Aménagement numérique - Numérique : un grand chantier de relance par les territoires
"Le numérique est au cœur de tous les grands enjeux du quinquennat", avait lancé Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'Economie numérique, lors de la présentation, le 13 décembre, de la stratégie numérique à l'école. Ainsi résumait-elle une ambition et une volonté construite progressivement durant les dix premiers mois d'installation de la nouvelle équipe gouvernementale. Un virage discret avait été pris début octobre avec le report "pour approfondissement" de la présentation de la feuille de route du plan national très haut débit et l'annonce d'un séminaire gouvernemental entièrement consacré au numérique programmé pour février 2013. Certaines voix au sein du gouvernement avaient en effet souhaité élargir la vision et mobiliser fortement les ministères au processus.
Feuille de route "très haut débit" en circulation
2013 sera finalement l'année du "décollage" du plan national. Dès la fin du séminaire gouvernemental, le passage en mode "réalisation" sera enclenché. "Des comités seront convoqués pour étudier les dossiers des collectivités et la mission se tiendra dès janvier à la disposition de celles qui souhaitent un appui sur la doctrine d'accompagnement des projets", a récemment précisé Fleur Pellerin devant les élus membres de la commission développement durable du Sénat. Cet état d'esprit de "branle-bas de combat" domine au sein de la mission très haut débit, qui poursuit les recrutements de son équipe d'intervention. Parallèlement, un avant-projet de feuille de route redéfinissant la stratégie gouvernementale a commencé à circuler. Il fera l'objet d'une concertation durant les quatre à six prochaines semaines, avant de passer au stade de projet définitif.
Dans ses grandes lignes, il confirme les éléments déjà annoncés en les précisant:
- couverture intégrale en très haut débit d'ici dix ans et passage en tout fibre optique (97%) à 15 ans ;
- maintien du modèle public-privé antérieur mais avec une stratégie publique s'appliquant à l'ensemble du territoire, y compris de déploiement en zone d'initiative privée ;
- les collectivités territoriales voient confirmées et même étendues leurs responsabilités sur la planification, la mise en œuvre du THD et le déploiement des réseaux publics. La valeur d'engagement des schémas directeurs comme outils de planification et de cohérence des initiatives sera renforcée ;
- l'Etat stratège est de retour. Il va également apporter son soutien opérationnel et financier aux collectivités territoriales, à partir d'une structure nationale chargée de coordonner la stratégie de déploiement : observatoire national des déploiements, participation aux conventions d'engagement de déploiement signées par les collectivités territoriales, soutien opérationnel, instruction des demandes de financement et suivi des projets aidés, promotion du THD, etc. ;
- le financement des réseaux publics s'articulera autour de deux outils - un accès aux fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts et un subventionnement des projets à travers un fonds de péréquation alimenté par une taxe sur les opérateurs, destinée à remplacer la taxe Copé (300 millions d'euros par an).
Un enjeu décisif mais risqué
Le chantier porté par les collectivités territoriales - sans doute l'un des plus complexes de la décennie - serait comparable à l'électrification des campagnes, mais dans un environnement concurrentiel relativement risqué. Le réseau "cuivre" va directement concurrencer les réseaux optiques, jusqu'à son extinction, programmée à une date relativement lointaine. De plus, ce réseau "concurrent" est toujours exploité par ceux qui sont également attendus pour co-investir sur la fibre. Les collectivités territoriales, chargées de l'exploitation et de la commercialisation, pourront certes confier cette charge à un concessionnaire. Mais étant donné l'équation financière, la délégation de service public (DSP) concessive semble moins adaptée au contexte économique du très haut débit. Dans une majorité de cas, les collectivités seront tenues de mettre en affermage leur réseau et devront assurer seules "le risque recettes" lors de sa mise en exploitation. Conséquence : la réussite économique des déploiements de réseaux d'initiative publique (RIP) repose sur l'engagement des grands opérateurs. Certains ont déjà pris quelques positions, notamment France Télécom qui a décidé pour la première fois de co-investir dans la Manche sur des réseaux FTTH qu'il n'exploite pas directement, ce qui représente une première historique. Mais l'effet conjugué des déploiements sur plusieurs territoires va compliquer la tâche des opérateurs qui seront de plus en plus sollicités et, par contrecoup, celle des territoires qui n'auront pas automatiquement confirmation de la venue des opérateurs sur leurs projets. La coopération collectivités-opérateurs apparaît bien comme la composante stratégique de tous les projets. Le rythme et le séquençage du déploiement deviennent aussi le déterminant pour crédibiliser l'action sur un territoire. Reste à savoir si les grands opérateurs, seuls en capacité d'activer la fibre sur les réseaux publics, pourront suivre dans le contexte économique actuel. Une incertitude qui pourrait à terme compliquer le déploiement des RIP sur le très haut débit.
Trois chantiers numériques prioritaires : éducation, administration et santé/maintien à domicile
Le déploiement des réseaux de dernière génération va stimuler le déploiement des usages et des services numériques. Au vu des récentes déclarations de ministres, la stratégie gouvernementale semble privilégier quelques axes correspondant à des politiques publiques d'envergure tout en souhaitant y associer directement les collectivités territoriales.
Le premier concerne l'éducation. A côté des actions "globales" sur les contenus éducatifs et sur la formation des enseignants, une partie de l'effort national sera "enfin" consacrée à l'école primaire, l'un des principaux "maillons faibles" de la chaîne éducative. Réflexion et simplification des équipements, environnement numérique de travail, accompagnement des communes… le dispositif "d'amorçage" est prometteur. Il repose toutefois sur une mobilisation du monde rural et sur la mobilisation des énergies locales en matière d'ingénierie pédagogique.
Le deuxième chantier, celui de l'administration numérique, sera pour la première fois repensé sous l'angle territorial. L'objectif vise à assurer une meilleure égalité d'accès aux services publics, grâce au numérique, y compris dans les territoires enclavés. La réussite repose sur la dématérialisation d'un nombre croissant de procédures administratives, sur la conception de briques applicatives interchangeables, sans oublier la modernisation des guichets d'accueil physiques susceptibles d'accompagner les citoyens dans leurs démarches.
La dimension "accessibilité" aux services locaux sera également renforcée prochainement sur l'axe "santé" et "dépendance". Deux domaines sur lesquels le recours au numérique permet d'opérer "une transformation radicale du rapport du patient au système de santé". D'autres chantiers seront sans doute lancés à l'issue du séminaire gouvernemental, car la stratégie de déploiement coordonné qui se dessine semble prometteuse, du moins sur le "papier". La condition repose toutefois sur des financements adaptés, couvrant non seulement les investissements en équipements mais aussi la mobilisation de la "matière grise" afin d'assurer la pérennité des projets.
Informatique territoriale dans les nuages: nouvel outil d'intégration multi-services
Les collectivités seront aux avant-postes sur ces différents terrains de l'innovation. Elles vont ainsi renforcer leur capacité de mutualisation et de mise en commun de savoir-faire. Les projets de "datacenters" à haute performance, d'informatique dans les nuages déjà portés par quelques territoires comme le conseil général de la Manche ou l'agglomération Nîmes Métropole, ouvrent la voie prometteuse de l'intégration massive de services y compris à destination d'un cercle élargi d'institutions publiques. Les architectures de cloud associées à des réseaux très haut débit vont puissamment accroître le potentiel d'agrégation des services locaux et autorisent des regroupements jusque-là inédits. Elles laissent entrevoir des transformations dans le fonctionnement des collectivités territoriales, dans leur manière de communiquer à distance, de travailler en mode collaboratif et dans leur capacité à offrir des services de qualité en mode dématérialisé. L'annonce de dispositifs de concertation, d'échanges et d'intervention communs entre l'Etat et les collectivités territoriales laisse entrevoir également de nouvelles méthodes de travail plus équilibrées et participatives. La prochaine révolution sera numérique. Il est temps de s'y préparer.