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Développement rural - PAC 2014-2020 : les grandes manoeuvres ont commencé

Tout au long des trois mois consacrés à un débat public organisé par le commissaire à l'Agriculture, Dacian Ciolos, associations, organisations agricoles et élus locaux, ont discuté de l'avenir de la Politique agricole commune (PAC). Au centre des débats : la réforme du pilier I et le rééquilibrage du pilier II consacré au développement rural et moins bien loti. Les idées dégagées au cours de ce débat et synthétisées lors d'une conférence, organisée les 19 et 20 juillet 2010 à Bruxelles, doivent permettre de construire le document d'orientation de la Commission européenne sur la future PAC.


Des idées originales, un exercice réussi : c'est l'avis de la plupart des quelque 600 représentants d'organisations agricoles, associations, think tanks et autres instituts qui se sont pressés à la conférence "La PAC post 2013", organisée à Bruxelles les 19 et 20 juillet 2010 par la DG Agri et son "patron", Dacian Ciolos, le commissaire européen à l'Agriculture et au Développement rural. Cette conférence avait pour objectif la synthèse de plusieurs mois de débat public, invitant aussi bien les organismes spécialisés que le simple citoyen à dire ce qu'il pensait de la Politique agricole commune (PAC) et de son avenir. Ces débats doivent à présent nourrir le document d'orientation de la Commission européenne sur la future PAC, et celui-ci servir de support à sa dotation budgétaire pour la période 2014-2020. Autant dire que l'enjeu est d'importance s'agissant d'une politique agricole qui capte aujourd'hui 40% du budget de l'Union européenne, qui a toujours fait l'objet de négociations acharnées entre les Etats, et de réactions très vives du monde agricole. "C'était un pari risqué et compliqué que de sortir du cadre administratif pour ouvrir la réflexion à toutes les parties prenantes", a rappelé Dacian Ciolos, durant la conférence. Compliqué, mais politiquement payant pour le jeune commissaire à l'Agriculture : le large succès du débat public et les sondages réalisés en parallèle ont montré, à rebours du sentiment prédominant, que les Européens étaient très attachés à la PAC. Selon un sondage TNS Opinion, commandé par la DG Agri, 90% des citoyens européens indiquent que l'agriculture et l'espace rural constituent des questions vitales pour l'avenir de l'Europe ; 83% se déclarent favorables au maintien des subventions pour les agriculteurs et 66% estiment que le budget de la PAC est adéquat ou insuffisant, contre 17% qui le jugent trop élevé. Des chiffres en forme de pare-feu, alors qu'un document non-officiel, émanant de la Commission européenne et divulgué en octobre 2009, envisageait le démantèlement de la PAC. Il reste que les débats tenus lors de la conférence ont été importants. Au cœur des discussions : la réforme du pilier I de la PAC qui regroupe les aides directes aux agriculteurs et capte l'essentiel des crédits, pour renforcer les mécanismes compensatoires existants, et un rééquilibrage au profit du pilier II, consacré au développement rural et plutôt négligé dans les affectations budgétaires de la PAC.

 

 

"L'agriculture-bien public"

"Les actions au titre du pilier II ne doivent plus servir à recoller les morceaux laissés par le marché", résumait Alan Matthews, professeur en politique agricole européenne au Trinity College de Dublin, et l'un des deux rapporteurs de la conférence. Ici a surgi en force une conception radicale, reprise par de nombreux experts, chercheurs, responsables associatifs et territoriaux. "L'agriculteur ne produit pas seulement des denrées alimentaires. Dans de nombreux cas, il entretient les paysages, contribue à la lutte contre le réchauffement climatique, à la préservation de la bio-diversité, maintient le tissu social d'un territoire. Il est un partenaire crucial pour la réalisation des objectifs européens en matière de développement durable. L'idée-clé, c'est de reconnaître la valeur de ces services et de les rémunérer", souligne Angelika Poth-Mögele, directrice des travaux politiques au Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE). Si le principe de l'agriculture-bien public est approuvé par de nombreux acteurs, à commencer par la FNSEA (le principal syndicat agricole français), et jusqu'au sein de la Commission européenne, il reste une difficulté de taille : sa mise en oeuvre. "Comment définir ce qu'est un bien ou un service public apporté par l'agriculteur ? A quel niveau payer ce bien ? Et comment s'assurer de son effectivité ? Le contribuable européen ne va certainement pas signer un chèque en blanc", résume Alan Matthews. Deuxième idée-force émise par une majorité d'intervenants : le développement rural est non seulement indispensable à l'ambition européenne de croissance durable - telle que formulée notamment dans le projet Europe 2020 de la Commission - mais aussi au respect de ses principes fondateurs. "Rappelons que la cohésion des territoires, c'est-à-dire l'accès de chacun, quel que soit son lieu d'habitation, à des services répondant à ses besoins fondamentaux, est un objectif politique formulé dans le traité de Lisbonne", indique l'italienne Mercedes Bresso, présidente du Comité des régions (CdR).

 

 

"Le pilier II ne doit plus être conçu comme un palliatif du pilier I"

D'où l'idée d'accompagner toutes les grandes décisions et réformes européennes d'une étude d'impact territorial et de considérer le développement rural, non plus comme une subvention pour petits agriculteurs en difficulté, mais la juste rétribution de produits de haute qualité - labellisés "bio", "terroir", "montagne"... - ainsi qu'une incitation à la diversification de l'économie locale et à l'implantation de services dignes de ce nom (en particulier l'internet large bande). "En Autriche, par exemple, les programmes de développement rural ont fortement stimulé, au-delà de la culture bio, l'agro-tourisme, l'économie verte, les énergies renouvelables, l'insertion sociale... Le pilier II ne doit plus être conçu comme un supplétif ou un palliatif au pilier I, mais comme un développement diversifié du territoire bien au-delà de l'agriculture", remarque Angelika Poth-Mögele, du CCRE. De cette idée découle une nécessité : transférer la conduite des programmes européens à une gouvernance locale, capable de mobiliser l'ensemble des aides, qu'elles concernent l'agriculture, la téléphonie ou les éoliennes. La plupart des participants, ici, se sont référés à Leader, un programme européen de soutien aux zones rurales. "Il est piloté par des groupes d'action locale, avec en appui un vaste réseau européen d'aides et d'expertises. Une approche du bas vers le haut, 'bottom-up', qui s'est avérée très efficace, et pourrait servir de modèle pour la future PAC. A la condition d'élaborer des outils de monitoring très fins, permettant d'accorder une large autonomie aux territoires, tout en contrôlant les résultats", souligne Heino Von Mayer, directeur du bureau de l'OCDE à Berlin. Au final, Dacian Ciolos a esquissé ce que pourrait être un nouvel équilibre entre pilier I et pilier II. "Le pilier I pourrait être le lieu d'un soutien sur une base annuelle, en contrepartie de résultats visibles et quantifiables. Et le pilier II soutenir sur une base pluriannuelle l'évolution des filières et des territoires, y compris sur le plan environnemental", estime-t-il. Quelle que soit la proportion d'idées neuves retenues in fine par la Commission, dans son document d'orientation, il restera à passer l'épreuve des négociations entre Etats, des contraintes budgétaires et du paradigme dominant, qui reste celui d'une agriculture intensive et concurrentielle.

Paul Arguin

 

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