Loi de modernisation agricole - Gaspillage des terres : les mesures annoncées ont du mal à convaincre
L'artificialisation continue de progresser en France, à tel point que pour la première fois depuis 150 ans, la forêt a perdu du terrain en 2008. Les sols boisés sont passés de 16,947 millions d'hectares à 16,946 millions d'hectares, selon les données de l'Agreste (ministère de l'Agriculture). Un recul certes léger mais qui doit être rapproché de la disparition plus générale des terres agricoles. Celle-ci a plus que doublé depuis les années soixante, passant de 35.000 hectares de terres agricoles consommés chaque année à 75.000, au profit de pavillons, routes, équipements, zones d'activités... L'équivalent d'un département est absorbé tous les dix ans. Le problème est particulièrement criant aux Antilles où les terres agricoles pourraient avoir disparu en trente ans !
"Les élus sont en concurrence entre eux pour créer des zones d'activités, ils multiplient les projets car chacun veut récupérer de la taxe professionnelle, ou ce qui la remplacera. On se retrouve parfois avec des zones qui ne sont même pas utilisées", dénonce André Barbaroux, le directeur de la FNSafer (Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural). Cette vue à court terme a conduit aux effets que l'on sait : abords des villes défigurés par les grandes surfaces et les zones pavillonnaires. Mais pour la FNSafer, elle pose un problème plus global d'approvisionnement, avec de plus en plus de pays (pays du Golfe, Corée, Chine, Inde, etc.) qui achètent des terres dans les pays en développement par crainte d'en manquer pour leur alimentation future.
Réduire de moitié la consommation d'ici à 2020
En France, le gaspillage des terres agricoles fait l'objet de deux textes concomitants. Le projet de loi du Grenelle 2, en cours de discussion, prévoit de nouveaux dispositifs destinés à freiner la consommation foncière : renforcement des schémas de cohérence territoriale (Scot) et possibilité d'établir des plans locaux d'urbanismes (PLU) intercommunaux. C'est à présent à la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMA), présentée en Conseil des ministres le 14 janvier, de s'attaquer au problème. "Il devient urgent de mettre en oeuvre une véritable politique de préservation du foncier agricole en France, en se fixant comme objectif de réduire de moitié le rythme de consommation des terres agricoles d'ici 2020", indique l'exposé des motifs du texte. Le projet de loi propose l'installation d'un Observatoire national des terres agricoles et l'élaboration d'un plan régional d'agriculture durable arrêté par le préfet en concertation avec les collectivités, les associations et la profession agricole. Il crée également une "commission départementale de la consommation des espaces agricoles" chargée d'émettre un avis sur le changement de destination des terres agricoles en dehors des zones couvertes par un Scot ou un PLU intercommunal (article 12). Cette commission serait également consultée sur les modifications apportées aux POS et PLU prévoyant de réduire les terres agricoles en dehors des périmètres du Scot. La LMA, qui sera examinée au printemps à l'Assemblée nationale, prévoit également un instrument destiné à lutter contre la spéculation, principale cause du gaspillage, puisqu'une fois rendues constructibles, les terres peuvent être vendues jusqu'à 300 fois leur prix initial en région parisienne. Une taxe additionnelle sur les plus-values de cessions de terres agricoles rendues constructibles est ainsi envisagée. Elle ne s'appliquerait que lorsque les plus-values seraient de plus de 10 fois le prix initial avec un système de taux progressif (5% pour une plus-value de 10 fois à 30 fois le prix initial et 10% au-delà). Mais cette taxe serait perçue par l'Etat. Ces mesures ont aussitôt fait réagir l'Assemblée de communautés de France (ADCF) qui, si elle partage l'objectif de réduction de la consommation de terres agricoles, contexte les outils proposés. "Cette taxe devrait être reversée au niveau local ou intercommunal, afin de financer des actions de protection des terres agricoles, d'aides à l'installation ou de développement des circuits courts", explique Nicolas Portier, le délégué général de l'ADCF. Selon lui, la montée en puissance des Scot et la possibilité de PLU intercommunaux devraient permettre aux collectivités de s'exonérer de l'examen préalable de la commission. L'ADCF a entrepris des pourparlers avec le cabinet de Bruno Le Maire et a bon espoir de faire évoluer le texte d'ici son examen.
"Politique de timbre poste"
Après le Grenelle 2 et la LMA, la question de la gestion de l'espace devrait également être traitée dans la proposition de loi sur l'urbanisme commercial en cours de préparation. "Il y a foison de textes, il faut tout repenser en convergence, la fiscalité, l'urbanisme... On est au début d'une petite révolution, mais c'est un travail de longue haleine", estime Nicolas Portier.
Mais du côté de la FNSafer, on est nettement moins optimiste. Qu'il s'agisse du Grenelle ou de la LMA, les solutions ne sont pas adaptées, estime-t-elle. D'abord parce que "les Scot et les PLU sont des documents d'urbanisme d'orientation et pas de protection des terres agricoles et que la compatibilité du PLU au Scot ne veut pas dire conformité", rappelle André Barbarioux. Et puis parce que la commission départementale, compétente en dehors du périmètre des Scot, n'aura pas de pouvoir décisionnel. Quant à la fameuse taxe additionnelle sur les plus-values, "elle ne fera qu'accroître la spéculation puisque les vendeurs l'intégreront dans leur prix de vente".
Depuis une dizaine d'années, de nombreuses mesures ont déjà été prises, avec la création en 1999 des zones agricoles protégées (ZAP), celle des Scot par la loi SRU de 2000, puis en 2005, l'arrivée des PAEN (périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains), permettant aux départements de faire jouer leur droit de préemption. Autant d'instruments qui n'ont produit que peu d'effet. Onze ans après, il existe aujourd'hui une quinzaine de ZAP couvrant une surface de 15 hectares. Une goutte d'eau comparée aux 27 millions d'hectares de la surface agricole utile. Ce qui fait dire à André Barbarioux, amer : "Rien dans ce qu'on nous propose ne permet d'en finir avec la politique de timbre poste."
Michel Tendil