Informatique - Le nuage départemental de la Manche éclaircit le paysage numérique
L'annonce est officielle, le datacenter installé dans la salle blanche de Manche Numérique entrera en service au premier trimestre de l'année prochaine. Il hébergera dans un premier temps les services distants du conseil général, les centres médicosociaux, les agences routières départementales, les sites culturels et touristiques. Les collèges et les lycées de la région suivront, ainsi que les archives départementales. En 2014, les 500 communes et groupements adhérents du syndicat mixte devraient également bénéficier d'une offre étendue.
Certes, les plateformes de service mutualisées dédiées au secteur public local ne sont pas nouvelles. Plusieurs sont déjà en service en Bourgogne, en Bretagne, dans l'Aube, dans les Landes, dans les Alpes-Maritimes et en région parisienne. Mais le projet de la Manche se différencie par sa "puissance de feu" nettement supérieure. L'informatique dans les nuages - ou "cloud computing" - s'appuie sur le réseau internet pour offrir des services allant de la simple application au transfert conjoint des serveurs, des systèmes et du parc logiciel d'une organisation publique ou privée vers un opérateur extérieur. Dans la Manche, le potentiel de virtualisation des postes de travail sera très élevé. A partir d'un terminal "léger" sans disque dur, connecté à internet, l'agent pourra "potentiellement" faire tourner ses applications métiers, exploiter les ressources 3D du système d'information géographique, accéder à une batterie d'outils bureautiques et à ses données, communiquer par courriel et téléphone à partir du serveur distant, comme si l'ensemble était installé en local. "On offrira même des services inaccessibles autrement, comme la visioconférence", complète Roland Courteille, directeur général de Manche Numérique et cheville ouvrière du projet.
1.500 km de fibre relient les utilisateurs au datacenter
Cet accès simultané et à distance à un grand nombre d'applications serait impensable sans le très haut débit. La Manche bénéficie aujourd'hui des effets d'une politique volontariste en matière de haut débit puisqu'elle a pu obtenir une location longue durée de 1.500 Km de fibre auprès de son délégataire, en attendant la rétrocession du réseau au département prévue dans neuf ans. La nouveauté est de taille et représente même une petite révolution. Cette location va faciliter l'interconnexion très haut débit des clients. Elle ouvre les "vannes" de l'offre de services et des solutions applicatives dans des conditions de performance équivalentes voire supérieures à celles d'un système d'information interne classique. Dès le démarrage, la boucle optique disposera d'une bande passante de 10 gbps (giga bits par seconde) et suivra la courbe des besoins au gré de leur progression. Mais tout cela implique évidemment de commencer par connecter les partenaires. "Nous avons déjà effectué les travaux de raccordement des lycées, des collèges et de tous les sites du conseil général", précise encore Roland Courteille, "et bientôt, ce sera au tour des communes. Dès lors, elles auront accès à toutes les formules d'hébergement sur le datacenter y compris pour transférer la totalité de leurs applications et services, si elles le désirent".
L'impact et les conséquences devraient être rapidement visibles. Dans les collèges, on parle déjà de ralentir la rotation des matériels informatiques, qui passerait de 3 à 5 années, "puisque toute la puissance de calcul est déportée sur le serveur". La gestion des applications administratives et éducatives sera plus efficace avec leur regroupement sur un point unique de concentration. Et le confort d'accès à l'environnement numérique de travail (ENT), c'est-à-dire l'intranet pédagogique et administratif de chaque établissement, "sera sans commune mesure avec ce qu'il est aujourd'hui". Même constat de simplification pour la maintenance avec ce passage d'une dispertion des moyens à une centralisation au niveau de Manche Numérique.
Modèle de services en préparation avec les communes
La démarche avec les communes est plus complexe. Comme le souligne Roland Courteille, "au départ, la mutualisation s'organisera soit sur un périmètre limité aux applications génériques comme la visioconférence, l'hébergement des données ou la sauvegarde, soit sur un périmètre plus ouvert intégrant également les applications métier". La décision n'est pas encore arrêtée. Pour s'y préparer, le syndicat prévoit de lancer prochainement une enquête auprès des communes et des communautés de communes engagées dans un projet de fusion (ce sont les plus directement concernées) pour mieux cerner leurs besoins. Et il pilotera quelques expérimentations en 2013. Côté accompagnement, la constitution d'une "task force" en ingénierie est envisagée pour épauler les collectivités et notamment les plus petites. "Nous prévoyons de travailler plutôt à périmètre variable dans les grandes collectivités et en revanche plutôt sur des logiques clés en main pour les plus petites", signale Roland Courteille.
Un risque financier limité
La difficulté à ce stade du déploiement réside dans l'incertitude sur l'accueil qui sera réservé à la nouvelle structure. Les promoteurs du projet sont confiants sur le potentiel de l'outil. D'abord, ils considèrent avoir des obligations à l'égard des intercommunalités en phase de regroupement : "Si nous ne mettons pas de services complets à leur disposition, elles seront contraintes de mutualiser à leur propre niveau et de se doter chacune d'une direction informatique coûteuse en énergie et en fonctionnement. En leur offrant un service complet dès leur création, nous apportons un environnement sécurisé et un niveau de prestation bien plus élevé que ce qu'elles attendaient." Ensuite, le facteur "réduction de dépenses" semble lui aussi prometteur : "Nous serons notamment très compétitifs sur les services globalisés de téléphonie sur IP. Le différentiel sur les prix devrait nettement pencher en notre faveur, car le teléphone demeure un poste onéreux pour les communes", constate encore Roland Courteille. Les petites communes profiteront elles aussi de services étendus et diversifiés auxquels elles n'avaient jusqu'ici pas accès. Les secrétaires de mairies disposeront par exemple d'un bureau virtuel doté de fonctions de sauvegarde automatique. "Un service rassurant par excellence", résume Roland Courteille .
La création du datacenter et de son "double" au conseil général représente un investissement de "un million d'euros pour la pose des équipements actifs et de 300.000 euros pour la création d'une salle blanche", auxquels il convient d'ajouter 9 millions d'euros de location de la fibre jusqu'en 2021, ainsi que les 4 millions investis dans l'interconnexion des collèges et des lycées co-financée il est vrai par l'Europe et par la région. "Les risques financiers restent limités, le coût annuel d'interconnexion représente certes un million d'euros par an, mais il est déjà partiellement couvert par les besoins du conseil général", confirme Roland Courteille.
Vers une direction informatique commune ?
Bien qu'inachevé dans sa conception, notamment avec les collectivités locales, le projet est donc déjà perçu comme un générateur d'économies globales en matière de maintenance, de mise à jour régulière des applications, de sécurité des systèmes de sauvegarde, de gestion des identités et de production des téléservices communs (télépaiement, coffre fort…). Ce potentiel constitue un argumentaire séduisant pour les partenaires publics du projet. Mais le déterminant restera bien sûr le prix associé aux nombreux services rendus.
D'ores et déjà, les promoteurs du projet à Manche Numérique ont engagé une réflexion de fond avec leurs partenaires sur les nouvelles modalités d'organisation de l'administration, sur la relation citoyen et même sur l'amélioration de la performance. Ils envisagent même la création d'une direction informatique commune mais sans en décréter l'urgence… "Ce projet représente un formidable levier de transformation de l'administration. Mais il ne sera pas simple à déployer, car il va transformer l'organisation, les modes de travail. Tous devront en accepter le principe. Mais en cas de réussite, nous aurons gagné 10 ans sur notre feuille de route initiale", conclut Roland Courteille.