Réforme de la PAC - René Souchon : "L'agriculture ne peut pas être livrée à la concurrence mondiale"
Localtis : Quels sont, selon vous, les grands enjeux de la future PAC pour les régions européennes ?
René Souchon : Ils sont nombreux et je les ai répertoriés dans mon projet d'avis mais pour moi, l'essentiel est de réaffirmer la nécessité d'une politique agricole commune car la tentation de nationaliser est extrêmement importante. Or, la nationalisation serait catastrophique. Ensuite, la PAC doit assurer l'indépendance et la sécurité alimentaire de l'Europe tout en garantissant la diversité agricole et en veillant à un bon équilibre des cultures. La PAC doit aussi assurer une stabilité des revenus des producteurs et le maintien de l'emploi dans l'agriculture. Pour ce faire, il faut développer des outils de stabilisation des prix et de maîtrise des productions. En outre, la PAC doit bénéficier à l'ensemble des productions. L'emploi et le développement des territoires sont les deux préoccupations majeures. Actuellement, la PAC se caractérise par une très forte inégalité de soutien aux productions. De plus, depuis plusieurs années, elle soutient plus l'agriculture que l'emploi. Tout cela doit changer. Enfin, la PAC doit être dotée d'un budget à la hauteur des défis et des enjeux à relever.
Vous prônez une régionalisation des aides européennes agricoles. Qu'est-ce que cela changerait, selon vous ?
La PAC doit faire évoluer ses modalités de gouvernance. Je pense que les régions doivent être parties prenantes dans les décisions d'orientation et de mise en œuvre de la politique agricole. Le Comité des régions estime d'ailleurs que le niveau régional est le seul capable de permettre une politique efficace et adaptée. Il y a aujourd'hui une multitude de modèles d'agriculture. Seules les régions sont capables d'apprécier ces divergences. Si on ne veut pas, par exemple, voir disparaître l'agriculture des zones de montagne (l'Auvergne est particulièrement concernée par le problème), il faut absolument une régionalisation. Il faut coller à la réalité des territoires. On ne peut plus se contenter d'une approche macro-économique de l'agriculture. Cependant, je sais que Bruxelles va invoquer le sacro-saint principe de concurrence. Ce à quoi je réponds que la concurrence doit se faire à conditions égales. Des critères objectifs peuvent parfaitement être définis et les régions peuvent être contrôlées par l'Europe mais elles n'en demeurent pas moins les mieux placées pour appliquer la politique agricole. Je ne demande pas que les régions gèrent les budgets mais je souhaite une véritable gouvernance des régions. D'ailleurs, tous les pays européens renforcent actuellement le rôle de cet échelon.
Père des quotas laitiers en France, souhaitez-vous que cette mesure soit remise au goût du jour par Bruxelles ? Faut-il l'adapter ? Et faut-il appliquer cette politique des quotas à d'autres secteurs agricoles ?
La préférence communautaire est indispensable. Je pense d'abord que c'est une erreur d'avoir intégré l'agriculture aux négociations de l'OMC parce que l'agriculture est devenue une monnaie d'échanges. C'est catastrophique car l'agriculture a beaucoup de rigidité et elle ne peut pas être livrée à la concurrence mondiale. En 2005, j'avais réalisé une étude sur les conséquences de la suppression des droits de douane sur l'élevage des porcs. Les conclusions étaient sans appel : le porc européen disparaissait. Je pense donc que l'Europe doit trouver des mécanismes pour mettre en œuvre la préférence communautaire. On ne peut pas laisser le marché gérer l'agriculture.
Concernant les quotas laitiers, ils ont joué un rôle très positif mais il faut faire évoluer le système. Je suis donc partisan de quotas modernisés ou assouplis afin de ne pas retomber dans le système très administratif que nous connaissions.
Globalement, il faut ajuster l'offre à la demande donc limiter la production à un certain moment. Partout où il y a des risques de production supérieure à la demande, il faut introduire une régulation sous forme de quotas ou de quantums. Ainsi, le lait mais aussi l'élevage bovin et d'autres cultures seront concernées par ces mesures.
Le commissaire européen à l'Agriculture, Dacian Ciolos, n'est pas si loin de nos propositions mais il ne faut pas oublier que 22 pays sur les 27 Etats membres de l'Union européenne sont inspirés de principes libéraux. Je doute de la capacité de la Commission européenne à mettre en place ces mécanismes. D'ailleurs, je ne suis pas certain qu'il y ait une volonté réelle de l'Europe ou de la France à mettre en œuvre ces mesures.
Quels sont les secteurs agricoles qui doivent bénéficier d'une aide importante de l'Europe ?
Il existe toute une série de productions qui ne sont pas aidées aujourd'hui. Par exemple, le maraîchage devrait percevoir des aides européennes. Les productions de viande nécessitent aussi des aides. L'élevage ovin est devenu totalement marginal. S'il suit le même chemin que la production laitière, ce sera dramatique !
Comment Bruxelles peut protéger les zones agricoles défavorisées ?
La PAC doit impérativement prendre en compte les zones les plus fragiles, notamment les zones de montagne. Il faut élaborer une stratégie intégrée et la mettre en œuvre très vite. Contrairement à ce que pensent de nombreux citadins, l'environnement n'est pas naturel, il est cultivé et lorsque les territoires sont laissés en friche, ils se referment totalement. Les enjeux dépassent donc l'agriculture pour toucher notamment le tourisme. Ce sujet est très préoccupant, notamment en France où un groupe de travail a été mis en place pour réfléchir à la question. Très prochainement, je vais rouvrir les discussions au sein de l'Association des régions de France et je rencontrerai le ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire à ce sujet.
Quelles mesures préconisez-vous en cas de nouvelle crise agricole ?
Aujourd'hui, nous pouvons anticiper ces crises mais il faut l'envie de le faire. La crise laitière a montré le manque de volonté de l'Etat. La contractualisation a été un progrès mais c'est insuffisant. Cela n'a pas réglé le problème. Il faut mettre en œuvre des mécanismes de régulation lourde comme la limitation de la production. L'Europe peut le faire mais il s'agit d'un problème politique et non pas technique. Bruxelles doit prendre conscience que nous allons vers des délocalisations majeures de certaines productions et que cela est catastrophique.
Etes-vous favorable au découplage des aides à une obligation de production ?
Je suis contre le découplage total. Dans le système de la PAC 2013, nous allons vers des aides à l'hectare qui me semblent intéressantes dès lors qu'elles sont modulées en fonction d'autres critères que ceux de la production. Il faut prendre en compte le maintien de l'emploi, le développement des territoires, le développement durable, le handicap naturel, etc. Cela serait plus juste et plus égalitaire. Cependant, je pense qu'il faut conserver le découplage pour les productions qui ne tiennent que par les aides européennes (comme les productions de viande en Auvergne).
Que pensez-vous de la répartition actuelle des aides entre le premier et le deuxième pilier de la PAC ?
Je pense que la PAC doit se concentrer sur l'agriculture et l'alimentation. Les mesures relatives au développement rural (le deuxième pilier) ne devraient pas relever de la PAC mais uniquement du Fonds européen agricole de développement (Feader). Dans mon projet d'avis, je questionne la Commission sur l'opportunité de conserver deux piliers de la PAC. Je n'en suis pas certain.
Comment l'Europe et les régions peuvent-elles soutenir la filière bio ?
La PAC doit absolument privilégier les systèmes de production les plus respectueux de l'environnement. La priorité doit être donnée aux financements des systèmes vertueux. Je préconise une exigence minimale pour l'obtention d'un premier niveau d'aide puis un supplément d'aide pour les agriculteurs qui vont plus loin et qui développent une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Cela permettra dans un premier temps d'essayer de répondre à la demande qui se fait de plus en plus forte. En Auvergne, par exemple, nous importons sept millions de litres de lait bio d'Allemagne chaque année. Sur le modèle des bonnes décisions prises par Michel Barnier lorsqu'il était ministre de l'Agriculture, nous devons aider à la mutation des productions au bio.
Quelle est, selon vous, la meilleure manière de développer les circuits courts ?
Les circuits courts sont très importants. Je préconise la relocalisation des productions par la commande publique. Cela permettra de donner une meilleure visibilité aux agriculteurs car les contrats sont passés sur trois ans. Mais, pour cela, il faut assouplir le Code des marchés publics et cela dépend de l'Etat français, non de l'Europe.
Propos recueillis par Muriel Weiss