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Modernisation de l'agriculture - Agriculteurs et élus : le divorce ?

Le chef de l'Etat était en visite dans l'Aveyron, jeudi, pour solliciter "le soutien du monde paysan" au moment où les députés entament à leur tour l'examen du projet de loi de modernisation de l'agriculture et où démarrent les négociations sur la PAC. Le Cercle pour l'aménagement du territoire invite à ouvrir les lucarnes du débat franco-français.

La fin des paysans… le scénario envisagé par le sociologue Henri Mendras en 1967 serait-il en passe de se réaliser ? L'histoire semble lui donner raison : avec la modernisation de l'agriculture, la mise en place de la politique agricole commune (PAC), le nombre d'agriculteurs n'a cessé de décroître au fil des ans. Selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, il existe 326.000 exploitations professionnelles en France et 165.000 "mal cernées". Leur nombre a diminué de moitié en vingt ans ! L'agriculture n'emploie plus que 770.000 actifs permanents. L'ouverture des marchés n'augure pas un renversement de tendance. Aujourd'hui, le monde a les yeux rivés sur l'Afrique ou l'Asie. "Nous sommes en train d'entrer dans un nouveau monde agricole, un monde dans lequel nous devons faire face à de nouveaux concurrents, comme le Brésil, la Russie, l'Inde ou la Chine", a souligné Bruno Le Maire devant les députés, en présentant son projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Un texte qui fait un peu figure de barrage contre l'océan. Le ministre a lui-même reconnu qu'il ne s'agissait que d'une première étape.

Lors d'un colloque organisé par le Cercle pour l'aménagement du territoire (CPAT), mardi 29 juin, Michel Foucher, professeur à l'Ecole normale supérieure, a dressé un tableau édifiant de la course à la terre qui se trame au Sud. Pays émergents et fonds d'investissements privés attirés par l'envolée des prix des produits agricoles de 2007-2008 font main basse sur les terres africaines. "90% des terres africaines reposent sur un droit coutumier. Avec de bons avocats, n'importe qui peut se les approprier", a souligné l'ancien conseiller d'Hubert Védrine. 30 millions d'hectares de terres ont ainsi été acquis ou loués par des capitaux étrangers sur le continent noir - l'équivalent de la surface agricole utile française - dans des conditions alléchantes, sous forme de baux emphytéotiques à 2,5 dollars par hectare et par an. "On assiste à une gigantesque redistribution des cartes de production… Nous avons besoin d'une approche multiscalaire qui tienne compte à la fois de l'échelle des territoires, de l'échelle européenne et de l'échelle planétaire", a insité Michel Foucher.

 

Des marchés de plus en plus volatils

L'ONG Grain a comptabilisé 120 fonds créés après les émeutes de la faim de 2008 et spécialisés dans la recherche de terres. Ces fonds peuvent surfer sur les prospectives de l'ONU : huit milliards d'être humains à nourrir en 2030. Des pays comme le Sénégal cèdent leurs terres et sont dans le même temps obligés d'accroître leurs importations de riz. La pression s'exerce sur l'Afrique mais aussi l'Europe de l'Est, l'Amérique latine, l'Asie. Le Pakistan envisage ainsi de louer le dixième de ses surfaces arables. "On aura des marchés de plus en plus volatils, avec des traders qui aujourd'hui achètent avec trois ou quatre ans d'avance et revendent à la nanoseconde", a alerté Michel Foucher. A tel point que le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de remettre lundi 28 juin à la secrétaire d'Etat chargée de la prospective, Nathalie Kosciusko-Morizet, un rapport  sur les cessions d'actifs agricoles à des investisseurs étrangers dans les pays en développement. Ces investissements sont "nécessaires et doivent bénéficier, à ce titre, d'un environnement propice à leur réalisation : ils ne seront cependant acceptables que s'ils sont réalisés de manière responsable", juge le CAS qui propose de créer un label "agro-investissement responsable".
Qu'un organisme comme le CPAT spécialisé dans les questions d'aménagement du territoire s'intéresse aux enjeux planétaires de l'agriculture, ou "des" agricultures, comme il le souligne dans son programme, n'est pas anodin. Avec des surfaces individuelles assez faibles et un prix du foncier élevé, la France n'est pas encore concernée par cette ruée sur les terres. Pourtant, investisseurs belges, hollandais ou britanniques commencent à lorgner du côté de nos vertes prairies. Longtemps, l'Hexagone n'a pas manqué d'espace mais aujourd'hui, l'artificialisation des sols suscite de vives inquiétudes. "Tous les dix ans, en matière de terres agricoles, c'est l'équivalent de la surface d'un département français qui disparaît au profit de l'urbanisation et de l'artificialisation des sols", a rappelé le député de la Somme Stéphane Demilly (Nouveau Centre), le 30 juin, dans l'Hémicycle. La loi de modernisation de l'agriculture a prévu trois nouveaux outils pour préserver les terres arables : l'Observatoire de la consommation des terres agricoles, la commission départementale de la consommation des terres agricoles, qui rendra des avis sur les modifications des documents d'urbanisme, et la taxe additionnelle sur les plus-values. Ce n'est pas la première fois que de tels instruments sont mis en place. Malheureusement sans succès (lire notre article du 19 février 2010 : Gaspillage des terres : les mesures annoncées ont du mal à convaincre). Entre l'élu rural et l'agriculteur, il y a toujours eu une sorte de pacte. Celui-ci serait-il en train de se distendre au point que certains observateurs n'hésitent plus à parler de "divorce" ? "La mutation de l'agriculture dans le mainstream, c'est le début de l'ignorance, on assiste à une disparition accélérée des agriculteurs dans les conseils municipaux, et ce dialogue difficile ne sera pas amélioré par le contexte législatif actuel", a insisté Nicolas Portier, délégué général de l'Association des communautés de France (ADCF), devant le CPAT. Dès la présentation du projet de loi de Bruno Le Maire, l'ADCF, qui milite pour rendre les PLU intercommunaux, s'est montrée sceptique quant à la commission départementale et à l'affectation de la taxe additionnelle sur les plus-values (la question fait l'objet d'un arbitrage entre Bercy et le ministère de l'Agriculture sur le point de savoir s'il faut l'affecter à l'Agence de services et de paiements ou au budget général). C'est que l'agriculture pèse de moins en moins sur l'emploi. Ses retombées fiscales sont faibles. Mais "les collectivités ont besoin des agriculteurs pour tenir les terres", rappelle Nicolas Portier. "Pas seulement (en cédant à la caricature) parce qu'ils sont les gardiens des paysages, mais pour toutes sortes de choses comme les épandages de boue. On voit bien la nécessité d'un dialogue permanent, il faut des outils qui permettent cette rencontre." 

 

"Cette idée du rural n'est pas partagée par tout le monde en Europe"


La mondialisation des échanges fait redécouvrir les vertus du local. D'ailleurs, lors des débats au Sénat du projet de loi de modernisation de l'agriculture le mois dernier, les sénateurs ont adopté un amendement du ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, Michel Mercier, pour promouvoir les circuits courts. L'objectif affiché est de "valoriser localement les productions agricoles, de renforcer le lien entre consommateurs et producteurs, et de mettre en place des filières intégrées favorisant le retour de la valeur ajoutée sur le territoire de production". "Ne pensons pas que les circuits courts seront les seules solutions d'avenir pour l'agriculture", a pourtant tempéré Michel Erahrt (ministère de l'Agriculture), lors du colloque du CPAT. Les vrais enjeux ont lieu à Bruxelles. La Commission vient de relancer les négociations avec le Mercosur en vue d'un accord de libre échange, malgré l'hostilité de Paris qui souhaitait au préalable l'achèvement du cycle de Doha à l'OMC. Mais la bataille se joue au sein même de l'Union européenne au moment où démarrent les négociations sur la politique agricole commune après 2013 : la situation budgétaire risque de raviver les tensions avec les adversaires de la PAC, Royaume-Uni en tête. Lors de son déplacement dans l'Aveyron, département durement touché par la crise du lait, le chef de l'Etat a déclaré jeudi 1er juillet que sa marge de négociation était "nulle". "En octobre dernier, la Commission européenne proposait formellement une réduction de 40% du budget de la politique agricole commune. Aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, sous l'impulsion de la France et de son président de la République, vingt-deux Etats se sont prononcés pour un maintien du budget de la politique agricole commune", s'est félicité Bruno Le Maire, devant les députés. Mais pour l'eurodéputé Stéphane Le Foll (PS), "cette idée du rural n'est pas partagée par tout le monde en Europe. Les risques de coupures budgétaires ne pèsent pas seulement sur la PAC mais aussi sur la politique de cohésion territoriale. Défendre les deux, c'est défendre le projet européen lui-même".


Michel Tendil

 

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