Aménagement numérique - Les réseaux d'initiative publique entrent dans une phase industrielle
A quelques semaines de la révision du plan national Très Haut Débit, le Trip 2012, colloque annuel organisé par l'Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel), réunissait les 18 et 19 octobre les principaux acteurs nationaux et locaux du secteur. Une occasion pour les responsables des réseaux d'initiative publique (RIP) d'échanger leurs bonnes pratiques et de peaufiner leurs argumentaires sur les conditions du déploiement. L'état des lieux réalisé à cette occasion confirme l'appétence des collectivités territoriales, leur mise en ordre de marche et le poids économique croissant des réseaux publics. Toutefois, leur avenir va dépendre du volume des aides et de la péréquation sur les zones moins denses.
En attente du chiffrage définitif du plan national
25 milliard peut-être... La nouvelle estimation de la facture pour fibrer l'Hexagone n'est pas encore connue. Mais elle sera supérieure à la précédente, c'est certain. En 2011, l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) avait évalué l'ensemble à 22 milliards, mais c'était sans le coût du raccordement final. Une étude Datar-DGCIS devait apporter les précisions attendues, y compris sur les coûts et les revenus département par département, mais sa publication a été différée de quelques jours. Le résultat est en tout cas très attendu car de nombreux calculs en dépendent, notamment celui des financements et des aides à mobiliser pour équiper les zones non denses. L'attention des élus et des responsables locaux de RIP reste concentrée sur les solutions qui seront proposées. En effet, le poids de la charge à supporter et les inégalités engendrées par un système d'aide peu redistributeur créent souvent des disparités insurmontables. Les territoires ruraux subissent une "double peine", comme a coutume de le souligner le sénateur et président du conseil général de l'Oise, Yves Rome, président de l'Avicca : "Ils financent l'amélioration du réseau de cuivre, tandis que les grandes villes passent à la fibre optique gratuitement." La ministre de l'Economie numérique Fleur Pellerin a confirmé sa volonté de trouver des solutions "pérennes" sur la durée du plan afin d'assurer une péréquation efficace. Mais en attendant, les interrogations sur les taux d'effort que chaque territoire aura à assurer ne sont pas levées.
Territoires ruraux : des handicaps parfois difficiles à corriger
"Les collectivités pourraient participer financièrement autant que l'Etat. Ce qui n'est pourtant pas facile dans la conjoncture actuelle, mais c'est le prix à payer pour maîtriser notre destin", a avancé Yves Rome dans son discours d'ouverture. Ce sont du moins les attentes de l'association pour atteindre le cap ambitieux fixé par le président de la République. "700 à 800 millions d'euros par an sur dix ans […], c'est à peu près ce qu'il faudrait pour assurer une péréquation nationale", a complété Yves Rome. Ainsi, l'effort partagé représenterait 15 milliards, correspondant à l'investissement à peu près nécessaire pour financer l'intégralité de la zone moins dense.
L'application de la parité Etat/collectivités représenterait une belle avancée par rapport au régime encore en vigueur. Les aides de l'Etat plafonnent en effet à 22% de la part des financements publics (1). Les collectivités et, dans une moindre mesure, l'Europe apportent le reste. Dans son bilan des RIP, présenté traditionnellement à l'occasion des rencontres, Patrick Vuitton, directeur de l'Avicca, commente ce faible résultat : "Le FSN [fonds national pour la société numérique] constitue un levier au démarrage, mais ne permet pas de terminer le chantier. Si bien que de nombreux schémas directeurs repoussent à 2030 l'achèvement de leur programme et certains même ne fixent aucune date."
La machine semble d'ailleurs se gripper depuis plusieurs mois en raison des incertitudes et des handicaps subis par les territoires ruraux par rapport aux zones urbaines :
- La baisse du volume des aides pénalise l'ensemble des zones moins denses. Pour donner un ordre de grandeur, la simple application des barêmes théoriques du FSN (de 33% à 45,8%) aurait entraîné le doublement des subventions distribuées aux collectivités locales. Pour autant, l'effet correcteur n'est pas suffisant.
- Le coût de déploiement des prises, très sensible à la typologie des lieux, y est nettement plus élevé.
- Les zones denses, prises en charge par l'investissement privé, voient leur taille diminuer dans les départements ruraux jusqu'à ne représenter que 20% du territoire (Haute-Saône, Haute-Marne). Le calcul devient alors facile : "En supposant que les opérateurs tiennent leurs engagements d'investissements, les taux d'effort entre les territoires les plus favorisés (urbains) et les autres (ruraux) peuvent varier de un à quatre", souligne Patrick Vuitton.
- La contrainte de la montée en débit en milieu rural, pour compenser l'attente de l'arrivée de la fibre, représente une contrainte budgétaire supplémentaire estimée à 1,5 milliard. Financée pour l'essentiel par les collectivités territoriales, elle représente aussi une dépense pour partie à fonds perdus (2).
Le déploiement des RIP marque un fléchissement
La conséquence de ces disparités est mesurable sur le terrain. Dans les Hauts-de-Seine, l'un des départements les plus urbanisés et les plus riches de France, le conseil général a voté une subvention de 49 millions d'euros sans demander de contribution aux communes. De son côté, la Seine-et-Marne, qui doit couvrir 45% de sa population, demande aux communes d'assurer la moitié des investissements. Autres exemples de contribution : entre la Somme, l'Oise et la Bretagne, le taux d'effort demandé aux communes via les intercommunalités varie de un à trois (3).
Cette répartition de la prise en charge des investissements n'est pas sans conséquence : plus le taux d'effort partagé est élevé et plus le risque de décrochage existe. Certaines collectivités rurales sont tentées aujourd'hui de se désengager, par exemple en préférant une solution de montée en débit sur fil de cuivre (NRA Med). L'Avicca pointe même un certain ralentissement dans le déploiement des RIP. Si les réseaux entrés en exploitation augmentent régulièrement - 26 supplémentaires au cours des deux dernières années -, en revanche, le lancement de nouveaux projets est en légère décroissance alors qu'il devrait logiquement suivre une courbe ascendante. Une légère décroissance "sans doute liée à l'étirement de la mise en place du plan national", indique Patrick Vuitton. Par ailleurs, quelques RIP réduisent leur activité. C'est notamment le cas de l'Ain, "en raison du manque de visibilité de la politique gouvernementale et de la frilosité des organismes bancaires", indiquent ses responsables.
Valeur ajoutée, emplois et nouvelles sources de revenus
L'écosystème des RIP commence pourtant à prendre forme. L'année 2012 a été marquée par une diversification des projets portés par les réseaux publics : projets dits "d'ancienne génération" pour les territoires ayant besoin de s'équiper en réseaux de collecte (agglomération du Havre, pays de Vannes, CA de Sarreguemines…), projets complets en FTTH (fibre jusqu'à l'abonné) (Calvados, Syane en Haute-Savoie, Maizières-les-Metz, Limeil-Brévannes), projets déjà anciens mais qui évoluent dans des logiques de mix technologique (Loiret, Savoie, Auvergne) et, pour la première fois, projets coordonnés de montée en débit (CA de Metz, CG de Haute-Marne et de Vendée). Bien qu'elles ne soient pas éligibles aux aides nationales, les villes et agglomérations sont aussi en phase ascendante avec 23 projets recensés.
Co-investissement, un atterrissage encore timide des grands opérateurs
Le démarrage, certes encore timide, du co-investissement marque une nouvelle étape dans la reconnaissance des RIP en leur apportant de nouvelles recettes et une meilleure sécurité financière. France télécom a par exemple signé avec SFR Collectivités sur Saint-Lô (4.000 prises) et sur Cherbourg, et s'apprête à le faire sur Pau (Axione). Dans les Hauts-de-Seine, les quatre grands opérateurs ont souscrit un total de 86.400 prises sur le réseau Sequalum. "Lorsqu'une dynamique est enclenchée, la progression ensuite devient plus facile", souligne Roland Courteille, directeur de Manche numérique, satisfait d'avoir déjà vendu 25% de son réseau.
"Avec un million d'abonnés et un chiffre d'affaires consolidé de 250 millions d'euros, les RIP acquièrent peu à peu une dimension industrielle", constate Patrick Vuitton, ce qui favorise le développement de toute une économie. Aujourd'hui, les territoires accueilleraient plus d'une centaine d'opérateurs locaux issus du déploiement des RIP. Les résultats sont donc encourageants. Ils n'effacent pas pour autant la fragilité du système ni les problèmes liés au déploiement : la couverture des zones de mauvais débit, le chantier toujours présent du raccordement des entreprises à la fibre et, surtout, la concurrence du cuivre face à la fibre. L'économie du très haut débit en zone rurale repose donc sur la sécurisation croissante des recettes de la fibre face au cuivre, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Enfin, les choix gouvernementaux qui vont bientôt être arrêtés seront cruciaux pour la suite des opérations. Comme le remarquait Etienne Dugas, président du groupe Marais et initiateur du nouveau syndicat des professionnels des RIP, "la mise en veilleuse du FSN pendant la remise à plat du plan national nous a fait perdre encore six mois. Il est temps de se remettre au travail. La dynamique des RIP a un effet d'entraînement sur l'ensemble du secteur. Il convient donc de ne pas laisser échapper les nouvelles opportunités qui vont se présenter".
Philippe Parmantier / EVS
(1) Durant ses sept premiers mois de fonctionnement, le FSN a distribué 266 millions d'euros sur les 900 millions d'aides. Mais celles-ci ne couvrent que la première tranche de cinq années.
(2) On estime que 40% des investissements réalisés pour déployer des NRA Med ne sont pas récupérables dans la phase suivante de passage à la fibre.
(3) 170 euros par prise dans la Somme, 370 euros dans l'Oise et 445 euros en Bretagne.