Investissement - Les contrats de plan redémarrent avec les transports
Article initialement publié le 10 juillet 2013.
Jean-Marc Ayrault a présenté mardi 9 juillet en fin de journée son plan "Investir pour la France". Un plan d'investissements impulsé le 6 mai par François Hollande pour lancer l'an II du quinquennat. Un plan qui entend se placer "sous le double emblème de la compétitivité et de la transition écologique" et avoir un "impact minimal" sur la trajectoire de rétablissement des comptes publics. "L'investissement public doit être ciblé, réfléchi, rigoureux", a résumé le Premier ministre, qui s'exprimait à l'université de Jussieu à Paris.
Ce plan s'appuie principalement sur deux mécanismes : sur un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA) mais aussi, même si cela a semble-t-il été moins remarqué, sur la prochaine génération des contrats de plan Etat-régions.
S'agissant du PIA, le chef du gouvernement a jugé que le programme actuel "est un outil remarquable", entre autres parce qu'il fonctionne sur la logique de l'appel à projets et parce qu'il "exerce un puissant effet de levier sur les collectivités et sur les investisseurs privés". Matignon précise d'ailleurs que l'enveloppe initiale de 35 milliards d'euros de ce "PIA 1" représente toujours plus de 3 milliards d'investissements par an, montant qui ne diminuera qu'à partir de 2016.
Le nouveau PIA sera doté de 12 milliards d'euros au total – une somme qui proviendra principalement de recettes liées à des cessions de participations de l'Etat. Mais Jean-Marc Ayrault insiste sur le fait que sa montée en charge sera progressive avec, donc, des versements limités en 2014 et 2015. Il a par ailleurs largement mis en avant le fait que la majorité des financements apportés par ce nouveau PIA "seront soumis à une éco-conditionnalité" et que la moitié "concerneront directement ou indirectement des investissements pour la transition écologique".
Le dossier de présentation diffusé par Matignon détaille, sous forme de "camembert", la ventilation prévue des crédits par grands champs d'intervention : recherche et universités (3,65 milliards, l'objectif étant principalement de continuer à bâtir des campus "d'excellence" capables de rivaliser avec les concurrents internationaux) ; "transition énergétique, rénovation thermique et ville de demain" (2,3 milliards) ; industrie (sous la bannière "innover pour une industrie durable", pour 1,7 milliard) ; aéronautique et espace (1,3 milliard) ; économie numérique (600 millions) ; santé (400 millions) ; "jeunesse, formation, modernisation de l'Etat" (550 millions).
Contrats de plan : les négociations vont débuter
Mais le plan présenté par le chef du gouvernement dépasse assez largement le cadre de ce nouveau PIA : plusieurs des champs d'investissement évoqués, notamment tout le volet transports-mobilité (voir ci-dessous), viennent s'inscrire dans le cadre des futurs contrats de plan Etat-régions 2014-2020. Cette journée du 9 juillet est même à retenir comme la date de "lancement" de la procédure d'élaboration de cette prochaine génération de contrats. Des contrats qui, notera-t-on au passage, ont donc repris leur ancienne appellation de contrats de plan en lieu et place de "contrats de projets". "Les préfets recevront dans les prochains jours des instructions précises pour engager les négociations", a indiqué Jean-Marc Ayrault, qui s'était justement le matin même exprimé devant ces préfets et avait alors fourni quelques précisions intéressantes.
Les "nouveaux" CPER devront "retrouver une dimension stratégique, réunir les énergies et non les disperser", a-t-il indiqué. Ils devront en fait se concentrer sur quatre thématiques : l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation ; la mobilité ; le numérique et ses usages ; la transition écologique et énergétique. Les préfets sont invités à "définir avec les régions, mais aussi les autres niveaux de collectivités, les objectifs à atteindre". Chacune des thématiques, explique Matignon, "sera accompagnée d'un volet financier contractualisé ou rattaché à des politiques de droit commun ou à des dispositifs spécifiques"… dont les appels à projets du PIA.
Le Premier ministre a précisé que la mise en œuvre des contrats "s'articulera avec le déploiement des fonds européens" et que le calendrier devra donc en tenir compte. Estimant utile de "prendre le temps qu'il faut pour élaborer les stratégies régionales, les ancrer dans les territoires pour que ces projets soient partagés", il prévoit une signature des contrats avant l'été ou au début de l'automne 2014… sauf pour le volet mobilité qui "va faire exception à ce calendrier de négociations" dans la mesure où, a-t-il dit, "là il y a une attente, les projets sont prêts et nous devons aboutir à un accord avant la fin de cette année".
Tout au long de son intervention à Jussieu, Jean-Marc Ayrault, a donné une coloration très "territoriale" à son plan et à sa vision de l'investissement public, déclarant par exemple : "Chaque territoire a son histoire industrielle et sociale, ses atouts, ses défis à relever. C'est dans chaque territoire que doit s'inscrire notre politique d'investissement. Je défends ainsi l'idée qu'investir pour la France, c'est investir dans ces territoires, avec ces territoires."
Transition écologique et énergétique
Dans le nouveau PIA, 2,3 milliards d'euros seront donc dédiés à "la transition énergétique et écologique et à la construction urbaine durable", a annoncé Jean-Marc Ayrault. "La moitié de ce montant ira à l'Ademe", a précisé le Premier ministre. Parmi les domaines ciblés figurent par exemple le génie écologique, la sobriété énergétique, le recyclage, la pile à combustible, les réseaux de chaleur, la biomasse, ou encore la préservation de la biodiversité. Un autre montant important du PIA (1,7 milliard d'euros) est dédié au volet "Innover pour une industrie durable". Pour illustrer les thèmes qui peuvent être concernés, Matignon a pris l'exemple des transports, où l'on pourrait encourager "la production d'avions utilisant 25% d'énergie en moins", ou encore celui des produits éco-efficients. Jean-Marc Ayrault a évoqué pour sa part la robotisation et le développement des biocarburants ou l'utilisation généralisée des réseaux intelligents.
En marge du plan d'investissements d'avenir, Jean-Marc Ayrault a aussi annoncé le déploiement des compteurs électriques intelligents Linky, pour remplacer les compteurs traditionnels. "Trois millions de nouveaux compteurs seront installés cet été", s'est-il félicité, précisant que "tous les compteurs seront remplacés en France dès 2020". Cinq milliards d'euros seront débloqués "sur les fonds propres d'ERDF". En comptant Linky, "ce sont presque 7,5 milliards d'euros de mobilisés pour la transition énergétique et écologique", a mis en avant le Premier ministre.
Mobilité : priorité aux trains du quotidien et au réseau existant
Jean-Marc Ayrault a loué le rapport de la commission Mobilité 21 sur les transports, pilotée par Philippe Duron, qui est "d'une qualité exceptionnelle". Ce rapport, qui redonne la priorité aux trains du quotidien par rapport au modèle du tout TGV en vigueur ces dernières années, "montre que l'urgence n'est pas de monter des projets pharaoniques mais d'améliorer l'existant, le ferroviaire notamment". Le gouvernement "se fixe comme référence son scénario numéro deux, qui prévoit trente milliards d'euros tous financeurs confondus" consacrés aux infrastructures de transports à l'horizon 2030, a indiqué Jean-Marc Ayrault.
"Entre les TER et les TGV, les trains Intercités doivent impérativement prendre toute leur place", a déclaré le Premier ministre. Ces trains "qui maillent vraiment le territoire et qui facilitent la mobilité seront intégralement renouvelés entre 2015 et 2025", a-t-il annoncé. L'État doit lancer dès cet été une première commande, "d'un minimum de 500 millions d'euros pour des trains neufs", a expliqué le chef du gouvernement. Ils doivent permettre d'assurer "un service plus efficace, plus confortable, plus accessible financièrement". Un appel d'offres doit être lancé dès 2015 pour une deuxième tranche d'investissements, prévue à l'horizon 2018-2019, a précisé Matignon. Il doit permettre de renouveler les anciens trains Corail. En complément, l'Etat souhaite engager en partenariat avec les régions un diagnostic des complémentarités entre les dessertes TER et Intercités, "en articulant mieux les parcours point à point d'aménagement du territoire et les parcours régionaux".
Toujours en ligne avec la philosophie du rapport de la commission Mobilité 21, Matignon a choisi de maintenir le début des travaux d'une seule ligne à grande vitesse (LGV) avant 2030 : Bordeaux-Toulouse. Les autres (Bordeaux-Hendaye, Paris-Orléans-Clermont-Lyon, Poitiers-Limoges, seconde phase de la LGV Rhin-Rhône...) sont renvoyées à l'après 2030. Quelque deux milliards d'euros sont néanmoins provisionnés pour engager la construction de certaines LGV avant cette date, au cas où les lignes existantes arriveraient à saturation plus tôt que prévu. "La France ne tourne pas du tout le dos à la grande vitesse", a maintenu Jean-Marc Ayrault, soulignant que les priorités en matière de mobilité seraient revues tous les cinq ans.
La priorité doit également être donnée à l'entretien et à la modernisation du réseau existant. Les premiers chantiers à mettre en oeuvre avant 2030 se concentrent sur un certain nombre de grands "noeuds ferroviaires", et sont destinés à désengorger de nombreuses gares, comme celles de Saint-Lazare à Paris, la Part-Dieu à Lyon ou Saint-Charles à Marseille.
Côté fret, le gouvernement confirme le lancement de l'autoroute ferroviaire atlantique reliant Lille (Dourges) à Bayonne (Tarnos). Il a par ailleurs demandé à SNCF-Géodis le lancement simultané de l'autoroute ferroviaire entre Calais (Côte d'Opale) et Perpignan–Le Boulou–Côte vermeille). Avec celles déjà en service (Perpignan-Luxembourg et Savoie-Italie), "quatre lignes d'autoroutes ferroviaires seront ainsi en service en 2015, permettant de transférer 150.000 poids lourds par an en 2015 sur des trains, avec un objectif de 500.000 par an en 2020", assure-t-il.
Selon les membres de la commission Duron, le financement du scénario deux impliquait un investissement supplémentaire de l'Etat de 400 millions par an dans le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afitf). Matignon ne s'est pas engagé sur ce point, mais précise "assumer" le maintien du budget de l'Afitf "au-dessus des deux milliards par an".
Des annonces diversement appréciées
Les annonces du Premier ministre en matière de transports ont été naturellement très diversement appréciées. Du coté des élus, le président PS de la région Midi-Pyrénées, Martin Malvy, a salué dans un communiqué le 9 juillet la confirmation de la réalisation de la ligne ferroviaire à grande vitesse Bordeaux-Toulouse. "C'est la très bonne nouvelle que nous espérions pour Toulouse et l'ensemble de Midi-Pyrénées", a-t-il souligné. Avec Pierre Izard, président du conseil général de la Haute-Garonne, et Pierre Cohen, maire de Toulouse, notamment, nous n'avons cessé de défendre ce projet", a-t-il poursuivi. "Nous avons (...) affirmé et rappelé que la part de financement que nous apportons actuellement au chantier ouvert entre Tours et Bordeaux s'inscrivait pour nous dans un axe unique Paris-Tours-Bordeaux-Toulouse", a-t-il dit. "Toulouse, 4e ville de France, et Midi-Pyrénées, plus vaste territoire régional, ne pouvaient pas rester à l'écart du réseau à grande vitesse."
Les élus d'Aquitaine se sont aussi félicités de la confirmation de la réalisation de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse tout en assurant que leur combat continuait en faveur d'une liaison entre Bordeaux et l'Espagne. Le communiqué, diffusé juste après l'annonce du "plan d'investissements d'avenir" par Jean-Marc Ayrault est signé d'Alain Rousset, président socialiste du conseil régional d'Aquitaine, d'Alain Juppé, maire UMP de Bordeaux, de Philippe Madrelle, président PS du conseil général de Gironde, de l'UMP Jean Grenet, maire de Bayonne, de Martine Lignières-Cassou, maire socialiste de Pau et de Vincent Feltesse, président PS de la communauté urbaine de Bordeaux. "L'absence de précision sur la date de réalisation de la ligne nouvelle Bordeaux-Espagne ne répond pas aux attentes de la population ni des acteurs économiques", réagissent les élus en ajoutant qu'ils "regrettent cette décision". Ils plaident pour le lancement d'une première phase entre Bordeaux et Dax - la suivante, côté français, était celle de Dax à Hendaye - "reliant le projet à grande vitesse à la ligne existante".
François Patriat, président de la région Bourgogne, a pour sa part réagi au report après 2030 de deux projets ferroviaires qu'il juge "majeurs" pour son territoire - la réalisation complète de la branche est de la LGV Rhin-Rhône (Mulhouse-Dijon) et l'électrification par Nevers et Chagny de la ligne transversale Nantes–Lyon - et demande au gouvernement de "reconsidérer ces arbitrages". "Les trois régions Bourgogne, Alsace et Franche-Comté sont pourtant prêtes à accompagner la mise en chantier de ces projets, écrit-il dans un communiqué. Au-delà de la seule dimension transport et de ses multiples implications, ce sont des stratégies d'aménagement du territoire et de dynamique économique indispensables à l'attractivité de notre région qui sont en jeu".
Du côté des usagers, la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) distribue bons et mauvais points. Elle approuve la priorité donnée à l'entretien, la désaturation et la modernisation des infrastructures existantes de transport collectif, l'effort de renouvellement des trains Intercités et la relance des autoroutes ferroviaires, de même que le volet mobilité des contrats de plan Etat-régions qui favorisera selon elle les projets de proximité. Mais elle regrette que le scénario 2 de la commission Mobilité 21 retenu par le gouvernement "manque d'ambition". "Il s'agit davantage de rattrapage que de préparation de l'avenir". En outre, pointe la fédération, il comporte la réalisation de 8 projets autoroutiers. "Ces projets (…) sont nocifs pour l'environnement et totalement contradictoires avec la 'transition écologique et énergétique' préconisée par le gouvernement", souligne-t-elle.
La Fédération nationale des travaux publics (FNTP) attend quant à elle un "passage à l'acte" mais "redoute" qu'il "soit une nouvelle fois retardé : "Le choix de retenir le scénario 2 du rapport Mobilité 21, outre l'abandon de projets structurants qu'il entérine, n'est accompagné d'aucune annonce précise en matière de programmation", regrette-t-elle dans un communiqué.
Claire Mallet et Anne Lenormand
Et le numérique dans tout ça ?
Si le numérique est présent dans la plupart des secteurs impactés par le nouveau PIA, le gouvernement affectera directement 0,6 milliards à l'économie numérique, sans toutefois préciser les domaines bénéficiaires de cette enveloppe. Les axes déjà présentés fin 2012 en matière de très haut débit ont été rappelés : les 20 milliards d'investissement partagés entre les opérateurs, les collectivités territoriales et l'Etat, dont sa propre part d'engagement à hauteur de 3 milliards de subventions. Sur l'autre versant de la dynamisation des politiques publiques, celui des contrats de plan Etat-région, le gouvernement vient décliner le Plan France Très Haut Débit en positionnant le développement des usages du numérique comme l'une des quatre priorités centrales.
Ph. P.