Aménagement - De nouvelles mesures pour freiner l'étalement urbain
Tous les six ans, près de 300.000 hectares de terres cultivables sont urbanisés. L'équivalent d'un département français. A la place : de nouvelles résidences, des activités commerciales et industrielles ou des infrastructures de transport. Entre développement du territoire et protection des terres agricoles, les élus locaux sont face à des arbitrages difficiles d'autant que depuis quelques années, ils doivent répondre à un afflux de nouvelles populations attirées par un "désir de campagne". Mais selon l'Institut français de l'environnement, entre 1994 et 2004, les zones artificialisées ont progressé trois fois plus vite que l'augmentation de la population. En clair, cela signifie que ces "néoruraux" ont besoin de plus en plus d'espace : maison individuelle, pelouse, parkings, routes, etc. Un empiètement qui se fait le plus souvent en zone périurbaine, au détriment des terres arables. Outre la perte de ressources naturelles et agricoles à un moment où des inquiétudes se font jour pour la satisfaction des besoins alimentaires mondiaux, cet étalement urbain pose le problème de l'imperméabilisation des sols. L'artificialisation pèse également sur le marché foncier, rendant difficile l'installation des jeunes agriculteurs. "Ce phénomène n'est pas nouveau mais il s'alourdit chaque jour un peu plus, parce que l'artificialisation est difficilement réversible", a alerté Michel Dantin, conseiller spécial auprès du ministre de l'Agriculture, lors d'un colloque organisé par la FNSEA la semaine dernière. La réponse réside donc dans des choix politiques à partir de plusieurs leviers : droit de préemption, densification de l'habitat et appui à l'agriculture... Mais les élus ont souvent joué le jeu inverse.
"L'habitat diffus, on le subit de plein fouet"
Le secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire, Hubert Falco, l'a d'ailleurs reconnu lors d'une conférence de presse en marge de la conférence sur la cohésion territoriale, jeudi 30 octobre, à Paris : "Pendant longtemps, les élus, dont je fais partie, ont vécu avec l'idée d'installer la ville à la campagne. L'habitat diffus, on le subit aujourd'hui de plein fouet : consommation d'espace, transports, perte de 60.000 hectares de terres agricoles chaque année."
Aujourd'hui, la solution semble de plus en plus passer par l'intercommunalité. Les ministères de l'Agriculture et de l'Aménagement du territoire sont sur la même longueur d'onde et veulent généraliser les Scot (schémas de cohérence territoriale). Dans une circulaire du 27 mai 2008, le secrétariat d'Etat à l'Aménagement du territoire a demandé aux préfets de veiller en priorité à "une gestion intégrée et économe de l'espace". Il leur demande de sensibiliser et d'accompagner les communes et les intercommunalités, en privilégiant les Scot amenés à s'imposer aux PLU (plans locaux d'urbanisme). Avec le Grenelle de l'environnement s'ouvrent de nouvelles opportunités. Le projet de loi Grenelle 1 adopté le 21 octobre en première lecture par les députés fait de la "lutte contre l'étalement urbain" et "contre la régression des surfaces agricoles et naturelles" l'une de ses priorités (acquisition de 20.000 hectares de zones humides, plans climat-énergie territoriaux, etc.). Il prévoit d'imposer des objectifs chiffrés aux collectivités : la Fédération nationale des Safer (FNSafer) et le Certu (Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions) ont été chargés de proposer des indicateurs d'évolution d'utilisation d'espaces dans les plans locaux d'urbanisme pour la fin de l'année 2008.
Imbroglios administratifs
Le vrai changement pourrait venir du Grenelle 2 qui doit être voté avant le printemps 2009 avec l'idée de donner aux établissements publics de coopération intercommunale plus de pouvoirs dans l'élaboration des documents d'urbanisme. Selon Michel Dantin, "la compétence 'urbanisme' pourrait échoir à l'échelon intercommunal assez rapidement. Ce serait de notre point de vue une avancée significative dans le traitement de la question foncière". Parallèlement, l'avant-projet de loi de modernisation de la démocratie locale préparé par le secrétaire d'Etat aux Collectivités territoriales, Alain Marleix, devrait lui-même étendre la compétence du droit des sols aux communautés d'agglomération et aux communautés de communes de plus de 50.000 habitants.
Urbanisme, droit des sols : on est aujourd'hui face à un imbroglio de documents administratifs d'autant plus difficile à décortiquer qu'aménageurs et agriculteurs sont deux mondes "qui ne sont pas encore très ouverts l'un à l'autre", fait-on remarquer au ministère de l'Agriculture. La protection des sols agricoles dispose ainsi de deux outils encore très méconnus des élus et des urbanistes : les ZAP (zones agricoles protégées), créées en 1999, et les Paen (périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains) instaurées par la loi du 23 février 2005 sur le développement des territoires ruraux (DTR). L'objectif de ce nouveau dispositif : étendre à des territoires périurbains ordinaires (hors PLU) une politique de préservation qui était réservée jusqu'ici aux parcs naturels régionaux. A l'intérieur du périmètre, le département, avec l'accord des communes concernées, peut faire valoir son droit de préemption (ou celui des Safer) pour acquérir des terres et contenir la spéculation. Mais après trois ans, aucun Paen n'a encore officiellement vu le jour, même si des projets en sont à des stades plus ou moins avancés dans l'Hérault, la Loire, le Rhône...
Trames vertes et bleues
"Le texte de loi n'était pas très bien ficelé en termes d'opérationnalité. Après un décret du 7 juillet 2006, on est toujours dans l'attente d'un arrêté sur le suivi du dispositif", explique Sophie Elie, chargée de mission à la FNSafer. Pourtant, le Paen recèle de nombreux avantages. "Alors que pour les PLU, les élus sont soumis à la pression des électeurs et peuvent céder facilement, avec le Paen, le département a une autorisation de préemption assez forte pour s'imposer", souligne-t-on, rue de Varenne. Par ailleurs, la TDENS (taxe départementale sur les espaces naturels sensibles) prélevée par les départements pourrait venir alimenter l'acquisition foncière du Paen.
L'esprit du Grenelle commence à peine à souffler sur les campagnes. Faire mieux communiquer aménageurs, agriculteurs, élus : c'est le sens de groupes de travail mis en place depuis le début de l'année, sous l'autorité des préfets de départements. Aujourd'hui, un département sur deux a entrepris cette démarche et une trentaine sont sur le point de le faire, indique le ministère de l'Agriculture. "Le but est organiser un espace 'multi-usages', d'avoir une approche paysagère plus globale en conciliant les exigences de chacun", explique-t-on encore au ministère de l'Agriculture. C'est le sens des "trames vertes et bleues" esquissées dans le Grenelle 1 et qui restent maintenant à concrétiser. Le but : sanctuariser des sortes de "corridors écologiques" sans nuire aux besoins des habitants et des agriculteurs. "Le Grenelle est porteur d'un certain nombre de belles intentions mais il faut voir à partir de maintenant comment il se traduit concrètement", tempère Sophie Elie. Et le soutien apporté récemment au développement des grandes surfaces dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie prouve que l'étalement urbain a encore de beaux jours devant lui.
Michel Tendil