c'est-à-dire de son éloignement des principales zones d'activité économique en Europe.

Le Gart appelle à des sources de financement complémentaires

Dans un communiqué, les élus du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) "prennent acte de la création du 'péage de transit'" mais "regrettent que le gouvernement n'ait pas complètement retenu les propositions des députés et des sénateurs qui avaient suggéré la mise en œuvre d'une écoredevance d'application plus large qui aurait permis un manque à gagner moins élevé que celui qui sera généré par le péage de transit". Ils se disent néanmoins "satisfaits que le principe d'une contribution des poids-lourds à l'entretien et au financement des infrastructures de transport soit introduit dans notre pays grâce à ce péage". Un péage "essentiel" selon eux au financement de l'appel à projets "Transports collectifs et mobilité durable" pour lequel l'Etat s'est engagé à cofinancer, à hauteur de 450 millions d'euros, 122 projets de transports collectifs de 78 collectivités locales. "Comme le rendement attendu du péage, avant imputation du coût de collecte, n'est que de 550 millions d'euros au lieu des 800 millions d'euros nets initialement prévus via l'écotaxe, au profit de l'Afitf, le Gart demande à ce que le gouvernement abonde, dès 2014, le budget de l'agence à due concurrence de ces 800 millions d'euros en recherchant, le cas échéant, d'autres sources de financement comme par exemple en taxant les sociétés d'autoroutes bénéficiaires des reports de trafic ou le diesel de façon à ce que les travaux du nouvel appel à projets puissent être programmés et que les crédits de paiements pour les projets déjà engagés au titre du 2e appel à projets TCSP puissent être mobilisés."

Les transports publics mécontents

La Fédération nationale des transports publics (FNTP) affiche quant à elle son "mécontentement". Avec 500 millions d'euros par an, le péage transit poids lourds devrait rapporter "2,5 fois moins que ce qui était envisagé dans le rapport Mobilité 21" pour lequel il constitue "un enterrement de première classe", a souligné Bruno Cavagné, président de la FNTP dans un communiqué. L'Afitf étant déjà "incapable d'engager de nouveaux programmes", le nouveau dispositif marque selon lui "un coup d'arrêt pour le financement de plusieurs dizaines de projets et ce, à l'opposé de l'ambition affichée d'engager la France dans la transition énergétique". Le président de la FNTP estime aussi que "les départements font figure de perdant". "Ils devaient percevoir 170 millions d'euros par an mais dans le nouveau dispositif, il n'y a quasiment plus de routes départementales taxées. Conséquence directe : le budget des conseils généraux alloué pour entretenir les routes risque d'être de plus en plus compliqué à boucler."

Les associations environnementales très critiques

France Nature Environnement (FNE), qui fédère plus de 3.000 associations environnementales, est aussi très critique à l'égard du nouveau dispositif. "Alors que le projet de loi sur la transition énergétique vient d'être dévoilé, l'Etat décide de se priver des moyens pour engager la transition dans les transports, secteur ultra dépendant des énergies fossiles et gros émetteur de gaz à effet de serre et autres polluants", a souligné dans un communiqué Michel Dubromel, responsable Transports et Mobilités Durables à FNE. "Une fois de plus, le gouvernement cède devant les lobbies par manque de courage et de vision politique", a-t-il ajouté. FNE voit dans le péage de transit une "écotaxe au rabais".
"L'écotaxe était une redevance pour l'utilisation des infrastructures routières, soit l'application du principe d'utilisateur-payeur et de pollueur-payeur, un principe plébiscité par les Français", rappelle l'ONG. "En la réduisant à peau de chagrin, les collectivités territoriales, déjà malmenées par la crise, ne pourront pas assurer le financement des projets de transports collectifs, ni la maintenance du réseau routier de plus en plus délabré", ajoute-t-elle.
Agir pour l'environnement, une autre association, estime aussi que le gouvernement a cédé "aux exigences des transporteurs routiers" en excluant "tout bonnement le transport de fret de la transition énergétique". "Les contribuables seront donc appelés à l'aide afin de continuer à subventionner un mode de transport routier qui a érigé le dumping écologique et social en modèle", regrette cette association. 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis